La porte-parole du gouvernement Maud Bregeon a assuré ce mercredi à la sortie du Conseil des ministres qu’Emmanuel Macron a acté qu’il n’y avait pour le moment pas « de socle plus large que celui qui est en place aujourd’hui » pour gouverner. Mais, après les consultations des responsables de partis mardi, « le président continue à écouter et à tendre la main ».
Deux parlementaires proposent un « virage » dans la lutte contre la fraude sociale
Par Public Sénat
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Dans une période où l’efficience de la dépense publique et le consentement à l’impôt sont devenus une préoccupation de tous les jours pour le gouvernement, le résultat de cette mission installée par Matignon était attendu. Le gouvernement en avait fait un « objectif majeur ». Nommées le 28 mai dernier par Édouard Philippe, la sénatrice centriste Nathalie Goulet (UDI) et la députée (La République en marche) Carole Grandjean ont dévoilé ce 3 septembre une batterie de mesures pour lutter contre la fraude aux prestations sociales.
Leurs idées ont vocation à être mises en œuvre rapidement, soit par la voie réglementaire, soit législative. Les projets de loi de finances (PLF) et de financement de la Sécurité sociale (PLFSS), discutés cet automne, devraient être deux occasions de réceptionner leurs amendements.
Nathalie Goulet et Carole Grandjean espèrent une « rupture »
« Il y a la volonté de commencer à mettre dans le débat public un certain nombre de pistes, qui nous paraissent marquantes, et prendre le pas d’un virage », explique la députée de Meurthe-et-Moselle. Sa collègue sénatrice de l’Orne, investie depuis des années sur cette thématique, espère elle aussi une « rupture politique » contre ce qu’elle nomme une « mauvaise volonté ». « Il faut absolument que la volonté de ceux qui veulent lutter contre la fraude l’emportent contre l’immobilisme. On ne peut pas continuer à accepter pendant des années les mêmes réserves de la part de la Cour des comptes et ne pas avancer. »
À combien s’élève la fraude sociale en France ? Il s’agit d’une des questions formulées par le Premier ministre dans sa missive. Mais à ce stade de la mission, l’étendue du problème n’est pas encore quantifiable précisément. Malgré 90 auditions, trois mois de travaux sont encore nécessaires pour finaliser l’enquête. D’une estimation à l’autre sur la fraude documentaire et les fausses immatriculations, c’est parfois le grand écart. Un rapport du sénateur (Modem) Jean-Marie Vanlerenberghe, spécialiste du budget de la Sécurité sociale, estimait le coût pour les finances publiques dans une fourchette comprise entre 200 et 300 millions d’euros par an, quand un magistrat spécialisé sur ces questions l’évaluait à 14 milliards d’euros, soit 50 fois plus (relire notre article). Nathalie Goulet a jugé que le calcul de son collègue, siégeant dans le même groupe de l’Union centriste, était « hors de propos », promettant prochainement un chiffrage « sérieux ».
Un décalage majeur sur le nombre de personnes en vie dans les fichiers
Au niveau européen, une étude de l’université de Portsmouth chiffrait le montant des fraudes entre 3 % et 10 % du montant global des prestations sociales, ce qui représenterait 15 à 45 milliards d’euros pour la France. En attendant un diagnostic plus précis, les deux parlementaires ont d’ores et déjà identifié une incohérence de taille dans les répertoires des organismes. Dans un courriel adressé fin juillet aux deux élues, l’Insee a indiqué que 14,7 millions de personnes centenaires étaient inscrites dans le Répertoire national d’identification des personnes physiques (RNIPP), l’instrument de vérification de l’état civil qui sert notamment aux organismes de Sécurité sociale. Faute d’actes de décès communiqués, 3,1 millions d’entre entre eux sont « réputés en vie » : un chiffre bien supérieur aux quelque 21.000 centenaires recensés par l’Insee en 2016.
Les deux parlementaires le reconnaissent, « il y a un vrai sujet autour du suivi des décès en France » : c’est la « première urgence » listée. Sur ces dossiers, certains sont probablement encore actifs auprès des organismes sociaux, avec le risque de prestations indues que cela implique. « Nous irons très prochainement à la Caisse nationale d’assurance vieillesse pour effectuer une enquête », promet la députée Carole Grandjean. Un audit extérieur sur ce fichier national des identités devrait être organisé. Et pour éviter tout risque de fraudes à l’avenir, la mission gouvernementale préconise de sécuriser les actes d’état civil, avec des normes uniques pour toutes les mairies. Ou encore l’obligation d’instaurer une preuve de vie pour les assurés des caisses de Sécurité sociale, sur le même modèle de ce qui se pratique déjà pour les banques et les assurances (loi Eckert), insiste Nathalie Goulet. Toujours dans la protection des registres d’état civil, la mission gouvernementale suggère d’harmoniser les critères de validité des actes sur ceux actuellement utilisés par la Police de l’air et des frontières. Actuellement, les différentes caisses d’organismes sociaux n’ont pas tous les mêmes standards.
Une durée de vie limitée pour les cartes vitales
Un autre trou dans la raquette devrait aussi être comblé d’urgence, de l’avis des deux parlementaires : celui des cartes vitales. Nathalie Goulet et Carole Grandjean imaginent une limitation de la durée de validité de cette carte utilisée pour les remboursements d’actes médicaux, avec un mécanisme de contrôle dans la reconduction. « Ce n’est pas anodin. Ce sont des dispositions qu’ont déjà prises d’autres États européens. Si on quitte définitivement le territoire, la carte doit être désactivée. Prenons le cas d’un étudiant Erasmus : s’il repart aujourd’hui, sa carte n’est pas désactivée et ouvre donc sur un certain nombre de risques et de fraudes », avertit Carole Grandjean.
Au niveau européen, la politique de coopération sur les fraudes au niveau transfrontalier doit être renforcée, notamment pour éviter que les prestations soient versées sur des comptes bancaires domiciliés à l’étranger ou par le biais d’entreprises éphémères. La fraude aux prestations sociales « n’est pas une fraude de pauvres, mais une fraude de réseaux », insiste la sénatrice Nathalie Goulet. À l’échelle nationale, tout doit être remis à plat, estiment les deux parlementaires, constatant que les Codaf, les comités opérationnels départementaux anti-fraude, n’ont pas tous les mêmes pratiques. Un meilleur partage et croisement des données est réclamé.
Et cette politique doit être pilotée différemment, animée au niveau national. La sénatrice et la députée plaident pour l’émergence d’un secrétariat d’État dédié à la lutte contre les fraudes sociales mais aussi fiscales, deux segments que les parlementaires refusent d’opposer. « Ce n’est pas la fraude sociale contre la fraude fiscale. Les deux sont aussi importantes l’une que l’autre. Ce sont des atteintes à notre vie en société et aux finances publiques », souligne Nathalie Goulet.