Le rachat de Twitter par le milliardaire Elon Musk, chantre d’une « liberté d’expression totale » sur le réseau à l’oiseau bleu, pourrait constituer un nouveau défi pour l’Union Européenne, qui fourbit depuis de longs mois ses armes contre les poids lourds de l’Internet. Samedi 23 avril, le Conseil et le Parlement européens se sont entendus sur un texte historique visant notamment à mieux réprimer les contenus illégaux postés sur les plateformes, en particulier les géants des réseaux sociaux que sont Facebook et Twitter. Le Digital Services Act (DSA) « obéit au principe selon lequel ce qui est illégal hors ligne doit également être illégal en ligne. Elle vise à protéger l’espace numérique contre la diffusion de contenus illicites et à garantir la protection des droits fondamentaux des utilisateurs », indique un communiqué du Conseil européen. Avec ce texte, les plateformes en ligne qui proposent leurs services en Europe seront désormais tenues de supprimer les contenus illégaux, devront s’assurer que les produits proposés à la vente ne sont pas contrefaits, mais aussi faire preuve d’une plus grande transparence vis-à-vis des algorithmes qu’elles utilisent pour orienter les utilisateurs vers certains contenus.
« La législation sur les services numériques constitue une première mondiale dans le domaine de la réglementation numérique », salue encore le Conseil européen, qui espère ainsi mettre un frein à certaines dérives de l’Internet, tels que les campagnes de harcèlement et de haine en ligne, ou encore les mouvements massifs de désinformation, à l’image des accusations complotistes qui ont poussé à la remise en cause des résultats de l’élection présidentielle américaine de 2020 et à l’envahissement du Capitole à Washington.
Que contient le Digital Services Act ?
Le DSA constitue le second volet d’un important paquet législatif avec le « Digital Markets Act (DMA), le règlement sur les services numériques, sur lequel les institutions européennes sont tombées d’accord en mars. Le DMA s’attaque pour sa part aux pratiques commerciales anticoncurrentielles, visant ainsi à créer un espace commercial plus équitable pour les différentes entreprises du numérique, tout en renforçant la liberté de choix des consommateurs.
De leur côté, les 74 articles du DSA viennent supplanter la directive européenne sur le e-commerce, adoptée en 2000 pour réguler les services en ligne, à une époque où le développement des réseaux sociaux n’en était encore qu’à ses balbutiements. Le DSA contraint les plateformes à supprimer les contenus qui enfreignent les réglementations nationales et européennes, après signalement par une autorité judiciaire ou administrative telle que la Cnil ou l’Arcom (ex-CSA). Il est également demandé aux plateformes de suspendre les utilisateurs enfreignant régulièrement la loi.
Google, Facebook et autres Twitter devront publier des rapports réguliers et clairs sur la modération de leurs contenus, mais également faire preuve de transparence sur le fonctionnement des algorithmes de recommandation. Certaines données personnelles, comme la sexualité ou les opinions politiques, ne pourront plus être utilisées à des fins de ciblage publicitaire.
Également dans le viseur du DSA : ce que l’on appelle les « dark pattern ». Il s’agit de fausses publicités ou de messages intempestifs, qui apparaissent, par exemple, pendant la lecture d’un article ou le visionnage d’une vidéo, et poussent l’utilisateur à modifier le paramétrage de son compte en cochant une case ou en cliquant sur l’un des boutons de la fenêtre, afin de pouvoir continuer sa lecture.
Le DSA s’attaque également à la vente en ligne. Des plateformes comme Amazon devront s’assurer de l’identité de leurs fournisseurs avant de proposer leurs produits. Il s’agit de lutter contre les contrefaçons et les biens qui arrivent, via Internet, sur le marché sans respecter les normes européennes en termes de santé ou de sécurité.
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De quels leviers dispose l’UE pour faire appliquer le DSA ?
C’est l’une des principales difficultés des États européens : parvenir à collaborer avec des entreprises généralement domiciliées en dehors de l’UE. Le DSA institue la création d’un « Coordinateur des services numériques » dans chaque Etat membre, chargé de veiller au respect de la nouvelle réglementation, en lien avec la Commission européenne qui pourra infliger des amendes atteignant jusqu’à 6 % du chiffre d’affaires annuel.
À noter que le DSA opère une distinction entre les plateformes et les moteurs de recherche qui comptabilisent plus de 45 millions d’utilisateurs par mois, et les plus petites structures. Les nouvelles obligations seront plus strictes à l’égard des très grands acteurs du numérique, une manière de préserver le développement de nouvelles start-up.
Pourquoi s’agit-il d’une victoire politique pour la France ?
L’adoption du DMA et du DAS faisait partie des dossiers brûlants de la présidence française du Conseil de l’Union européenne, qui doit prendre fin le 30 juin. Depuis plusieurs années, la France a marqué sa volonté de mieux encadrer les activités des grandes plateformes du numérique, les fameux Gafam, sur le territoire européen, comme en témoigne l’adoption en 2019, par le Parlement français, de la taxe sur les services numériques. Au niveau européen, le DMA et le DSA ont été largement portés par le commissaire français au Marché intérieur, Thierry Breton, et son homologue à la Concurrence, la Danoise Margrethe Vestager.
Prochaine étape du parcours législatif : l’accord politique doit être ratifié par le Comité des représentants permanents des Etats membres (Coreper), un organisme chargé de finaliser les textes législatifs avec des ajustements techniques, avant qu’ils ne repassent devant le Conseil.