Paris : Gabriel Attal ‘s government statement of general policy
French Prime Minister Gabriel Attal delivers his government statement of general policy before the National Assembly, on January 30, 2024, three weeks after his appointment by the French President.//ACCORSINIJEANNE_ACORSINI0001/Credit:Jacques Witt/SIPA/2401301608

Discours de politique générale : « Sans-faute sur la forme », Gabriel Attal confirme « la droitisation » du macronisme

La mise en avant de la valeur travail, les mesures punitives à l’encontre des jeunes délinquants et l’allégement des normes sont autant d’éléments qui marquent à droite la déclaration de politique générale effectuée par le Premier ministre ce mardi 30 janvier.
Romain David

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Gabriel Attal, le Premier ministre, a présenté ce mardi après-midi, devant l’Assemblée nationale, les grandes priorités de son gouvernement. Au cours d’une prise de parole d’1h20, le chef du gouvernement a longuement vanté le bilan de la majorité depuis 2017, avant d’évoquer les questions de travail et de rémunération, la sécurité et les enjeux de souveraineté, mais aussi la transition écologique et la crise du logement. Il est également revenu sur la crise agricole, sujet sur lequel il était particulièrement attendu alors que le monde paysan reste fortement mobilisé pour dénoncer l’empilement des normes, les contraintes environnementales et les choix politiques opérés au niveau européen.

« C’est un bon orateur, le discours était clair et dynamique. Sur la forme, c’est un sans-faute », reconnait Philippe Moreau-Chevrolet, professeur de communication politique à Sciences-Po et président de MCBG Conseil. « Sur le fond, cela ressemble beaucoup à un discours qu’aurait pu prononcer Emmanuel Macron, ce qui conforte ce Premier ministre dans son rôle de porte-parole du président de la République. Si Gabriel Attal impose sa marque en termes de communication, fait montre de sa capacité à occuper l’espace médiatique, il n’a pas encore d’épaisseur politique. »

Même constat pour le politologue Olivier Rouquan, chercheur associé au CERSA, qui estime que la forme l’a emporté sur le fond. « Il s’est montré très énergique, conforme à son image, avec des phrases assez courtes, débitées très vites, à tel point que l’on a pu avoir du mal à le suivre. S’il a renouvelé l’exercice de la déclaration de politique générale, c’est principalement sur ce registre », analyse l’enseignant. « Fraicheur du bon élève fonceur qui ne s’est pas laissé impressionner par les cris et les critiques de la salle, résume Emilie Zapalski, experte en communication politique, au micro de l’émission « Sens public » sur Public Sénat.

Le « service après-vente » des déclarations d’Emmanuel Macron

La prise de parole du Premier ministre a tourné autour de trois axes : un discours de gestion de crise, avec un ensemble d’annonces à destination des agriculteurs, un volet consacré aux réformes, inscrit dans la continuité des déclarations déjà faites par Emmanuel Macron lors de sa conférence de presse du 16 janvier. Et enfin des inclusions plus personnelles, lors desquelles Gabriel Attal a mis en avant sa jeunesse mais aussi rappelé qu’il était le Premier chef de gouvernement français à assumer ouvertement son homosexualité.

« S’il y a eu un clin d’œil progressiste, adressé à la gauche, c’est celui-là. Pour le reste, nous étions dans un discours assez vide, avec très peu d’annonces, qui fait le service après-vente d’Emmanuel Macron et confirme le virage amorcé à droite depuis la loi immigration, ainsi que la logique sécuritaire désormais défendu par le président de la République », estime Philippe Moreau-Chevrolet.

Pour sa part, Olivier Rouquan va jusqu’à parler « d’une prise de parole aux tonalités sarkozystes ». « Il acte la fin du ‘en même temps’. Son propos tourne autour de deux idées, le libéralisme – avec une mise en avant de la valeur travail, un choc de l’offre pour le logement et un allégement des normes -, et l’ordre via des mesure punitives qui ciblent les jeunes de banlieue et leurs parents. Autre élément emprunté au sarkozysme : les développements sur l’identité nationale », note le politologue.

Rappelons que le nouveau gouvernement a pu être qualifié de « macro-sarkozystes » par certains commentateurs. Sur les 15 ministres nommés, au moins huit sont passés par les rangs de LR ou de l’ex-UMP. Certains occupaient déjà un portefeuille ministériel sous Nicolas Sarkozy, à l’image de Bruno Le Maire et Rachida Dati.

« Déverrouiller, desmicardiser, débureaucratiser »… un slogan conservateur ?

Pour Philippe Moreau-Chevrolet, une phrase se distingue dans cette déclaration de politique générale : « « Il faut désmicardiser la France ! ». Sur la rémunération, Gabriel Attal a estimé que la concentration des aides et des exonérations poussait les employeurs à maintenir une partie de leurs salariés à un niveau de rémunération « proche du Smic ». Le Premier ministre a fait part de sa volonté de mettre un terme à cette logique. « ‘Desmicardiser’… Ce slogan va être entendu comme une hausse de pouvoir d’achat, ce qui n’est pas vraiment le cas », explique le communicant. « Pour Gabriel Attal, c’est une manière de prendre acte de la peur de déclassement des classes moyennes ».

« Déverrouiller, desmicardiser, débureaucratiser… Ces trois verbes se conjugent au ‘conservateur’, qui est le nouveau temps du gouvernement », ironise encore Philippe Moreau-Chevrolet. Olivier Rouquan note le « machiavélisme d’Emmanuel Macron, qui consiste à faire assumer par des Premiers ministres issus de la gauche la droitisation de sa ligne politique ». Une manière aussi de donner des gages à l’aile gauche historique du macronisme, échaudée par la séquence parlementaire des derniers mois et le remaniement du début d’année. « Je note que Gabriel Attal a eu le droit à une longue ovation des soutiens du chef de l’Etat, ce qui tend à montrer que l’ensemble de la majorité semble désormais converti à cette évolution du macronisme ».

Une capacité de réformer toujours jugulée par le contexte politique

Pour autant, la situation politique mise en place en 2022 n’a pas changé. Le gouvernement reste privé de majorité absolue et doit faire face à une Assemblée nationale éclatée en trois blocs distincts, entre la gauche, le camp présidentiel et l’extrême droite. En 2023, la réforme des retraites puis la loi immigration ont montré toute la difficulté à constituer des majorités de circonstance pour faire adopter les textes. À plusieurs reprises, Elisabeth Borne a dû composer avec les exigences des LR pour trouver des voies de passage, parfois en vain. Son successeur, Gabriel Attal, est-il mieux armé pour déverrouiller les blocages politiques ?

« Pas vraiment, d’autant que nous basculons dans la seconde partie du quinquennat, une forme d’usure du pouvoir est en train de s’installer », observe Olivier Rouquan. « Mais je note que dans son discours il n’a pas beaucoup été question de grandes réformes nécessitant de grands textes de loi. Beaucoup de choses annoncées, sur la simplification notamment, pourront se régler par décret », souligne-t-il. « Finalement, on ressort de ce discours avec l’impression d’une multitude de promesses qui sont le témoignage de chantiers qui n’avancent pas ou pas assez », ajoute Emilie Zapalski.

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