Dans le 20 heures de TF1 et France 2, Michel Barnier dont le gouvernement est en sursis, dans l’attente du vote d’une motion de censure demain à l’Assemblée nationale, en a appelé à la « responsabilité » des députés. Il a considéré que les élus RN devront « rendre des comptes » a leurs électeurs s’ils votaient une motion rédigée « par l’extrême gauche ».
Distribution de la propagande électorale : « Fiasco », « foutage de gueule »… Les sénateurs vent debout
Par Jules Fresard
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« C’est du foutage de gueule de l’électeur, et un foutage de gueule des candidats ! ». La sénatrice centriste Nathalie Goulet n’a, lundi 21 juin, pas de mots assez durs pour exprimer son mécontentement face à la manière dont s’est déroulée la distribution des professions de foi des candidats chez les Français. Ou plus précisément sa non-distribution dans certaines zones. « Dans ma commune de 260 habitants, il y a eu zéro distribution de propagande. Chez mon suppléant, dans le canton de Tourouvre, il y a eu une distribution aléatoire, avec des personnes recevant quatre fois la profession d’un candidat », témoigne-t-elle.
Loin de constituer un cas isolé, les situations évoquées par Nathalie Goulet illustrent une dynamique plus grande qui a touché de nombreuses zones du territoire français. Avec l’envoi de manière erratique quand il n’est pas inexistant des professions de foi des candidats qui se présentaient au premier tour des élections régionales et départementales dimanche 20 juin. Si bien que lors de sa prise de parole hier soir, Gérard Larcher, le président du Sénat, a tenu à appeler « « solennellement le ministre de l’Intérieur pour que la distribution des documents électoraux soit effectuée ».
Preuve de la gravité du phénomène, des responsables de La Poste et de la société privée Adrexo, les deux prestataires en charge de la distribution de la propagande, ont été convoqués ce lundi matin au ministère de l’Intérieur. Gérald Darmanin sera lui entendu sur ce sujet au Sénat mercredi 23 juin par la commission des Lois.
La délégation de service public en cause
Dans l’œil du cyclone, la société privée Adrexo, qui a remporté en début d’année un appel d’offres visant à venir concurrencer La Poste, en charge jusqu’à maintenant de la totalité de la distribution. Le contrat stipule qu’Adrexo sera en charge pour quatre ans dans sept régions (Hauts de France, Grand Est, Normandie, Centre Val de Loire, Bourgogne Franche Comté, Pays de la Loire et Auvergne Rhône-Alpes) de cette mission. Leader français de la distribution d’imprimés publicitaires, l’entreprise possède 17 000 employés, mais connaît d’importantes difficultés financières. Selon BFMTV, entre 2018 et 2019, son chiffre d’affaires a baissé de 280 millions d’euros. La délégation de service public était alors vue comme un second souffle pour l’entreprise, même si elle a nécessité l’embauche de milliers d’intérimaires pour faire face à l’ampleur de la tâche, souvent non formés à ce type de distribution.
Mais face aux nombreuses remontées de professions de foi non distribuées, force est de constater qu’Adrexo n’était pas forcément prêt à réaliser une telle mission. « J’ai tenu un bureau de vote à Orléans (en Centre-Val-de-Loire, où Adrexo est en charge de la distribution, ndlr), et un très grand nombre de gens sont venus se plaindre car ils n’avaient pas reçu les circulaires, aucun document. J’ai des échos de partout, c’est un très grave problème qui s’est posé », établit le sénateur socialiste du Loiret Jean-Pierre Sueur, avant de récuser la délégation qui a été confiée à Adrexo. « S’il y a bien une mission de service public, c’est celle-là. Les postiers ont toujours considéré la distribution des professions de foi comme quelque chose d’essentielle. Mais force est de constater que depuis que l’on a délégué à une entreprise privée, les choses ne se déroulent plus aussi bien. C’est un véritable fiasco ».
Pour Pierre Louault, sénateur centriste d’Indre-et-Loire, qui a lui aussi constaté que « dans tout le canton de Loches, la propagande concernant les départementales n’a pas été distribuée », seule La Poste est capable de réaliser une telle mission. « Il n’y a que La Poste qui est capable de faire cela, car elle possède un fichier avec toutes les adresses, mais également les nouveaux arrivants et les départs dans chaque commune ». Même son de cloche chez la sénatrice Nathalie Goulet, qui estime que même si cette délégation s’est réalisée « pour répondre aux règles de l’appel d’offres », « le seul capable de faire ce genre de distribution, c’est La Poste. On ne distribue pas des kilos de patates ou des tomates, on distribue des professions de foi qui conditionnent des élections ! » résume-t-elle, très remontée.
