« C’est à croire que le gouvernement ne sait pas comment fonctionne une commune », s’est agacé Philippe Laurent, maire de Sceaux, secrétaire général de l’Association des maires de France (AMF) et co-président de la commission Finances et fiscalité locales, lors d’un point presse, tenu cet après-midi.
Quel impact l’épidémie de covid-19 pour les finances publiques des collectivités ? C’est l’objet de l’enquête réalisée par l’AMF en partenariat avec la Banque des Territoires, sur la période du 2 août 2020 au 5 février 2021 réalisée auprès 1 869 communes et EPCI (établissement public de coopération intercommunale) représentant près de 20% de la population française.
Ce sont d’abord les dépenses d’investissements qui ont été fortement impactées. Les dépenses supplémentaires ont été engagées pour faire face aux besoins des habitants, des associations et des entreprises : ces dépenses ajoutées à la perte de recettes sont évaluées par l’AMF à environ 6 milliards d’euros sur 3 ans.
« Nous estimons que la perte tarifaire pour les communes est de plus de 2 milliards d’euros »
« L’achat de masques, l’achat de gels (…) il y a eu des dépenses supplémentaires que l’on peut chiffrer à plusieurs centaines de millions d’euros (…) Il y a eu aussi le maintien des dépenses de personnels municipaux (…) Il y a eu le maintien des dépenses d’intervention en matière social (…) Il y a eu des économies en matière d’achat de services (…) Mais en revanche, cette crise a générée des pertes pour les communes dès 2020 (…) Nous estimons que la perte tarifaire pour les communes est de plus de 2 milliards d’euros » a énoncé Philippe Laurent qui reconnait que certaines de ces recettes, comme les transports publics ont été compensées partiellement par l’Etat. « Mais une partie, notamment ce qui concerne l’enfance et la petite enfance, n’a pas été du tout compensée et c’est ce qui explique la baisse de recettes et la baisse de l’autofinancement ».
Pour le gouvernement, « la situation des collectivités territoriales se dégrade beaucoup moins que prévu »
Au mois de janvier dernier, cette question était déjà au cœur des préoccupations des sénateurs membre de la délégation aux collectivités territoriales et l’objet d’une audition du ministre en charge des Comptes Publics, Olivier Dussopt. « La situation des collectivités territoriales se dégrade beaucoup moins que ce que nous craignions, » assurait-il. Hors dépenses d’investissement, et en comptant les aides apportées aux transports publics, le ministre chiffrait les mesures d’urgence et de garanties apportées aux budgets des collectivités à 4,2 milliards d’euros.
Si le gouvernement a bien mobilisé des fonds importants pour compenser les pertes de recettes fiscales et domaniales des collectivités, il n’en a pas été de même pour les pertes de recettes tarifaires, liées aux équipements gérés par les communes notamment. Au Sénat, de nombreux amendements avaient été défendus lors de l’examen du budget pour aller dans ce sens. La perte des recettes tarifaires était évaluée par Olivier Dussopt à un milliard d’euros.
Pour l’AMF, la conséquence de cette baisse des recettes tarifaires va se traduire par une hausse de la fiscalité de la taxe foncière. « Parce ce que c’est à peu près la seule fiscalité qui reste à disposition (…) Pour 2021, il y a à peu près un tiers des collectivités qui envisagent ou qui l’ont déjà fait d’augmenter la taxe foncière. Il n’y en a eu que 7% en 2020 », expose le maire de Sceaux
L’investissement des communes n’est pas non plus épargné avec une baisse de 15% par rapport à 2020. « La crise sanitaire a retardé les élections (municipales), elle a pesé sur l’organisation des conseil municipaux et naturellement les programmes d’investissements ont été retardés. En raison du confinement, certaines entreprises qui avaient été choisies pour réaliser des travaux, ont rencontré des difficultés pour respecter leur planning », a exposé Antoine Homé, maire de Wittenheim et co-président de la commission Finances et fiscalité locales de l'AMF.
« L’Etat a tendance à se substituer aux communes dans le fléchage des investissements »
Néanmoins, la majorité des collectivités interrogées par l’AMF font part de leur volonté de poursuivre leur soutien à la reprise et de maintenir leurs prévisions d’investissements, mais de les décaler d’une année. Les élus s’inquiètent également de la bonne territorialisation des fonds du plan de relance que va mobiliser l’Etat dans le but de faire rebondir l’activité. « Les collectivités sont des agents économiques qui doivent être au premier rang pour soutenir leurs territoires », rappelle Antoine Homé qui dénonce cette tendance de « l’Etat a se substituer aux communes dans le fléchage des investissements ».
Si les attributions des appels à projets se feront en liaison avec les préfets, sur la base de ce qui existe pour la dotation de soutien à l'investissement local, « c’est le préfet de région qui reste décisionnaire. Ça rallonge le circuit de décision. Cette multiplication des décideurs est ressentie par les collectivités comme rendant plus complexe le dispositif. Ça fait longtemps qu’on demande que la décision soit rapatriée au niveau du département », expose Antoine Homé.
Contrats de Cahors : « Une absurdité totale »
De même, pour les élus, les contrats de Cahors (contractualisation financière nouée au début du quinquennat entre l’Etat et les 300 plus grandes collectivités locales), ne sont pas de nature à décentraliser la relance dans les territoires. « Certaines dépenses sont génératrices de recettes (…) Aller plafonner les dépenses des collectivités locales, c’est une absurdité totale, c’est considérer qu’on gère de l’argent de poche, ce n’est pas du tout comme ça que ça se passe (…) Nous rejetons tout retour de ces fameux contrats de Cahors. Nous n’en voulons pas. Ce sont des méthodes qui sont nuisibles pour le pays et qui montent malheureusement l’appauvrissement intellectuel de l’Etat », a taclé Philippe Laurent. Pour rappel, la Commission pour l’avenir des finances publiques, présidée par le centriste Jean Arthuis, recommandait d’étendre les contrats de Cahors.
Enfin, les représentants de l’AMF ont rappelé que 1400 centres de vaccination sur 1700 étaient communaux. Philippe Laurent chiffre à 60 000 euros par mois, le coût de fonctionnement du vaccinodrome qui regroupe les communes de Sceaux, d’Anthony et de Bourg-la-Reine. Une facture que les élus aimeraient partager avec l’Etat, la santé n’étant pas une compétence des communes, « mais il y a une fin de recevoir de l’Etat pour l’instant », indique le maire de Sceaux.