Dix ans de précarité, témoignage d’une contractuelle à la Mairie de Paris

Dix ans de précarité, témoignage d’une contractuelle à la Mairie de Paris

Le projet de loi sur la transformation de la fonction publique prévoit de faciliter le recours aux contractuels. Ils sont aujourd’hui près d’un million. Public Sénat a rencontré l’une d’entre eux, employée par la Mairie de Paris.
Public Sénat

Par Samia Dechir

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Elle a longuement hésité avant de nous livrer son témoignage. Anonyme, bien sûr. Parce qu’elle a peur de ne pas être renouvelée par la mairie de Paris. Son contrat d’agent technique pour la ville se termine cet été. Et comme à chaque fin de CDD, elle apprendra au dernier moment si elle est reconduite. Cela fait dix ans que ça dure. Dix ans de précarité et une vingtaine de contrats accumulés. « Avec des petits contrats comme ça, tu es toujours la dernière personne à poser tes vacances. Quand tu tombes malade, tu ne poses pas d’arrêt maladie, parce que tu as peur que ton contrat ne soit pas renouvelé. Donc tu es obligé de travailler en étant malade. » Une incertitude qui ne plaît pas plus aux banquiers qu’aux propriétaires « J’ai voulu plusieurs fois faire un crédit, on me l’a refusé à cause de ça. Pour le logement aussi c’est très compliqué, il faut un CDI. »

« Je ne suis pas toute seule »

En dix ans, ses demandes de titularisation sont toujours restées sans réponse. Combien sont-ils, comme elle, à cumuler les contrats d’un mois ou un an pour la mairie de Paris?  Plusieurs dizaines d’après elle. « Je ne suis pas toute seule. On est beaucoup à la ville de Paris. On souffre. On est fatigués. Il y en a beaucoup dont ils n’ont pas renouvelé le contrat. Ils sont partis. La plupart, ce sont des femmes seules. » Une information difficile à vérifier. La Mairie ne communique pas sur le nombre de contractuels qu’elle emploie, et n’a pas donné suite à notre demande d’interview.

Vide juridique

Avec moins de 1 500 euros par mois et deux enfants à charge, difficile de se payer un avocat. C’est auprès de Delphine Krzisch, rencontrée dans le bus de la solidarité du barreau de Paris, qu’elle trouvera un soutien juridique. Mais l’avocate n’a que peu d’options à lui proposer. « Si ma cliente allait devant la juridiction administrative, et si elle prouvait que le recours à ces contrats précaires était abusif, au bout de trois ou quatre ans, elle arriverait peut-être à être indemnisée d’un montant de 6500 euros au vu de son salaire », nous explique l’avocate spécialisée en droit public.

La jurisprudence ne prévoit pas la titularisation des contractuels de la fonction publique, contrairement aux salariés du privé. « L’intérêt pour les collectivités territoriales comme la mairie de Paris, ou les employeurs publics en général, c’est que ces agents contractuels sont une variable d’ajustement par rapport aux fonctionnaires : ils recrutent et renouvellent en fonction de leurs besoins, sans préavis de renouvellement ou de licenciement. Et du jour au lendemain une décision de non-renouvellement peut tomber, et vous ne pouvez pas contester son illégalité ». Sans bénéficier du statut de fonctionnaire, ces contractuels ne sont pas pour autant protégés par le droit privé, ils sont, autrement dit, face à un vide juridique.

« On crée une fonction publique à deux vitesses »

Le projet de loi de transformation de la fonction publique, actuellement examiné au Sénat, prévoit de faciliter le recours à ces contractuels. Mais il ne comble pas le vide juridique en cas d’abus, regrette Delphine Krzisch. « On ne leur apporte aucune sécurité. C’est inquiétant parce qu’on crée un emploi public à double vitesse. Elle existait déjà mais on renforce cette séparation entre les fonctionnaires et les contractuels ». Sur les 5,45 millions de fonctionnaires que compte la France, 940 200 sont aujourd’hui contractuels, soit près d’un agent sur cinq. Ils sont surtout recrutés sur des postes de catégorie C, ceux dont le niveau de diplôme exigé est le plus faible.

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