C’est l’une des annonces notables du discours de politique générale de François Bayrou devant les députés, mardi après-midi. Le Premier ministre a annoncé vouloir créer une banque de la démocratie « pour que le financement de la vie politique ne dépende pas de banques privées ».
Ce nouveau mode de financement des partis politiques, mais aussi des syndicats, qu’il souhaite voir « reconnus comme des mouvements d’utilité publique », doit permettre une meilleure prise en compte du pluralisme et d’éviter de passer par « des stratégies de contournement ». « L’argent ne doit pas diriger les consciences. La banque de la démocratie traitera du problème des financements de ces organisations ». Pour le Béarnais, cette banque de la démocratie devra être « le fait d’organismes publics placés sous le contrôle du Parlement ».
Le principe de la banque de la démocratie était cher à François Bayou, au point d’être l’une des conditions de son ralliement au candidat Macron en février 2017. La banque de la démocratie devait être l’une des principales mesures du projet de loi pour la confiance dans la vie politique, porté par l’éphémère garde des Sceaux.
En présentant le projet de loi en juin 2017, le maire de Pau avait évoqué des « démarches parfois humiliantes à l’égard de banques privées », mettant en avant les propres difficultés rencontrées par le MoDem lorsqu’il avait sollicité des prêts. « Il est insupportable qu’une banque privée ait le droit de vie ou de mort sur une formation politique ». Le garde des Sceaux de l’époque avait alors exposé le projet d’une banque publique, ayant pour mission d’aider les partis à financer leurs activités et notamment leurs campagnes électorales. L’établissement aurait été adossé à la Caisse des dépôts. Mais François Bayrou ne défendra pas la mesure devant le Parlement, contraint de démissionner à peine plus d’un mois son entrée en fonction, sur fond d’accusations dans l’affaire des assistants parlementaires européens.
Doutes du conseil d’Etat
Le gouvernement avait, par la suite, été contraint de renoncer à inscrire cette disposition dans le projet de loi de confiance dans la vie politique, le Conseil d’Etat ayant fait part de ses doutes sur l’opportunité de créer une nouvelle structure bancaire. Il soulignait que le projet de loi prévoyait déjà, pour garantir la transparence du financement de la vie politique, un médiateur du crédit aux candidats et aux partis politiques, chargé de faciliter le dialogue avec les banques. Le ministère de la Justice décida d’introduire une habilitation à légiférer par ordonnance, ce qui devait lui laisser le temps de peaufiner ce sujet complexe, notamment sur le front de la réglementation bancaire.
L’idée est enterrée en 2018
Au détour d’un débat sur un amendement sur la réforme constitutionnelle, le 16 juillet 2018, la garde des Sceaux Nicole Belloubet enterre pour de bon le projet de banque de la démocratie. La ministre justifie l’abandon par les conclusions d’un rapport de l’Inspection générale de l’administration et de l’Inspection générale des finances. « L’accès au crédit, pour se concentrer sur ce sujet, relève moins d’une absence d’offre bancaire, que viendrait combler la banque de la démocratie, que de questions d’informations ou de délais, qui pourraient être réglées par le médiateur du crédit », justifie Nicole Belloubet. La ministre ajoute au passage que la création d’une telle banque « ne faisait pas consensus », du fait de la lourdeur du dispositif ou de l’immixtion de l’Etat.
Le RN dénonçait une « démocratie est verrouillée »
Le débat refait pourtant vite surface. Au printemps 2019, pour la campagne des européennes, le Rassemblement national peine une fois encore à rassembler des fonds. « La démocratie est verrouillée », dénonce la tête de liste Jordan Bardella. Au Sénat, les centristes posent à nouveau le problème du financement des campagnes électorales. Le président du groupe Union centriste, Hervé Marseille interpelle le gouvernement dans une question écrite sur les difficultés rencontrées par plusieurs formations politiques dans l’accès au crédit. Dans sa réponse, le ministère de l’Intérieur s’était montré relativement rassurant, affirmant qu’il y avait une absence de défaillance « systématique » des banques et que l’organisation bancaire apparaissait « fonctionnelle ». Ce qui n’était pas l’avis du sénateur (LR) Jacques Genest, rapporteur des crédits de la mission « financement de la vie politique ». « Contrairement au gouvernement, je pense que le financement de la vie politique se heurte à certaines imperfections de marché ». Il invitait à « ne pas fermer le dossier de la banque de la démocratie ».
La loi du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique a, néanmoins, fait évoluer la législation sur le financement des campagnes électorales, en encadrant davantage le recours à l’emprunt. Le but étant de garantir l’indépendance des partis politiques et d’éviter certains contournements. Ainsi, les prêts accordés par des personnes physiques ne peuvent dépasser une durée de cinq ans et sont plafonnés. Ils doivent également respecter certaines conditions énoncées par décret. Ils ne peuvent pas comporter des conditions financières plus avantageuses que celles habituellement pratiquées, pour éviter qu’ils ne s’apparentent à des dons déguisés. La loi interdit aussi désormais à tout État étranger ou banque non-européenne de prêter de l’argent à un parti ou à un candidat pour financer sa campagne électorale, et ce, dans le but de prévenir toute ingérence étrangère dans la vie publique française. En 2014, le Front national avait dû se tourner vers une banque russe. À la même époque, de grands établissements bancaires français laissaient entendre qu’il allait être difficile pour des formations politiques de contracter des prêts, pour des raisons économiques, mais aussi de neutralité politique.
Depuis 8 ans, François Bayrou a défendu inlassablement son cheval de bataille. « Ce serait un progrès démocratique majeur et ce serait une faute de l’écarter », déclarait-il encore au mois de juin 2021.