Don de chèques-vacances pour les soignants : au Sénat, rien n’est encore fait

Don de chèques-vacances pour les soignants : au Sénat, rien n’est encore fait

Largement réécrite après son passage en commission des Affaires sociales ce mercredi, la proposition de loi permettant d'offrir des chèques-vacances aux personnels soignants sera étudiée en séance publique le 16 juin au palais du Luxembourg. Mais à six jours de l'examen, une majorité n'est pas encore acquise, selon la sénatrice LR Frédérique Puissat, rapporteure du texte.
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Par Ariel Guez

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Sera-t-il possible de donner une partie de son salaire aux soignants mobilisés lors de la crise sanitaire du coronavirus ? Après l'adoption en première lecture à l'Assemblée nationale mercredi 3 juin de « la proposition de loi permettant d'offrir des chèques-vacances au personnel des secteurs sanitaire et médico-social en reconnaissance de leur action durant l'épidémie de Covid-19 », la commission des Affaires sociales du Sénat se réunissait ce mercredi pour débattre et établir le texte qui sera étudié en séance publique mardi 16.

Si le Palais Bourbon avait acté en première lecture que tout salarié pouvait « renoncer sans contrepartie à des jours de repos acquis et non pris » afin de les monétiser sous forme de chèques-vacances, le Sénat est allé plus loin. La commission des Affaires sociales, sur proposition de la rapporteuse du texte Frédérique Puissat, a modifié le texte en profondeur, réécrivant ce qui s'est transformé en l'unique article de la proposition de loi.

« Renoncer à sa rémunération au titre d’une ou plusieurs journées de travail »

La chambre Haute propose désormais que tout salarié puisse « décider de renoncer à sa rémunération au titre d'une ou plusieurs journées de travail ». Conséquence directe de cette modification : le nombre de donneurs serait immédiatement élargi et les sommes versées possiblement plus importantes. Une mesure de « bon sens », explique à publicsenat.fr Frédérique Puissat. « Nous avons vraiment essayé de rendre ce texte opérationnel », justifie-t-elle, pour combler les lacunes du texte sorti de l'Assemblée nationale. « Il fallait lui donner du sens ».

Concrètement, le système de chèques-vacances est le même que celui adopté par les députés. Un salarié souhaitant faire don de ses jours de congé prévient son employeur, qui retient la fraction de la rémunération concernée. C'est lui qui verse alors la somme à l'Agence nationale pour les chèques vacances (ANCV), selon des modalités fixées par décret. L'ANCV répartit ensuite les sommes réunies sous la forme de chèques-vacances entre les établissements et services sanitaires, médico-sociaux et d'aide et d'accompagnement à domicile.

Le texte est désormais borné dans le temps

Concernant les personnels soignants éligibles, seuls ceux ayant travaillé « entre le 12 mars et le 10 mai 2020 et dont la rémunération n'excède pas le triple du salaire minimum interprofessionnel de croissance » seront concernés, « dans des conditions fixées par décret », précise le texte de la commission.

Enfin, la version de la commission des Affaires sociales, qui sera étudiée dans l'hémicycle du palais du Luxembourg le 16 juin, propose de borner dans le temps cette mesure. Si « les modalités d'application de ce dispositif aux agents publics devront être précisées par décret en Conseil d'État », il devrait être possible de faire un don seulement jusqu'au 31 août 2020, quel que soit son statut de salarié.

« On ne sait pas ce que ça va donner », prévient Frédérique Puissat (LR)

Mais le projet de loi passera-t-il l'épreuve de l'examen en séance publique ? Frédérique Puissat reconnaît qu'elle ne sait pas si une majorité se dessinera au Sénat. Car le texte part avec deux balles dans le pied. D'abord, il est à l'initiative de la majorité LREM: c'est Muriel Pénicaud, ministre du Travail, qui avait jugé l'idée « intéressante », lors des questions au gouvernement à l'Assemblée nationale. Immédiatement, la majorité LREM du palais Bourbon s'était mise au diapason, « plagiant » des élus LR qui avaient suggéré l’idée au début de la crise, et qui se sont finalement abstenus lors du vote la semaine dernière.

