Devant l’afflux des réfugiés ukrainiens, la Roumanie fait ce qu’elle peut
Depuis le début de la guerre, plus de 700 000 Ukrainiens ont transité par la Roumanie. Un défi pour les autorités de ce pays membre de l’Union européenne. Reportage dans l’Est du pays, au poste frontière d’Isaccea et dans la ville de Galati.

Devant l’afflux des réfugiés ukrainiens, la Roumanie fait ce qu’elle peut

Depuis le début de la guerre, plus de 700 000 Ukrainiens ont transité par la Roumanie. Un défi pour les autorités de ce pays membre de l’Union européenne. Reportage dans l’Est du pays, au poste frontière d’Isaccea et dans la ville de Galati.
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Par Fabien Recker

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L’Ukraine est juste en face, de l’autre côté du fleuve. Plusieurs fois par jours, une barge traverse le Danube. A son bord, quelques camions de marchandises, et des familles qui laissent derrière elles un pays en guerre. Au poste frontière d’Isaccea, elles débarquent sur le sol roumain.

Daniel Hagianu leur distribue de la nourriture à la descente du bateau. Cela fait un mois que ce volontaire de l’organisation humanitaire ADRA est présent à Isaccea. « Le drame pour ces familles, c’est qu’elles ne savent pas quand elles rentreront, ni ce qu’elles trouveront au retour » soupire Daniel, le regard triste. « On essaie de leur remonter le moral. Mais le moral est à terre ».

En grande majorité des femmes et enfants

Au début de la guerre, plusieurs milliers d’Ukrainiens affluaient chaque jour à Isaccea. Après une accalmie, le nombre d’arrivées est reparti à la hausse, à mesure que la situation s’est dégradée à Odessa, située à cinq heures de voiture. Sur le bateau qui vient d’arriver, ils sont environ une centaine.

En grande majorité des femmes et enfants. L’association roumaine Salvati Copii (« Sauvez les enfants ») a déployé sa tente à la sortie de l’embarcadère. Deux jeunes femmes d’Odessa se présentent avec de lourdes valises et une poussette. « Nous sommes avec un bébé qui a besoin d’un traitement. Nous devons l’emmener dans un hôpital en Italie » expliquent-elles. « Dans la tente, nous avons tout ce dont des parents accompagnés de jeunes enfants ont besoin », assure Carolina Cucu, de l’association Salvati copii. « De quoi les nourrir, de quoi les changer ».

Fuir le cauchemar

Haut-commissariat aux réfugiés, Croix-Rouge, ainsi que des dizaines d’ONG roumaines travaillent vingt-quatre heures sur vingt-quatre à Isaccea. Le parcours est millimétré, et l’organisation mise en place depuis le début de la guerre désormais bien rodée.

Après la prise en charge des premiers besoins, vient le temps des formalités. Isaccea est la porte d’entrée dans l’Union européenne. Les réfugiés ukrainiens y reçoivent un titre de séjour temporaire, qui leur permettra de voyager dans l’UE. Et de fuir le cauchemar. Devant la guérite de la douane, une habitante d’Odessa lutte pour contenir ses larmes. « Nous avons vécu dans la peur, la panique, les bombardements. C’est un quotidien que je ne souhaite à personne ».

Galati, « hub » pour les réfugiés

 

De l’autre côté du poste frontière, un grand parking. Un car charge ses derniers passagers, avant de prendre la route pour Bucarest. D’autres continueront leur périple en voiture, emmenés par des proches, vers des destinations en Roumanie ou plus loin à l’Ouest.

Nombre d’entre eux trouvent un point de chute à Galati. Une cité industrielle, située sur les rives du Danube, à une cinquantaine de kilomètres au Nord-ouest d’Isaccea. Milena Schiopu est arrivée là il y a un mois avec sa fille Masha, 5 ans, en provenance de la ville ukrainienne d’Izmail. Avec 70 autres personnes, elle est logée dans un bâtiment d’habitation transformé en centre d’accueil, dans un quartier populaire à la périphérie de la ville.

A la télé roumaine, des programmes en ukrainien

 

« On a emmené le strict minimum. En une demi-heure, on fait nos valises. J’ai mis dans un sac tout ce qui me tombait sous la main », raconte cette mère de famille de 23 ans. « On est arrivés à Galati, et je suis contente ici. Parce que les gens sont bons avec nous ».

Le soir, Milena rejoint d’autres mamans dans le foyer de l’immeuble. Pendant que les enfants jouent, les femmes se rassemblent devant la télé. En solidarité avec les réfugiés, la télévision roumaine interrompt son antenne, chaque soir à 20 heures, pour diffuser des programmes ukrainiens.

« Depuis le début de la guerre, cinq chaines ukrainiennes se sont réunies pour faire un programme en commun », explique Milena. « Il n’y a pas de dessins animés, pas de publicité, que des infos sur le conflit. Ça raconte tout ce que fait l’Ukraine pour se défendre des Russes », se félicite la jeune femme.

Retour à l’école

 

D’abord à l’initiative de la population roumaine, l’aide aux réfugiés a rapidement été reprise en main par les autorités. « Nous avons d’autres lieux d’hébergement » détaille Teodora Diaconita, fonctionnaire au département des situations d’urgence. « L’université de Galati nous met à disposition deux bâtiments de la cité universitaire. Environ 200 personnes sont actuellement hébergées là-bas ».

Outre l’hébergement, les autorités font leur possible pour organiser la scolarisation des enfants. Le lendemain matin, une atmosphère de rentrée scolaire flotte dans la petite école primaire numéro 16, située non loin du centre d’hébergement. Milena accompagne sa fille Masha dans la classe, avec d’autres mamans ukrainiennes et leurs enfants.

Langage des signes

 

« Hello ! I am your english teacher ! » annonce, avec un grand sourire, Anca Patriche à la vingtaine d’enfants assis dans la salle. Ils ont entre 5 et 14 ans. En temps normal, Anca est professeur de roumain. En plus de ses heures habituelles, elle s’occupe bénévolement de cette classe spéciale pour les enfants des réfugiés. « Ce n’est pas facile, on y met toute notre créativité », témoigne Anca Patriche. « Il faut parler anglais, roumain, un peu d’ukrainien… Et le langage des signes fonctionne très bien ! ».

Il s’agit aussi de repérer les niveaux des différents élèves, en vue de leur intégration dans le système scolaire roumain. Le cours d’anglais touche à sa fin. Dans la cour de récré, plantée de deux panneaux de basket, le prof de sport prend le relai. Anca Patriche a sacrifié sa pause déjeuner pour s’occuper des élèves ukrainiens, mais n’a rien perdu de sa bonne humeur. « On s’est fixés pour but d’être une école inclusive… On ne s’attendait pas de l’être à ce point ! » plaisante Anca. « Il paraît que le bon Dieu nous donne à chacun sa mission ».

Depuis le début de l’invasion russe en Ukraine, plus de 700 000 réfugiés ukrainiens ont transité par la Roumanie. 82 000 d’entre eux sont restés dans le pays à ce stade, dont 36 000 enfants.

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