Pas encore officiellement lancée, la candidature de Gabriel Attal pour prendre la tête de Renaissance ne fait plus beaucoup de doute en interne. Une bataille d’ex-premiers ministres, face à Elisabeth Borne, déjà candidate, va s’engager, au risque de tomber dans la guerre des chefs. Mais certains, à commencer par Emmanuel Macron, prônent un accord pour avoir un seul candidat.
Didier Migaud à la Justice : un mélange d’interrogations et d’espoirs au Sénat
Publié le
Les chassés-croisés à l’hôtel de Bourvallais sont décidément imprévisibles. On se souvient de l’été 2020 et de l’arrivée surprise Éric Dupond-Moretti à la chancellerie. L’arrivée du ténor du barreau était de très loin la nomination la plus marquante du gouvernement de Jean Castex. La transmission des Sceaux de la République a une nouvelle fois déjoué les pronostics ces dernières heures. Le président Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), Didier Migaud, 72 ans, a officiellement pris la succession au ministère de la Justice ce 23 septembre.
Ancien président de la commission des finances de l’Assemblée nationale (2007-2010), puis premier président de la Cour des comptes (2010-2020), ce spécialiste des questions budgétaires étant sans doute plus attendu à Bercy qu’à la place Vendôme. Seule caution de gauche — il est issu du PS qu’il avait quitté en 2010 pour garantir une neutralité à la tête de la Cour des Comptes puis de la HATVP — Didier Migaud renoue à 72 ans avec un poste politique très exposé. Son portefeuille a été placé au sommet de la hiérarchie protocolaire des ministres, dans un gouvernement Barnier qui se veut offensif dans les thématiques régaliennes. En témoigne le ton martial employé par le nouvel homme fort du ministère de l’Intérieur, Bruno Retailleau (LR), qui fait du « rétablissement de l’ordre sa priorité ».
Sa place dans un gouvernement plus à droite que les précédents a de quoi surprendre. Le nouveau garde des Sceaux a livré ce matin une feuille de route d’apparence consensuelle. Il espère renforcer la confiance des Français dans l’institution judiciaire, mais aussi « faire progresser la justice pour la rendre plus proche des citoyens, plus juste et plus rapide ». Mais Didier Migaud laisse pour le moment sans doute davantage de questions que de réponses, du fait de son devoir de réserve ces dernières années. « J’arrive ici avec un regard neuf sur la Justice », a-t-il résumé.
Un homme capable d’être « impartial », selon le sénateur LR Etienne Blanc
Au Sénat, qui a servi de vivier pour une partie non négligeable du gouvernement, l’arrivée de Didier Migaud dans cet attelage gouvernemental précaire ne suscite pas de commentaires malveillants. « Je l’ai connu très à gauche, comme étant assez dogmatique. Ensuite, il a eu une seconde carrière, de magistrat financier. Et là, on a vu quelqu’un d’assez impartial, de très indépendant, avec une hauteur de vue », décrit le sénateur LR Etienne Blanc, qui l’a côtoyé à l’Assemblée nationale au début des années 2000. « Je tire mon chapeau à ses rapports à contre-courant de ce que pensait le Parti socialiste à l’époque. Il s’est mis en porte-à-faux de son ancien groupe », témoigne le sénateur LR du Rhône au sujet de son ancien collègue parlementaire de l’Isère.
« Gardera-t-il la même impartialité au ministère de la Justice ? Je crois qu’il en est capable, la question, c’est est-ce qu’il le voudra ? Pour ma part, je crois que c’est plutôt sur cette version qu’on va le connaître », espère Etienne Blanc.
Sa collègue Marie Mercier (LR), membre de la commission des lois, se garde aussi de faire tout procès d’intention. « Il est très rigoureux et sérieux. Je suis positive, attendons de voir », déclare la sénatrice de Saône-et-Loire, spécialisée sur les travaux législatifs relatifs aux mineurs. « Je mets beaucoup d’espoir dans Didier Migaud, dans un travail qui soit transversal avec le ministre de l’Intérieur et la ministre chargée de l’Enfance. »
« C’est un changement clair de personnalité, mais il y avait eu aussi un gros changement entre Nicole Belloubet et Eric Dupond-Moretti, et cela s’est très bien passé », cherche à relativiser Dominique Vérien, sénatrice Union centriste également membre de la commission des lois. Présente ce matin à la cérémonie de passation de pouvoir, la sénatrice de l’Yonne mesure le chemin accompli durant ces quatre dernières années : l’amélioration du traitement judiciaire contre les violences intrafamiliales avec le « Plan rouge vif » ou encore les nombreuses créations de postes de magistrats et de greffiers.
