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Dissolution : Marine Le Pen pourrait-elle se représenter malgré sa peine d’inéligibilité ?

Après l’annonce du vote de confiance à l’Assemblée le 8 septembre, Marine Le Pen a émis le souhait d’une nouvelle dissolution. Une demande qui, à première vue, interpelle de la part de la patronne des députés RN, frappée d’une peine d’inéligibilité avec exécution provisoire. Pourquoi Marine Le Pen pense-t-elle pouvoir se représenter ? Explications.
Simon Barbarit

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Coup de bluff ou volonté réelle ? Lundi, à peine François Bayrou faisait son annonce surprise de soumettre son gouvernement à un vote de confiance le 8 septembre, que Marine Le Pen anticipait la suite. « Seule la dissolution permettra désormais aux Français de choisir leur destin », a-t-elle estimé après avoir précisé que son groupe ne voterait pas la confiance au gouvernement.

Une réaction logique si l’on relit ses déclarations de juillet dans le Parisien, lorsque la députée annonçait qu’en cas de dissolution, elle « présenterait » et irait défendre (s) a candidature auprès des instances chargées de la valider ».

Après le choc de sa condamnation le 31 mars dernier à 5 ans d’inéligibilité avec exécution provisoire et donc application immédiate, l’ancienne présidente du RN n’a cessé de se montrer combative, d’abord sur le terrain politique en adoptant une stratégie de victimisation et désormais sur le terrain juridique. Car si Marine Le Pen a pu, dans un premier temps, se satisfaire d’un calendrier plutôt serré de son second procès, fixé par la Cour d’appel de Paris à l’été 2026, son sort reste suspendu à ce deuxième verdict. Il est d’ailleurs envisageable de voir la Cour d’appel confirmer le jugement de première instance ce qui sonnerait le glas de ses ambitions pour 2027.

C’est donc pour se débarrasser au plus vite de cette épée de Damoclès et mettre fin aux spéculations autour « du plan B » Jordan Bardella, que la députée RN souhaite se présenter au plus vite devant les électeurs. Une stratégie que n’avait visiblement pas anticipée François Bayrou, tant il semblait espérer une posture clémente du RN lors du vote de confiance de son gouvernement.

Candidate inéligible

La position de Marine Le Pen semble à première vue incohérente puisque comme nous venons de le rappeler elle est frappée d’une peine d’inéligibilité avec exécution provisoire, c’est-à-dire sans attendre l’épuisement des voies de recours. « Je ne vois pas comment Marine Le Pen pourrait se présenter devant les électeurs », lâche Mathieu Carpentier, professeur de droit public à l’université de Toulouse Capitole.

Qu’à cela ne tienne, en cas d’élections législatives anticipées, Marine Le Pen a d’ores et déjà annoncé qu’elle déposera « une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) au sujet de l’exécution provisoire de l’inéligibilité ». Plusieurs cas de figure peuvent être ici détaillés.

Comme le rappelle Mathieu Carpentier, l’article LO160 du code électoral interdit au préfet d’enregistrer la candidature d’une personne inéligible. « Marine Le Pen formerait alors un recours devant le tribunal administratif qui, en toute logique, appliquerait la loi et validerait la décision du préfet. L’élection aurait donc lieu sans Marine Le Pen même si celle-ci formule une QPC devant le Conseil d’Etat », explique le constitutionnaliste.

Depuis 2010, tout justiciable peut contester, devant le juge en charge de son litige, la constitutionnalité d’une disposition législative applicable à son affaire s’il considère qu’elle porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit. Le Conseil d’Etat ou la Cour de cassation examine la QPC. Si elle est jugée recevable, la QPC est transmise au Conseil constitutionnel qui a trois mois pour se prononcer.

« Quelle serait la disposition contestée par Marine Le Pen ? L’exécution provisoire de son inéligibilité ? Ce n’est pas le juge administratif qui a prononcé son inéligibilité immédiate. Il n’est pas de la compétence ni du préfet, ni du juge administratif de former une appréciation sur le bien-fondé de la décision du juge pénal », souligne Mathieu Carpentier, anticipant un refus du Conseil d’Etat de transmettre cette QPC.

La décision du 28 mars du Conseil constitutionnel

Toutefois, dans sa décision du 28 mars 2025 qui fait suite à une QPC transmise par le Conseil d’Etat et soulevée par un élu local de Mayotte qui contestait sa peine d’inéligibilité, et alors qu’il n’était pas saisi de la question de l’application de l’exécution provisoire (l’article 471 du Code de procédure pénal), le Conseil avait néanmoins émis une réserve d’interprétation sur ce point.

Il considère « qu’il revient au juge, dans sa décision, d’apprécier le caractère proportionné de l’atteinte que cette mesure est susceptible de porter à l’exercice d’un mandat en cours et à la préservation de la liberté de l’électeur ». Ce que n’a pas manqué de rappeler Marine Le Pen dans le Parisien. « À l’aune de mon dépôt de candidature, l’autorité constitutionnelle pourrait enfin analyser la validité de cette exécution provisoire de l’inéligibilité qui m’a été appliquée en première instance », souligne-t-elle. Et pour la députée, il vaudrait mieux qu’une telle décision, qui plus est si elle lui était favorable, intervienne après une élection législative à laquelle elle n’a pas pu se présenter, plutôt qu’après une élection présidentielle.

Et pour Paul Cassia, professeur de droit public à l’université Paris Panthéon-Sorbonne, le pari de Marine Le Pen ne serait pas forcément perdu d’avance. « Dans sa décision du 28 mars, le Conseil constitutionnel confirme la différence de régime entre les élus locaux qui perdent leur mandat immédiatement après une peine d’inéligibilité avec exécution provisoire et les parlementaires qui, eux, peuvent aller au bout de leur mandat car ils participent à l’exercice de la souveraineté nationale. Cela conduit à la situation, à mon avis contestable, qui fait que l’on peut être à la fois parlementaire en dépit d’une inéligibilité par provision ».

Dans le cas d’élections législatives anticipées, Paul Cassia observe que le préfet ou le tribunal administratif pourraient interpréter extensivement la décision du Conseil et « considérer par analogie qu’une personne qui entend participer à la souveraineté nationale peut valablement être candidat tant que sa condamnation à une peine d’inéligibilité n’est pas définitive ». Et dans le cas d’une QPC, le Conseil constitutionnel pourrait confirmer cette extension du régime d’inéligibilité applicable aux parlementaires aux candidats à des élections législatives

Une analyse contestée par Mathieu Carpentier. « Le 10 juillet 2024, le Conseil constitutionnel a jugé irrecevable la saisine des députés insoumis au sujet de la loi visant à prévenir les ingérences étrangères en France, car l’Assemblée nationale avait été dissoute, la veille, le 9 juillet. Ils n’étaient donc plus parlementaires. Ce serait la même chose pour Marine le Pen en cas de nouvelle dissolution ».

La députée RN est en tout cas bien décidée à se payer le gouvernement Bayrou pour voir.

 

 

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