Déserts médicaux : les sénateurs redoutent une « décennie noire »

Déserts médicaux : les sénateurs redoutent une « décennie noire »

La commission de l’aménagement du territoire du Sénat a publié un nouveau rapport sur la résorption des inégalités d’accès aux soins. Elle appelle à mettre en œuvre un certain nombre de solutions rapidement et à faire preuve d’ « audace », sans quoi les « fractures médicales » en France pourraient s’aggraver.
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« Le temps médical est une ressource rare et la situation médicale va encore se dégrader au cours de la décennie à venir […] Si rien n’est fait, le pire est devant nous. La perspective d’une décennie noire en termes de démographie médicale est une réalité. » Un rapport du sénateur Bruno Rojouan (LR), adopté à l’unanimité de la commission de l’aménagement du territoire, formule plusieurs propositions face à ce constat inquiétant. Dans le prolongement de deux rapports sur le sujet, qui remontent à 2013 et 2020, les sénateurs appellent à rééquilibrer « de toute urgence » l’offre de soins entre les territoires, et à répondre au manque de médecins, en leur libérant du temps pour les consultants et en favorisant leur exercice dans les zones en déficit de professionnels. Ils forment une trentaine de propositions dans ce sens.

Les données mises en exergue dans le rapport sont particulièrement saisissantes. Entre 2017 et 2021, le nombre de médecins généralistes a diminué en moyenne de 1 % par an. 30 % de la population française vit dans un désert médical, alors même que les besoins en santé augmentent, du fait de la démographie et du vieillissement de la population. Selon le rapport sénatorial, si rien n’est fait, le nombre de médecins généralistes pourrait poursuivre son déclin jusqu’en 2024. La densité médicale ne serait rétablie qu’en 2033.

« Les actions menées jusqu’à présent ont montré leurs limites »

L’égalité d’accès aux soins est un impératif de santé publique. Le rapport rappelle que « des retards de prise en charge susceptibles d’entraîner, dans les cas les plus graves, des pertes de chance ». La situation exige de « l’audace », selon le rapporteur. « Les actions menées jusqu’à présent ont montré leurs limites et il faut changer d’approche, car les aides à l’installation n’ont pas abouti aux résultats escomptés. »

Le rapport encourage vivement à « décharger le temps le médecin du temps administratif » et à mieux répartir les tâches entre les professionnels de santé. Plusieurs propositions font d’ailleurs écho au récent rapport de la commission d’enquête du Sénat sur la situation de l’hôpital et du système de santé, lequel préconise un rééquilibrage des missions entre urgences et cabinets de ville. Selon les pistes formulées par la commission de l’aménagement du territoire, l’une des réponses sera notamment de placer davantage de personnes autour des médecins libéraux. Il faut « accompagner de manière plus volontariste la montée en puissance des assistants médicaux et permettre le recrutement d’un assistant médical pour un ou plusieurs médecins dans les territoires sous-dotés », recommande-t-elle.

Les sénateurs veulent ainsi expérimenter l’accès direct à certaines professions médicales, permettre aux pharmaciens de renouveler les prescriptions médicales, ou encore créer un « statut d’infirmier en pratique avancée praticien ». Un médecin isolé ne peut pas prendre en charge un bassin de mille de personne. Avec l’embauche d’un assistant médical et la collaboration d’un infirmier en pratique avancée, le potentiel s’étend à 2000 ou 3 000 personnes, selon l’estimation de la commission.

Le rapport recommande d’évaluer les dispositifs incitatifs existants « pour en finir avec les aides inopérantes ». Parallèlement, de nouvelles pistes sont formulées pour attirer les médecins dans les déserts médicaux : encourager la poursuite de l’activité par les médecins retraités à travers des exonérations de cotisation, défiscaliser les permanences de soins, ou encore majorer les droits à la retraite après plusieurs années d’exercice dans ces territoires.

Conventionnement sélectif temporaire

D’autres mesures d’encadrement ont parfois été défendues lors de l’examen de récents projets de loi de santé. Les sénateurs de la commission veulent ainsi que dans les zones surdotées, l’installation d’un nouveau médecin soit conditionnée à la cessation d’activité d’un même spécialiste. Ils préconisent un conventionnement sélectif temporaire pour « rééquilibrer les installations ».

En matière de formation, le rapport propose de relever de 40 à 50 % le nombre de places dédiées lors des épreuves de fin de deuxième cycle des études de médecine générale. Corollaire de cette mesure : le rapport sénatorial affirme qu’il faut « accroître significativement les capacités de formation des facultés de médecine ». À long terme, « ce sont les capacités de formation qui constituent le levier principal des politiques d’offre de soins », rappellent-ils.

Autre proposition forte : la création d’une quatrième année de troisième cycle pour la médecine générale. La commission estime qu’elle rendrait possible « l’arrivée de 3 900 médecins juniors, prioritairement dans les zones sous-denses ».

La publication est aussi l’occasion d’adresser une piqûre de rappel au gouvernement. À l’initiative du Sénat, la loi relative à l’organisation et à la transformation du système de santé de 2019 prévoit une année de pratique ambulatoire en autonomie des étudiants de dernière année de médecine dans les déserts médicaux. Or, les textes d’application manquent toujours à l’appel pour faire vivre cette disposition. « La commission appelle le gouvernement à publier les décrets qu’il a promis de prendre. » Régulièrement, l’appel est réitéré dans l’hémicycle ou en commission.

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