Un « homme sérieux », « à la hauteur des enjeux », pour la centriste Dominique Vérien
« Le garde des Sceaux a énormément agi pendant ces quatre années. Ce que j’espère, c’est que Didier Migaud ne va pas couper cet élan qui a été mis en place. C’est quand même un homme sérieux, je ne doute pas qu’il sera à la hauteur des enjeux », poursuit la rapporteure pour avis de la commission des lois sur les crédits de la mission Justice. La sénatrice cite en particulier la transformation numérique au ministère, ou encore le développement des résolutions de conflits à l’amiable.
A l’heure où Michel Barnier s’attèle à construire l’un des projets de loi de finances les plus périlleux de la Ve République, Eric Dupond-Moretti a d’ailleurs chargé son successeur de veiller à conserver la trajectoire budgétaire pour la Justice. Ne pas respecter la loi de programmation de la Justice serait « une trahison et un signal dévastateur », a-t-il prévenu. Didier Migaud s’est voulu rassurant sur ce point, soulignant à deux reprises que la Justice serait une priorité. « On peut être partisan d’une maîtrise budgétaire, sans remettre en cause les priorités », a-t-il expliqué, sur le perron du ministère. D’ici au dépôt tardif du projet de loi de finances, les doutes sont loin d’être levés. La loi de programmation prévoit pour 2025 un budget en progression, qui atteindra 10,7 milliards d’euros.
Or, selon le tiré à part « intermédiaire » transmis la semaine dernière par Matignon aux commissions des finances, il est prévu un plafond prévisionnel de 10,2 milliards. Les arbitrages peuvent encore changer, maintenant que le gouvernement est constitué. Les sénateurs peinent à imaginer une remise en cause de la loi de programmation. « Vous ne pouvez pas, compte tenu du poids qu’a pris la question de la sécurité et de l’immigration, dans le vote des Français et des Européens, relâcher la bride. Ce n’est pas possible. Si on revenait sur cette loi, ce serait un tollé dans la justice et la police », estime Etienne Blanc.
« Il y a un sujet sur lequel on va l’attendre, c’est la construction de places de prisons. Si on veut des magistrats libres et indépendants, il faut leur donner la possibilité d’incarcérer », insiste le sénateur du Rhône. « Je veux que Didier Migaud montre son côté humain. Il faut changer des choses. Les prisons sont pleines avant d’être inaugurées ! » : la sénatrice Marie Mercier plaide pour des réponses rapides face à la délinquance de la jeunesse.
« On va voir ce qu’il fera », commente prudemment le socialiste Pierre-Alain Roiron
Quant aux socialistes, plusieurs disent faire confiance au nouveau garde des Sceaux, avec certains points de vigilance. « À ce stade, je ne peux que lui faire crédit, en espérant qu’il aura la capacité et la volonté de défendre notre Etat de droit et notre Constitution », l’encourage la sénatrice de la commission des lois Marie-Pierre de la Gontrie. « Sur le plan humain, il est quelqu’un d’honnête, de respectueux et d’agréable », confiait à nos confrères du Journal du Centre Patrice Joly. Tout en s’interrogeant : « Sur le plan politique, à voir ce qu’il pourra apporter au nouveau gouvernement. »
Pierre-Alain Roiron, sénateur PS d’Indre-et-Loire siégeant depuis un an à la commission des lois, se montre même sceptique, auprès du même journal. « Je suis étonné parce que ce gouvernement ne correspond pas aux idées qu’il a défendues pendant une période de sa vie. Je ne m’attendais pas à ce qu’il revienne comme ça sur le devant de la scène politique. On va voir ce qu’il fera. Sur les peines planchers notamment. »
En 2007, Didier Migaud avait voté contre la loi qui a instauré les peines minimales en cas de récidive. Abrogée en 2014, cette disposition figurait dans le programme de Michel Barnier, qui visait l’investiture de son camp pour la présidentielle en 2021. La mesure faisait aussi partie du récent pacte législatif défendu par la droite. Reste à voir ce que décidera de faire le ministère de la Justice, et plus largement le gouvernement, sous la menace du Rassemblement national à l’Assemblée nationale.
Le sénateur LR Etienne Blanc, qui était rapporteur de la commission d’enquête sur le narcotrafic, rappelle aussi au nouveau ministre qu’un texte législatif transpartisan et clé en main l’attend, pour améliorer la lutte contre les stupéfiants. « Il y a des dispositifs lourds, sur la rénovation du statut des repentis, des indicateurs et des informateurs, pour faciliter les saisies et confiscations. Le PS n’est pas forcément très allant sur ces sujets, on verra si le ministre est pour », s’interroge le sénateur.
Pour aller plus loin