La droite ne sera donc pas forcément au rendez-vous pour voter le texte. Mais surtout, de nombreux élus de toutes les tendances se sont interrogés ce mercredi sur l'objet même du projet de loi. Est-ce le rôle du Sénat que d'organiser la solidarité dans le pays ? Frédérique Puissat souligne que « l'enfer est pavé de bonnes intentions », et que ce texte, louable, « n'était pas opérationnel et jouait sur les émotions ». Aussi, de nombreuses solidarités envers les soignants existent déjà, pointe la sénatrice, citant les collectivités territoriales, les associations et les entreprises qui se sont engagées depuis début mars.

« C'est compliqué de rejeter le texte sur le principe », soutient-elle, « mais on ne sait pas ce que ça va donner » lors du vote en séance publique.

« Il n’y a rien à sortir de cette proposition de loi », dénonce Laurence Cohen (CRCE)

À l'autre bout de l'hémicycle, les communistes n'approuveront pas le texte, prévient d'emblée Laurence Cohen. Comme pour plusieurs de ses collègues, c'est la philosophie même de la proposition de loi qui scandalise la sénatrice du Val de Marne. « On n'est pas une association de charité, on est des législateurs ! On demande aujourd'hui une solidarité entre ceux qui travaillent et ceux qui se sont levés tous les jours pour aller travailler pendant le confinement, au risque d'être infectés », dénonce-t-elle à publicsenat.fr, affirmant que les soignants « ne demandent pas l'aumône ». « Il n'y a rien à sortir de cette proposition de loi », continue Laurence Cohen, en colère.

Pour la communiste, il faudrait plutôt que l'État « mette la main à poche », en augmentant les salaires. « On est la sixième puissance économique mondiale ! » Lors de l'examen du texte en commission, elle et ses collègues réfractaires au texte ont aussi pointé les records de dividendes versés, arguant que les « richesses existent ».

« Ce n’est pas ça qui va régler la crise de l’hôpital », argue Bernard Jomier

Même son de cloche du côté des socialistes et apparentés, comme le sénateur de Paris Bernard Jomier, médecin généraliste qui est retourné auprès des malades lors de la crise. Il ne votera pas le texte en l’état. « On ferait mieux d’arrêter de perdre notre temps (…) Le gouvernement présente des PPL qui sont sans intérêt à une crise qui nécessite des réponses de premier ordre. Il amuse la galerie ».

Le médecin n’est pas opposé à la solidarité à l’intérieur d’une même entreprise, mais il ne souhaite pas « une monétarisation des jours de congé ». « Ce n’est pas une bonne réponse. Ce n’est pas ça qui va régler la crise de l’hôpital », dit-il, plaidant pour une remise à niveau des rémunérations « qui doit passer par une hausse importante » et une « réorganisation du système de soins » en France.

Une autre proposition de loi déposée en mars par 26 sénateurs Les Républicains

Si elle appelle ses collègues « à ne pas rejeter le texte », Frédérique Puissat sait aussi qu’au Sénat, les Républicains n’ont pas la majorité à eux seuls. Cette proposition de loi pourrait donc tomber, la semaine prochaine dans l’hémicycle ou en commission mixte paritaire au cours du mois de juin. Mais  une autre, allant sensiblement dans le même sens, pourrait peut-être satisfaire les élus du palais du Luxembourg.

Quelques jours après le début du confinement en mars, Édouard Courtial, sénateur LR de l'Oise, déposait avec 25 de ses collègues une proposition de loi « instaurant un don de jours de repos pour les personnels soignants ». « Il faut du concret, du monétisable pour les soignants », justifiait-il à l’époque.

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