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Droit du sol : le gouvernement relance le débat sur l’immigration en ordre dispersé

A l’issue d’une séance houleuse où les députés ont adopté une proposition de loi visant à restreindre une nouvelle fois le droit du sol à Mayotte, l’immigration est revenue au premier plan de l’agenda du gouvernement. Reste à s’entendre sur la forme et le fond.
Simon Barbarit

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Il y a quinze jours, lorsqu’on interrogeait la porte-parole du gouvernement sur les différentes pistes lancées par l’exécutif pour financer la protection sociale, Sophie Primas avait manié avec brio l’antiphrase, préférant me mot de « polyphonie » à celui de cacophonie.

Ce vendredi, un nouveau concert de voix gouvernementales s’est fait entendre à la sortie d’une séance houleuse à l’Assemblée nationale où a été adoptée une nouvelle proposition de loi sur l’immigration. Porté par la droite de Laurent Wauquiez, avec l’appui du gouvernement, le texte conditionne l’obtention de la nationalité française pour les enfants nés à Mayotte à la résidence régulière sur le sol français, au moment de la naissance, des « deux parents » (et non plus d’un seul), et ce depuis trois ans (et non plus trois mois).

Subsistait jusqu’alors une forme de cohérence à voir une partie du bloc central et la droite appuyer cette mesure qui figurait déjà dans un amendement au dernier texte immigration, avant d’être censurée par le Conseil constitutionnel. Mais voilà, le garde des Sceaux, Gérald Darmanin a pris la liberté de proposer d’avancer plus en amont encore, en s’exprimant en faveur de l’abrogation pure et simple du droit du sol à Mayotte. Il suggère même d’ouvrir « le débat public sur le droit du sol dans notre pays » en réformant la Constitution, que ce soit via un référendum ou à l’occasion de la présidentielle de 2027.

« C’est un gouvernement d’autoentrepreneurs »

« Un ministre de la Justice ne peut s’exprimer en son nom personnel. Surtout, sur un sujet aussi inflammable que le droit du sol qui est un acquis de la Révolution française. C’est un gouvernement d’autoentrepreneurs, sans boussole politique où chacun joue sa partie », tance le président du groupe PS du Sénat, Patrick Kanner.

Au sein du gouvernement, la numéro 2, ministre de l’Education et ancienne Première ministre, Élisabeth Borne a clairement fait savoir, vendredi, sur RTL qu’elle n’était « pas favorable » au débat proposé par Gérald Darmanin. Ce dernier persiste et signe dans les colonnes du Parisien : « Être français, ça ne peut pas être le hasard de la naissance ».

Interrogé sur RMC, vendredi matin, François Bayrou n’a pas, à proprement parler, désavoué son garde des Sceaux, mais a temporisé et proposé d’élargir le débat public autour des notions d’identité et de citoyenneté. « Qu’est-ce que c’est qu’être Français ? Qu’est-ce que ça donne comme droits ? Qu’est-ce que ça impose comme devoirs ? Qu’est-ce que ça procure comme avantages ? Et en quoi ça vous engage à être membre d’une communauté nationale ? A quoi croit-on quand on est Français ? », a ainsi développé le chef du gouvernement.

Un point de vue partagé par Bruno Retailleau, qui s’est dit « parfaitement d’accord » avec la réflexion du Premier ministre. En déplacement à Lognes (Seine-et-Marne), le ministre de l’Intérieur, figure montante de LR, a insisté sur la nécessité, dans le cas d’une naturalisation, « d’assimiler des valeurs » comme la « liberté de conscience » ou « l’égalité entre les hommes et les femmes ».

A noter que pour obtenir une naturalisation, un étranger doit déjà répondre à un certain nombre de conditions, comme justifier de son « assimilation à la communauté française » lors d’un entretien individuel, au cours duquel est évaluée sa bonne connaissance de la langue française, des droits et devoirs conférés par la nationalité française, de l’histoire, de la culture et de la société françaises. Le demandeur doit aussi adhérer aux principes et valeurs essentiels de la République et ne pas avoir fait l’objet de condamnations pénales empêchant l’acquisition de la nationalité.

