Interviewé par le média Brut en décembre dernier, Emmanuel Macron lançait un appel à contribution aux historiens mais aussi à la jeunesse pour faire émerger « 300 à 500 noms d’ici mars et qu’on puisse en décider d’en faire des rues, des statues ». « Il y a toute une part de notre Histoire qui parle à une jeunesse qui est noire ou maghrébine, et ils ont leurs héros. Simplement on ne les a pas reconnus, on ne leur a pas donné une place […] Notre Histoire, c’est la conjugaison de toutes ces histoires », concluait-il.
Une réponse aux débats engendrés suite aux déboulonnages de statues représentant des personnages en lien avec la colonisation ou l’esclavagisme.
Fruit d’un travail d’experts réunis au sein du comité « Portraits de France » avec à sa tête, l’historien spécialiste de la colonisation, Pascal Blanchard, 318 noms ont été remis le 12 mars au ministre chargé de la Ville Nadia Hai.
« 318 fiches consacrées à des personnalités qui ont contribué à notre Histoire mais n’ont pas encore tous trouvé leur place dans notre mémoire collective. Des histoires fortes, des parcours exemplaires, des engagements explicites. Leurs histoires contribuent à l’Histoire de France depuis 230 ans, de la Révolution française à nos jours […] Ce recueil s’inscrit pleinement dans la volonté de faire vivre l’unité et la cohésion de notre communauté nationale, dans toute sa richesse et sa diversité. Ce recueil a ainsi vocation à aider les élus locaux dans leur choix afin de baptiser des rues, places, parcs ou bâtiments publics », peut-on lire sur le site ministère de la Cohésion des territoires.
Artistes, sportifs, soldats…
La liste est très hétéroclite. On y trouve des artistes : Lino Ventura, Charles Aznavour, Serge Gainsbourg, Édith Piaf, Annie Cordy. Des sportifs Raymond Kopa, Larbi Ben Barek, Raoul Diagne, ou encore l’ancien président de l’Olympique de Marseille Pape Diouf, décédé l’année dernière. Des héros de guerre comme le tirailleur sénégalais Bakary Diallo, l’aviateur vietnamien Do Huu Vi, décédé dans la bataille de la Somme, le 9 juillet 1916, mais aussi quatre Français morts pour la France en « OPEX » en Afghanistan.
En ce qui concerne l’histoire coloniale, on peut citer le Guadeloupéen Louis Delgrès, chef de la résistance contre les troupes napoléoniennes, mais aussi l’Émir Abdelkader, célèbre opposant à la conquête de l’Algérie.
Un bémol dans cette liste toutefois, seules 67 femmes sur 318 (21 %) sont proposées, parmi lesquelles, l’avocate, Gisèle Halimi, la journaliste Françoise Giroud et Paulette Nardal, première femme noire à étudier à la Sorbonne.
« Emmanuel Macron joue le jeu des décoloniaux qui ne seront jamais rassasiés des repentances de la France », dénonce Bruno Retailleau
« Les bonnes intentions qui ont mené à la création d’une liste de célébrités basée sur l’origine ne peuvent masquer son caractère racialiste. Emmanuel Macron joue le jeu des décoloniaux qui ne seront jamais rassasiés des repentances de la France », a dénoncé sur Twitter le patron de la droite sénatoriale, Bruno Retailleau.
« Qu’Emmanuel Macron se mêle de ce qui le regarde. Les maires savent ce qu’ils ont à faire. Il n’appartient pas au président de la République de dresser une liste, sortes de quotas, de personnalités à représenter », s’insurge Jacqueline Eustache-Brinio, sénatrice LR, rapporteure du projet de loi confortant le respect des principes de la République.
Sur France Inter, l’historien Pascal Blanchard s’est défendu de toute injonction à destination des élus. « Il faut s’en saisir et chacun peut choisir. 318, ça laisse quand même (la place à) de belles conversations dans les conseils municipaux pour trancher », a-t-il expliqué.
« C’est une bonne chose de mettre en perspective les mémoires »
Membre de la commission de la culture et de l’éducation du Sénat, Jacques Grosperrin salue, lui, « une bonne idée ». « C’est une bonne chose de mettre en perspective les mémoires. Ça permet à chacun de se retrouver et de faire Nation au sens de Charles Péguy, un mot qui est trop laissé à l’extrême droite. »
A gauche, la vice-présidente du groupe écologiste, Esther Benbassa, historienne de formation, concède que cette initiative « n’est pas mauvaise en soi », « parce que les personnes issues de l’Outre-mer ou des anciennes colonies sont assez peu représentées dans l’espace public ». « Mais c’est une liste de suggestions qui va bien évidemment relancer des polémiques », pressent-elle. La sénatrice regrette toutefois, le peu de place faite aux femmes parmi les propositions et enjoint le comité scientifique à regarder du côté de l’histoire contemporaine pour y remédier.
« Le travail va continuer ». « C’est une première liste, il nous reste de quoi écrire encore 2700 à 2800 biographies », a prévenu Pascal Blanchard.