Derrière la polémique sur « la gauche des alloc’ », l’enjeu de la reconquête des classes populaires à gauche

Derrière la polémique sur « la gauche des alloc’ », l’enjeu de la reconquête des classes populaires à gauche

En dénonçant « la gauche des allocations », le communiste Fabien Roussel interroge au fond la capacité de son camp à renouer avec les classes populaires. « Fabien Roussel pose un vrai problème : le travail doit être beaucoup plus attractif et émancipateur », souligne le socialiste Patrick Kanner. Il faut savoir « donner du sens au travail », ajoute la communiste Eliane Assassi. Pour Laurence Rossignol, la gauche doit mener « une bataille culturelle contre l’individualisme ».
François Vignal

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S’il voulait lancer le débat, c’est réussi. Les propos de Fabien Roussel, tenus vendredi à la Fête de l’Humanité, suscitent les critiques de ses alliés de la Nupes. « Il y a des discours (à gauche) qui ne passent pas », a soutenu le secrétaire national du PCF. « Les Français nous parlent d’assistanat en nous disant qu’ils travaillent et que eux (les bénéficiaires de minima sociaux, ndlr), ne travaillent pas », a-t-il souligné. Selon le communiste, « la gauche doit défendre le travail et le salaire et ne pas être la gauche des allocations, minima sociaux et revenus de substitution ». « Je ne suis pas pour une France du RSA et du chômage », a-t-il encore affirmé, avant de préciser samedi, devant la polémique, souhaiter avant tout « que tous les jeunes, tous les Français aient accès à un travail avec un salaire permettant de vivre dignement ».

Les propos du numéro 1 du Parti communiste ont été plus ou moins critiqués à gauche, des écologistes aux socialistes, jusqu’à Jean-Luc Mélenchon, qui « demande qu’on arrête les jérémiades ». Les termes choisis renvoient, il est vrai, plus au vocabulaire de la droite, à l’image d’un Laurent Wauquiez, qu’à celui de la gauche. Mais le député du groupe LFI, François Ruffin, qui a pris ses distances avec la formule de Fabien Roussel, pose aussi la question à sa manière. « De "parti des salariés", nous voilà, dans l’esprit commun, le "parti des assistés" », écrit le Picard dans son livre, Je vous écris du front de la Somme (Ed. Les Liens qui libèrent).

Patrick Kanner « n’oppose pas l’émancipation par le travail aux allocations »

Au-delà de la polémique, la sortie de Fabien Roussel pose une question de fond pour la gauche : comment renouer avec les classes populaires, notamment des zones rurales et périurbaines, qui préfèrent se réfugier dans l’abstention pour une bonne partie ou voter pour l’extrême droite ? De la réponse – complexe – à cette question fondamentale pour la gauche, dépend sa capacité à retrouver le pouvoir.

Pour le socialiste Patrick Kanner, « l’interpellation de Fabien Roussel, qu’on peut considérer comme provocatrice, pose un problème majeur. C’est effectivement la valeur du travail dans notre pays. Et aujourd’hui, si certains estiment que vivre d’allocations diverses est une solution acceptable, c’est aussi parce que le travail ne paie pas assez, que le gouvernement se refuse à toute grande conférence sociale et salariale, refuse un coup de pouce au smic » selon le président du groupe PS du Sénat, qui « n’oppose pas l’émancipation par le travail aux allocations ». Patrick Kanner ajoute :

Fabien Roussel pose un vrai problème : le travail doit être beaucoup plus attractif et émancipateur, au sens littéral du terme.

« Je pense que la vraie vie, ça n’est pas passer son temps à la gagner » selon l’écologiste David Cormand

« Le débat est ouvert, à la manière de la Fête de l’Huma. Il faut dépassionner les choses, et surtout montrer à cet électorat qui nous a quitté progressivement pour aller soit dans l’abstention, ou à l’extrême droite, que nous avons un discours responsable », soutient l’ancien ministre de la Ville. Pour le sénateur du Nord, « la répartition de la richesse, au travers des revenus du travail et de la fiscalité, c’est l’enjeu majeur ».

Mais quand on parle travail, à gauche, on n’aura pas une réponse unique. Chez Europe Ecologie-Les Verts, on cultive sa différence sur le sujet. « Moi je suis écologiste. Je n’ai sans doute pas le même rapport à la valeur travail que la gauche traditionnelle. Je ne crois pas que le travail, fondamentalement, émancipe. Je pense que la vraie vie, ça n’est pas passer son temps à la gagner. C’est pour ça que je suis pour le partage du travail, le revenu universel et même le droit à l’oisiveté. Ce qui ne veut pas dire qu’on ne fout plus rien, mais si on pense vraiment que le travail a de la valeur, on en use avec parcimonie », soutient l’eurodéputé EELV David Cormand, invité de la matinale de Public Sénat, ce lundi. Regardez :

« Quel nouveau front de classe avoir autour de la justice sociale et de la transition écologique ? » demande Laurence Rossignol

L’enjeu de savoir parler à nouveau, et surtout de convaincre, les classes populaires, avait motivé Arnaud Montebourg pour se lancer à la conquête de l’Elysée. « Cette question a justifié le projet et l’identité de sa candidature » rappelle la sénatrice PS de l’Oise, Laurence Rossignol, qui avait soutenu l’ancien ministre. Celui-ci a finalement renoncé, faute de dynamique. C’est dire la difficulté.

