La contre-attaque ne s’est pas fait attendre. Une défense en rang serré. Ou plutôt, on se sert les coudes entre anciens membres des gouvernements d’Emmanuel Macron. A peine plus de deux heures après que le rapporteur général de la commission des finances, le sénateur LR Jean-François Husson, et le sénateur PS, Claude Raynal, ont présenté leurs conclusions de leur nouveau rapport sur le dérapage des finances publiques, les principaux acteurs mis en cause ont répondu, pour le moins vertement. Un brief organisé au dernier moment, que les journalistes ont appris pendant la conférence de presse des sénateurs.
Face à un rapport au vitriol, qui dénonce l’« irresponsabilité budgétaire », le « double discours », « un attentisme et une inaction dommageables », en mettant en cause aussi bien les ex-ministres Bruno Le Maire et Thomas Cazenave, que les anciens premiers ministres Gabriel Attal et Elisabeth Borne, mais aussi Emmanuel Macron, la réponse n’a pas tardé.
« Approximations », « affirmations spécieuses » et « mensonges »
« Ce n’est pas un rapport, c’est un réquisitoire d’opposants politiques, truffé de mensonges, d’approximations et d’affirmations spécieuses », attaque d’emblée l’ancien ministre de l’Economie, Bruno Le Maire. « C’est un rapport qui nous accuse d’avoir tenu un double discours. Mensonge », insiste l’ancien ministre, qui récuse aussi toute volonté de satisfaire les agences de notation. « Le rapport suggère aussi que nous aurions pu modifier le projet de loi de finances (PLF) 2024 en décembre. Mensonge. C’était techniquement impossible », soutient Bruno Le Maire.
Quant aux mesures d’économies arrivées ensuite, « elles ont toutes été contestées par les groupes PS de Claude Raynal et le groupe LR de Jean-François Husson, notamment l’augmentation de la taxe sur l’énergie », remarque celui qui donne maintenant des cours en Suisse. Il tire une toute autre conclusion : « Nous avons collectivement anticipé, réagi vite, fort, contre toutes les oppositions, notamment les groupes LR et PS qui continuaient de proposer des dépenses supplémentaires ».
« Comme Bruno Le Maire l’a évoqué, il ne s’agit pas d’un rapport, il s’agit d’attaques indignes qui reposent sur des allégations qui sont irréalistes et mensongères », surenchérit Elisabeth Borne, qui rappelle les réformes structurelles qu’elle a menées – les retraites, deux réformes de l’assurance chômage, le RSA – générant « 30 milliards d’euros d’économies à l’horizon 2030 ». Elle ajoute :
Ils n’ont « pas réussi à nous dresser les uns contre les autres », souligne Gabriel Attal
Gabriel Attal voit lui « une double déception » de la part des sénateurs, « d’abord de ne pas avoir trouvé d’éléments tangibles, attestant que la situation n’aurait pas été prise au sérieux », dit l’ex-premier ministre, rappelant toutes les mesures d’économies qu’il a prises. L’autre déception : « Ne pas avoir réussi à nous dresser les uns contre les autres. Nous sommes tous les quatre réunis autour de ce téléphone pour vous parler ».
Celui qui préside aujourd’hui le groupe EPR (Renaissance) de l’Assemblée relève au passage « une séquence malaisante, avec le rapporteur général Jean-François Husson, qui m’a accusé (lors de l’audition) d’avoir dépensé 5 milliards d’euros de plus en 2024. Et quand je lui ai posé la question sur quoi étaient ces 5 milliards d’euros, il y a eu un moment de bafouillement, qui a duré de longues minutes, avant de dire qu’on n’est pas là pour rentrer dans les détails. Ce qui dit tout de la conception de cette mission d’information ».
« Ils n’ont rien à se mettre sous la dent », ajoute de son côté Thomas Cazenave, l’ancien ministre des Comptes publics. Il rappelle qu’« un quart de la dégradation, c’est l’augmentation plus rapide des dépenses des collectivités. Ce constat-là ne plaît pas au rapporteur, qui voulait probablement montrer autre chose », tance l’ancien ministre, qui s’étonne aussi d’une contradiction : « On nous reproche de ne pas avoir agi assez tôt, mais aussi d’avoir pris un décret (d’annulation) de manière « trop rapide, dans la précipitation » ».
« Il n’y a pas de réquisitoire, on n’est ni des procureurs, ni des censeurs », répond Jean-François Husson
Sollicité par publicsenat.fr, Jean-François Husson préfère garder son calme. « Les auditions s’inscrivent dans la démarche de contrôle du gouvernement par le Parlement. Il n’y a pas de réquisitoire, on n’est ni des procureurs, ni des censeurs. Que chacun garde ses nerfs. Aujourd’hui, il nous revient de gérer au mieux le redressement des comptes publics qui se sont sérieusement dégradés les dix derniers mois. C’est une évidence qui n’a échappé à personne », rétorque le rapporteur du budget au Sénat.
Soulignant que « nos écrits, les auditions, font foi, notamment sur le double discours », il insiste : « Il faut qu’on garde nos nerfs, qu’on montre de la sérénité. Il faut essayer de chercher des solutions, plutôt que s’engager dans des polémiques, qui ne devraient pas avoir lieu ».
« Cela montre une très grande fébrilité », selon Claude Raynal
« On est très étonnés », réagit pour sa part Claude Raynal, « car d’un côté, il y a des éléments qui sont rapportés de manière précise. Là, on entend une réponse politique au fond, qui revient à dire « on n’y est pour rien, le rapport ne dit pas la vérité ». Mais ça ne dit rien sur ce qu’on conteste », selon le président socialiste de la commission des finances.
Pour Claude Raynal, leur réaction « montre une très grande fébrilité surtout. Et ça montre que ça les touche. Je ne suis pas sûr qu’ils aient même pris le temps de lire le rapport. Il est très modéré par rapport aux personnes. Il n’y a aucune attaque personnelle, il y a simplement les décisions des uns et des autres. Et ils n’ont toujours pas expliqué pourquoi il y avait eu 50 milliards d’euros de déficit public en plus ».
Une tension qui rappelle la commission d’enquête Benalla
Cette montée soudaine des tensions n’est pas sans rappeler la commission d’enquête du Sénat sur l’affaire Benalla. Après la présentation des conclusions du rapport, Christophe Castaner, à l’époque à la tête de LREM et secrétaire d’Etat, avait mis en cause les travaux menés par le sénateur LR Philippe Bas. « Si certains pensent qu’ils peuvent s’arroger un pouvoir de destitution du président de la République, ils sont eux-mêmes des menaces pour la République », avait-il lancé.
La tension était alors à son comble entre la majorité sénatoriale et l’exécutif. Différence de taille : le Sénat était alors dans l’opposition à Emmanuel Macron. Aujourd’hui, le rapporteur Jean-François Husson, membre du groupe LR, est un soutien du gouvernement Barnier… tout comme Gabriel Attal ou Elisabeth Borne, du moins sur le papier, tant les tensions sont nombreuses au sein du « socle commun ». Si elle était surtout le fait des députés, elles vont peut-être se doubler d’un nouveau front entre l’Assemblée et le Sénat, au sein d’un socle, de moins en moins commun.