« La ligne de Bruno Retailleau est partagée par une majorité écrasante de Français »

« Il faut renforcer les conditions de naturalisation. Être Français, ce n’est pas qu’un simple bout de papier, c’est un ensemble de droits et de devoirs. Il faut prouver son adhésion à la République », soutient la sénatrice LR, Jacqueline Eustache-Brinio. L’élue du Val-d’Oise minimise l’impact de la cacophonie gouvernementale sur le sujet. « Il n’y a pas de communauté de pensée au gouvernement. Élisabeth Borne est une femme de gauche, il est normal qu’elle ne pense pas la même chose que Bruno Retailleau. La ligne de Bruno Retailleau ne plaît peut-être pas à certains ministres, mais elle est partagée par une majorité écrasante de Français.

Le patron des sénateurs Renaissance, François Patriat n’utilise pas de périphrase pour définir l’ambiance au gouvernement. « La cacophonie doit s’arrêter. La partie la plus à droite du gouvernement veut être proactive sur l’immigration. Mais je pense que la position de François Bayrou est la bonne : regarder posément l’ensemble de nos politiques migratoire dans le cadre d’un débat national ».

« La question de l’immigration est utilisée par une partie de la classe politique de droite et d’extrême droite, comme une forme de dérivatif, quand la situation économique et mauvaise. C’était déjà le cas en 2009 », observe le sénateur écologiste, Guy Benarroche.

Quand François Bayrou s’opposait au débat sur l’identité nationale

L’idée n’est pas nouvelle. En 2009, Le ministre de l’Immigration, Éric Besson avait lancé un débat controversé sur l’identité nationale dont il avait par la suite lui-même reconnu les limites. Il proposait « aux préfets et aux sous-préfets d’organiser des réunions avec les forces vives de la nation sur le thème de : qu’est-ce qu’être Français, quelles sont les valeurs qui nous relient, quelle est la nature du lien qui fait que nous sommes français et que nous devons être fiers ». Un an plus tard, en 2010, un sondage de l’institut Obea-Infraforces pour France Info et 20 Minutes, avait révélé que 54 % des Français avaient jugé l’initiative « électoraliste » et 63 % estimaient que ce débat n’a pas été « constructif ». « Objectivement, ce n’est pas faux, ils ont raison », avait reconnu Éric Besson. François Bayrou, lui-même s’était opposé à ce débat. « Rien n’est pire que d’en faire (l’identité nationale) un sujet d’affrontement politique (..) encore pire d’en faire une utilisation partisane », dénonçait-il dans les colonnes du Figaro.

« Peut-être que le débat est plus mûr maintenant », veut croire François Patriat. Au PS, le Premier secrétaire, Olivier Faure n’a pas totalement fermé la porte à la proposition du Premier ministre. « Tout dépend ensuite de ce que l’on en attend : la confrontation de tous avec tous ou la cohésion. En 2009, François Bayrou portait une vision inclusive qui s’opposait à celle que développe désormais une partie de son gouvernement. Gouverner c’est choisir », tranche-t-il sur X.

« Ce débat ne me rassure pas. François Bayrou a déjà ouvert la porte aux dérives qui pourraient l’accompagner en parlant de submersion migratoire », note Patrick Kanner qui rappelle que les députés socialistes déposeront une motion de censure dans les prochaines semaines « pour marquer leur opposition sur ces valeurs ». « Des propos qui crispent un peu plus les relations du PS avec LFI. Le PS a largué les amarres avec la non-censure. Ils sont prêts à tout accepter pour coller à Bayrou », a déploré le leader insoumis Jean-Luc Mélenchon

Au Sénat, la question migratoire ne va pas tarder à revenir. Au mois de mars, la Haute Assemblée examinera deux propositions de loi portées par LR. La première vise à allonger jusqu’à 210 jours la durée de détention en centre de rétention administrative (CRA) d’un étranger sans papier condamné pour des infractions violentes. Le second texte concerne la conditionnalité des aides sociales. Il fixe une durée minimale de résidence de deux années avant qu’un étranger en situation régulière puisse être éligible à certaines prestations sociales non contributives.

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