Des dysfonctionnements signalés depuis plus d’un mois
En mai déjà, le sénateur LR du Territoire de Belfort Cédric Perrin, candidat aux départementales dans le canton de Delle, avait alerté sur le traitement dont avaient fait l’objet certaines de ses propositions de foi. Plusieurs avaient été retrouvées incendiées ou partiellement détruites à l’orée d’un bois. Le livreur de la société Adrexo, en charge dans la région Bourgogne-Franche-Comté de l’acheminement de la propagande, avait avoué s’être débarrassé d’une partie des documents face au manque de temps dont il disposait pour effectuer sa tournée.
Aujourd’hui, les nombreux témoignages qui font surface ne l’étonnent pas. « Le coup est tiré depuis longtemps, cette société n’est pas en capacité d’assurer un tel service à l’échelle du marché qu’elle a obtenu » croit-il. « Je ne tiens pas à mettre en cause les intérimaires, c’est comme si vous demandiez à un boulanger d’aller travailler dans une boucherie. Les personnes qu’emploie Adrexo ne sont pas facteurs de formation, et distribuer du courrier adressé, ce n’est pas la même chose que distribuer de la publicité », continue Cédric Perrin. Une situation qu’il regrette d’autant plus que « l’État a refusé de redistribuer ma propagande, en prétextant qu’il y avait un risque de confusion trop important ».
Des erreurs qui auraient favorisé l’abstention ?
Une question se pose alors. Ces errements dans la distribution de la propagande auraient-ils favorisé l’abstention record de ce scrutin, qui s’envole à 66 % ? Pour Nathalie Goulet, pas de doute. « J’en suis certaine. Beaucoup de gens préparent leur vote avec les professions de foi qu’ils ont reçu ».
Cédric Perrin lui relativise. « Le problème est que l’abstention est tellement massive qu’il y a des causes multiples ». Même s’il concède que « si je prends l’exemple de mon canton, le taux de participation s’élève à 28 %. Or, dans la commune où ont été retrouvés les imprimés brûlés, le taux de participation descend à 22 % ».
Le ministère de l’Intérieur sommé de s’expliquer
Pour le second tour, au Sénat, l’inquiétude est donc grande, d’autant que comme le souligne Cédric Perrin, « ce qu’Adrexo a fait en un mois, ils vont devoir le faire en une journée, or ils ne sont pas paramétrés pour ». Tous les regards se portent donc vers le ministère de l’Intérieur, responsable de l’organisation des élections. La semaine dernière, lors de la séance de questions au gouvernement, Pierre Louault avait d’ailleurs interrogé Gérald Darmanin sur ce sujet.
Il avait dénoncé « des envois prématurés ou qui n’arrivent pas, et, pis encore, des défauts de distribution, avec des enveloppes jetées par paquets, soit dans une même boîte aux lettres, soit dans des poubelles… ». Gérald Darmanin avait alors tenu à présenter « les excuses du gouvernement, qui a délégué cette distribution », évoquant sa volonté de « remettre en cause le marché public dès la fin des distributions ».
La commission des Lois a, elle, décidé d’aller plus loin, en convoquant Gérald Darmanin mercredi 23 juin. Son président, le sénateur François-Noël Buffet, estime que « le ministère de l’intérieur était informé depuis plusieurs jours des problèmes d’acheminement des documents de propagande électorale, il est urgent de remédier à ce dysfonctionnement pour le second tour ! ».
Nathalie Goulet, elle aussi membre de la commission des Lois, évoque déjà, en vue de l’audition, « sa volonté de repousser le second tour d’une semaine si cela est possible, afin que la distribution puisse reprendre son cours normalement. Après, il faudra dresser les responsabilités ».
Et en parlant de responsabilités, pour le sénateur socialiste du Nord Patrick Kanner, également membre de la commission des Lois, celle de Gérald Darmanin ne fait aucun doute. Hier soir, il déclarait, « il faudra que des responsabilités soient dégagées. Très honnêtement, si on était dans un pays anglo-saxon, le ministre de l’Intérieur devrait démissionner ».