Pour Laurence Rossignol, « au sein des classes populaires et moyennes, il y a une fracture culturelle entre les classes populaires des métropoles et celles hors métropoles. Dans un département comme le mien, l’Oise, des gens vivent en zone rurale ou périurbaine. Ils subissent des inégalités spécifiques, liées à la désindustrialisation, donc une perte d’identité et de fierté ouvrière. Et une difficulté d’accès aux services publics ». Ou tout simplement leur absence. « Dans le nord de l’Oise, à Grandvilliers, il n’y a pas de lycée d’enseignement général, mais uniquement professionnel. On a des gamins qui choisissent des filières pro, non par goût, mais par proximité. Les inégalités territoriales viennent accroître les inégalités sociales. C’est ce qui doit préoccuper la gauche aujourd’hui », selon Laurence Rossignol.

Cette question du travail, soulevé par Fabien Roussel, « est liée aux questions identitaires », insiste la sénatrice de l’Oise, « notre identité vient aussi de notre identité sociale. Et la perte de l’identité ouvrière laisse le champ libre à d’autres questions identitaires, qui sont celles de l’extrême droite ». Au fond, « la question posée, c’est, pour les vieux poprénistes (ancien courant du PS animé par Jean Poperen, ndlr), celle du front de classe. Quel nouveau front de classe avoir aujourd’hui, autour de la justice sociale et de la transition écologique ? » demande la socialiste, pour qui la question écologique doit avoir sa place. « Ce n’est pas une préoccupation de bobos et d’urbains », soutient-elle, mais aborder le sujet « de manière comportementale individuelle, ou culpabilisante, est contre-productive ».

« Les questions sociétales, quand il s’agit de la protection des femmes contre les violences conjugales, c’est une question universelle »

Une question revient parfois à gauche : a-t-elle oublié, délaissé la question sociale au profit des sujets sociétaux, ne parlant plus ainsi à son électorat populaire ? Pour Laurence Rossignol, ils ne sont pas à opposer. « Les questions sociétales, quand il s’agit de la protection des femmes contre les violences conjugales, c’est une question universelle dans le pays. Elle concerne tous les milieux et particulièrement les milieux ruraux », souligne l’ancienne ministre des Droits des femmes.

Pour la communiste Eliane Assassi, « la gauche n’a rien oublié. Mon parti politique a un projet et n’a pas oublié les questions sociales, sociétales et économiques ». Pour la présidente du groupe CRCE (communiste) du Sénat, la gauche doit aussi savoir porter ses sujets, « pour faire naître le débat », comme sur « la proposition de loi du Sénat sur la surpopulation carcérale, ou le droit de vote des étrangers. Il est de notre devoir de remettre ces sujets sur le devant de la scène ».

Reste que le décrochage entre la gauche et une partie des classes moyennes et populaires semble profond. « Ce n’est pas qu’avec la gauche », corrige Eliane Assassi, « il y a un décrochage entre les citoyens et la politique. Mon souci, ce sont les millions d’abstentionnistes ». Mais « bien évidemment, il y a la défiance ». A cet égard, « le quinquennat Hollande a nourri de façon considérable la défiance à l’égard des politiques, car des promesses tenues n’ont pas été réalisées. Mais ce n’est pas toute la gauche », souligne la communiste.

« Il faut porter les idées au plus près », « dans une relation de proximité », selon Eliane Assassi

Pour la sénatrice PCF de Seine-Saint-Denis, il faut aussi savoir « donner du sens au travail. Ça, c’est un vrai sujet. Ça veut dire quoi travailler ? Ce n’est pas seulement avoir un emploi. Il y a des gens qui travaillent sans être rémunérés », note Eliane Assassi, « c’est aussi avoir un salaire, créer du lien social, dans une société dominée par le capitalisme mondialisé, avec les questions des liens de subordination et la répartition des richesses ».

Au-delà du champ « des idées », l’enjeu doit « amener la gauche à reconquérir toutes ces personnes dans une relation de proximité », selon la présidente du groupe communiste. « Il faut porter les idées au plus près. C’est compliqué, car ça demande des forces militantes. Or on sent bien qu’Emmanuel Macron a tout fait pour tuer les corps intermédiaires », pointe Eliane Assassi.

« Le cœur de l’affaire, ça reste celui de la mondialisation libérale et de ses effets dévastateurs »

Au-delà des questions du travail, la gauche doit aussi savoir parler de sécurité et d’immigration. Mais avec ses mots et ses valeurs. « L’insécurité touche d’abord les classes sociales les plus défavorisées, au travers du trafic de drogue », souligne Patrick Kanner. « Ce n’est pas pour rien que nous avons porté la légalisation du cannabis, avec une partie du groupe PS », rappelle le socialiste. « Le régalien est un sujet majeur, dont il faut parler, pour parler à notre électorat », continue Patrick Kanner, qui rappelle l’action « des années Jospin », avec Jean-Pierre Chevènement à l’Intérieur, ou plus récemment celle de « Manuel Valls et Bernard Cazeneuve », qui n’étaient pas « des ministres de l’intérieur laxistes ».

Si les dimensions sont nombreuses, pour Laurence Rossignol, « le cœur de l’affaire, ça reste celui de la mondialisation libérale et de ses effets dévastateurs. Les gens qui ne croient plus à la gauche, ne croient plus en sa capacité à inverser le cours de la mondialisation. Ils ne croient plus dans le collectif, mais plutôt que chacun peut s’en sortir tout seul ». Au final, selon la vice-présidente PS du Sénat, « c’est une bataille culturelle, une bataille contre l’individualisme » que la gauche doit mener. Une fois encore, les victoires idéologiques précèdent les victoires politiques.

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