Drapeaux en berne après le décès d’Yvan Colonna : Emmanuel Macron pris dans le bourbier corse ?

Drapeaux en berne après le décès d’Yvan Colonna : Emmanuel Macron pris dans le bourbier corse ?

Le chef de l’Etat a réagi (tardivement) mercredi soir à la décision de la collectivité de Corse de mettre en berne ses drapeaux après la mort d’Yvan Colonna. La volonté d’apaisement de l’exécutif en période électorale pourrait bien compliquer la gestion du dossier corse à plus long terme, pour le constitutionnaliste Benjamin Morel.
Louis Mollier-Sabet

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« Pour exprimer la tristesse collective ressentie par [le peuple corse] après la mort tragique d’Yvan Colonna et face aux heures sombres que vit la Corse », la collectivité de Corse a décidé mardi dernier de mettre ses drapeaux en berne. Un hommage « institutionnel », comme le remarquait ce matin sur notre antenne l’ancien ministre de l’Intérieur Brice Hortefeux, qui s’ajoute à la haie d’honneur qui a accueilli le cercueil de l’assassin du préfet Erignac à Ajaccio mercredi soir.

Côté corse, les responsables politiques contactés ne s’expriment pas publiquement pour le moment, comme Paulu Santu Parigi, sénateur autonomiste de Haute-Corse, qui ne souhaite pas communiquer en période de deuil ou Gilles Simeoni, qui ne s’exprimera pas dans les médias avant les obsèques de vendredi. Du côté de l’exécutif, en revanche, cela commençait à faire un peu beaucoup pour Emmanuel Macron, qui a timidement mis en cause une « faute » et une décision « inappropriée » de la collectivité de Corse mercredi soir sur M6, sans s’appesantir plus que cela sur l’hommage rendu par une collectivité de la République à l’assassin du représentant de l’administration centrale sur l’île. Le chef de l’Etat tente de maintenir la ligne de conduite tenue jusqu’alors sur le dossier corse, en jouant la désescalade jusqu’à faire relativement facilement des concessions aux nationalistes, tout en essayant de maintenir certaines limites. Un exercice de « en même temps » que le Président de la République affectionne, mais qui paraît particulièrement périlleux dans le contexte corse actuel.

« Emmanuel Macron veut sauver le soldat Simeoni »

« Emmanuel Macron a voulu calmer la situation avant le 1er tour et il a envoyé Darmanin faire toutes les concessions qu’il était possible de faire afin de sauver le soldat Simeoni, contesté jusque dans son propre camp », explique ainsi Benjamin Morel. Pour le maître de conférences en Droit public à l’Université Paris II Panthéon-Assas, le chef de l’Etat ne peut pas se permettre de déstabiliser « son seul interlocuteur dans ce dossier », tout en sentant bien « la nécessité de poser des limites », ce qu’Emmanuel Macron a fait jeudi dernier lors de la présentation de son programme. Un « exercice délicat » pour le Président de la République, d’autant plus vu la situation politique sur l’île : « Il y a un aspect politique, avec une majorité nationaliste acquise à l’héroïsation de Colonna, même chez les autonomistes. Pour ne pas être trop déstabilisé, Simeoni est obligé de donner des gages, dans le but de continuer le dialogue », décrypte Benjamin Morel.

L’émoi provoqué par la mort d’Yvan Colonna en Corse a mis au jour un vrai enjeu culturel dans le rapport des insulaires au Continent pour le constitutionnaliste : « Les Corses ont mal vécu la traque Colonna, qui s’est tenue dans des conditions discutables, menée par un Etat qui n’y a pas été de main morte. Ils n’ont pas digéré non plus la déclaration de Sarkozy au moment de l’arrestation de Colonna, qui a piétiné la présomption d’innocence. Cela a laissé des traces dans la société corse. » D’après Benjamin Morel, cela crée une « distorsion de perception » sur le cas Colonna, entre assassin d’un préfet vu du Continent, et symbole culturel du mépris du pouvoir central vu de l’île : « Il ne faut pas être trop manichéen, il faut avoir du recul, parce qu’il y a une distorsion réelle : Colonna est l’assassin d’un préfet sur le continent, sur l’île, c’est plus compliqué. » Cette « distorsion » révèle un véritable enjeu mémoriel pour Benjamin Morel : « Les nationalistes ont imposé une contre-histoire où des terroristes sont considérés comme des héros. Il faut arriver à démystifier cette histoire, et pour ça, il faut que les institutions publiques n’en soient plus porteuses. » Au-delà des équilibres politiques et des réformes institutionnelles, le constitutionnaliste estime que « les nationalistes ont gagné la bataille culturelle et pour l’Etat c’est un vrai problème. »

« Dans un autre contexte, on n’aurait pas parlé de ‘faute’, mais de séparatisme et on aurait pris des sanctions »

Ce qui est sûr en tout cas, c’est que du point de vue du Continent et de l’Etat, le dossier corse « crée un précédent dangereux », notamment à cause de la relative mansuétude qu’affiche l’Etat vis-à-vis des violences et des revendications corses, explique Benjamin Morel : « Il y a un véritable deux poids, deux mesures. Il y a un côté insupportable à accorder des honneurs à l’assassin d’un préfet, alors que les mots du Président ont été très faibles par rapport à la situation. Dans un autre contexte, on n’aurait pas parlé de ‘faute’, mais de séparatisme et on aurait pris des sanctions à l’égard de la collectivité. Cela crée un sentiment d’injustice pour beaucoup de Français issus de l’immigration. » Entre la nécessaire fermeté que doit afficher le gouvernement, et cette « victoire culturelle » des nationalistes, Emmanuel Macron se retrouve pris entre deux feux, et il va être difficile pour le prochain gouvernement – quel qu’il soit – de se sortir du piège corse.

Parce que concrètement, les concessions sur « l’autonomie » ne sont pas vraiment une option de l’avis du constitutionnaliste : « Le statut, la Corse l’a déjà. Les nationalistes revendiquent l’officialité de la langue et la citoyenneté corse, ce à quoi Emmanuel Macron a fermé la porte. Enfin, ils revendiquent un statut de résident pour le droit immobilier, qui serait contraire à la Constitution et au droit européen. Revenir là-dessus impliquerait un statut à la néo-calédonienne et sortir la Corse de l’Union Européenne. Or là-dessus, même les nationalistes sont embêtés. » Une fois la bataille culturelle et historique perdue, le compromis politique paraît donc lointain : « Je vois mal le compromis possible. La situation est apaisée avant le 1er tour, et c’est que souhaitait le chef de l’Etat, mais c’est reculer pour mieux sauter. » Pas besoin d’enquête pour comprendre que la Corse sera un dossier brûlant du prochain quinquennat.

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