Distribution des professions de foi : « Un fiasco annoncé » pour la commission d’enquête du Sénat
Dans leur rapport sur les dysfonctionnements dans l’acheminement de la propagande électorale, les sénateurs pointent les nombreuses raisons qui ont causé « un désastre annoncé ». Du choix des opérateurs, au manque de contrôle par le ministère de l’Intérieur, les sénateurs dénoncent une cascade d’erreurs, et font douze recommandations pour éviter qu'à l'avenir cela se reproduise.

Distribution des professions de foi : « Un fiasco annoncé » pour la commission d’enquête du Sénat

Dans leur rapport sur les dysfonctionnements dans l’acheminement de la propagande électorale, les sénateurs pointent les nombreuses raisons qui ont causé « un désastre annoncé ». Du choix des opérateurs, au manque de contrôle par le ministère de l’Intérieur, les sénateurs dénoncent une cascade d’erreurs, et font douze recommandations pour éviter qu'à l'avenir cela se reproduise.
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Par Jérôme Rabier

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Non, les sénateurs ne demandent pas la démission du ministre de l’Intérieur, ni d’aucune autre personne « car ce n’est pas notre rôle », rappelle d’emblée François Noël buffet, auteur du rapport et président LR de la commission des lois. En revanche, pointer les erreurs et proposer d’y remédier fait partie de la mission des sénateurs membre de cette mission d’information créée le 23 juin et dotée des pouvoirs d’une commission d’enquête. Et ils ne s’en sont pas privés.

« Les dysfonctionnements constatés tiennent à la fois à certains choix discutables du ministère de l’Intérieur et à l’incapacité de certains opérateurs privés d’offrir le niveau et la qualité de service auxquels ils s’étaient contractuellement engagés » écrivent-ils dans leur rapport. En traduction moins diplomatique, cela veut dire que la place Beauvau, en charge de l’organisation des élections n’a pas été très regardante sur les critères d’attribution, et qu’Adrexo, société qui a obtenu cette distribution dans 7 régions et une cinquantaine de départements a surévalué sa capacité à assurer cette mission.

 

Un cahier des charges peu précis

Concernant le choix des opérateurs, François-Noël Buffet déplore que « la rédaction des cahiers des charges et les modalités d’examen des offres n’ont pas permis de s’assurer de la capacité des soumissionnaires à exercer les missions ». Adrexo avait prévenu dès le départ que cette mission serait assurée par des intérimaires. « La Poste n’est pas exempte de tout reproche mais sa distribution a mieux fonctionné » constate le rapporteur. Notamment car il y a eu une vraie formation des personnes en charge de cette distribution, alors que « chez Adrexo, cela s’est résumé à une demi-journée de formation ».

Une distribution pas comme les autres

Le rapport pointe aussi le fait que la société Adrexo n’est pas spécialisée dans la distribution de courrier nominatif. Seulement 3,3 % de son chiffre d’affaires correspond à cette activité. « On ne distribue pas de la propagande électorale de façon nominative comme des publicités en vrac dans l’ensemble des boîtes aux lettres d’un immeuble », s’agacent les membres de la commission d’enquête.

Le rapport revient aussi sur les premières déclarations des membres du gouvernement Marlène Schiappa et Gérald Darmanin, juste après le premier tour. Alors que la ministre déléguée auprès du ministre de l’Intérieur a évoqué 1 % de plis non distribués sur le plateau de France 2 le soir du premier tour, le rapport dénonce « une disproportion abyssale entre le chiffre avancé et la réalité », estimée à au moins 25 % de plis non distribués au premier tour. Et ce « alors même que le ministère était d’ores et déjà informé par de très nombreuses remontées des préfectures et des élus ».

« Des déclarations trompeuses » de Gérald Darmanin

Le ministre de l’Intérieur est aussi visé. Auditionné dès le 23 juin au Sénat puis le 29 juin à l’Assemblée Nationale, Gérald Darmanin avait en effet affirmé que « seules deux sociétés sont qualifiées par l’ARCEP pour répondre à l’appel d’offres, et comme la loi nous oblige à faire des lots, nous devons retenir les deux sociétés ». « Des déclarations trompeuses à plusieurs égards » jugent les auteurs du rapport. En effet, la présidente de l’autorité indépendante en charge notamment de la distribution de courriers, elle-même auditionnée par la commission d’enquête avait rappelé qu’ « en aucun cas l’ARCEP n’a autorisé Adrexo à délivrer de la propagande électorale ».

 

« Des élus ont été alertés avant le 1er tour par des citoyens de l’absence des professions de foi""
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« De nombreux élus ont été alertés avant le premier tour par des citoyens de l’absence de propagande électorale, ce sont des signaux qui nous sont remontés », rappelle Cécile Cukierman, sénatrice communiste membre de la commission d’enquête. « Et ce sont des signaux dont le ministère a eu connaissance », rappelle-t-elle, invitant à interroger le ministre de l’intérieur sur les informations qu’il a eues et sur le fait qu’il ait minoré ces alertes.

Si Adrexo a été défaillante dans l’exécution du contrat, tout n’est pas non plus de la responsabilité de l’entreprise nuancent les rapporteurs. « La multiplication des quadrangulaires au second tour des élections régionales a créé un embouteillage à l’impression des professions de foi », explique François-Noël Buffet. « Il faut attendre que l’encre sèche avant la mise sous pli, puis seulement ensuite livrer au distributeur Adrexo ou la Poste » détaille-t-il. Avec une double élection le même jour et seulement une semaine entre les deux tours, « le défi logistique particulièrement important n’a sans doute pas été assez mesuré lors de l’attribution du marché » explique un membre de la commission d’enquête.

 

12 recommandations pour l’avenir

 

Afin que ces dysfonctionnements ne se reproduisent plus les sénateurs ont validé douze recommandations. « A mettre en œuvre dès septembre, car il y a urgence avant la présidentielle et les législatives de l’an prochain », alerte François-Noël Buffet.

Parmi ces douze mesures, il faut envisager de résilier l’accord-cadre après avoir poursuivi les investigations sur les manquements d’Adrexo, écrivent les sénateurs, ou encore ne pas exclure d’attribuer tous les lots à un même opérateur postal. Si les élus du Palais du Luxembourg refusent une dématérialisation totale de la propagande électorale, ils proposent de « permettre aux électeurs qui en feraient la demande expresse de ne recevoir la propagande électorale que sous format numérique ». Ils préconisent aussi de mieux communiquer sur la publication en ligne de ces professions de foi.

La douzième préconisation est aussi une forme de mea culpa : « En cas de concomitance de deux élections générales, porter d’une à deux semaines le délai d’entre-deux tours ». François-Noël Buffet rappelle que de nombreux politiques pensaient « que regrouper ces élections favoriserait la participation. Il faut admettre que non et revenir sur cette analyse », tranche le président de la commission des lois.

Ces préconisations sont maintenant entre les mains du ministère de l’Intérieur, seule autorité en charge de l’organisation des scrutins. Et dont les prochaines actions seront scrutées attentivement par les sénateurs qui veulent éviter un nouveau fiasco.

« Pour éviter de nouveaux scandales Adrexo »,  ce vendredi, les sénateurs communistes ont de leur côté déposé une proposition de loi « visant à confier l’acheminement et la distribution de la propagande électorale au groupe public La Poste », ce qui mettrait fin à la concurrence, alors qu’Adrexo détient pour l’instant un contrat pour les quatre prochaines années dans sept régions de France.

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