Alors que les discussions sur le projet de loi d’habilitation ont débuté à l’Assemblée, la concertation avec les organisations syndicales et patronales se poursuit. « La concertation existe bel et bien, mais pas plus ni moins qu’avant », tempère Véronique Descacq, secrétaire générale adjointe de la CFDT. Devant les sénateurs de la commission des affaires sociales, les syndicats regrettent de ne pas vraiment pouvoir parler du fond : « On est sur un contenant et le contenu sera dans les ordonnances », rappelle Fabrice Angei au nom de la CGT.
« Avec ce projet c’est la précarité pour tous et les droits pour personnes »
Le syndicaliste regrette aussi de voir « les exigences du MEDEF qui se dévoilent bien plus que les exigences syndicales » et résume le projet de loi en deux mots : « précarité, pour ceux qui ont un emploi et ceux qui veulent y accéder » et « liberté pour les entreprises ». « Avec ce projet c’est la précarité pour tous et les droits pour personnes. »
Plus encore, il considère qu’il s’agit là d’une « véritable destruction du droit du travail » et non d’une « réforme structurelle » comme le laisse entendre la ministre du Travail. Au lieu d’une « énième loi travail », les organisations syndicales auraient préféré que les précédentes réformes soient « évaluées ».
Véronique Descacq (CFDT) regrette que les précédentes réformes n'aient été évaluées
Jean-Michel Pottier de la CPME se réjouit, lui, d’entrevoir une réforme « qu’on attendait depuis longtemps ». Même son de cloche du côté du Medef : « L’emploi est la résultante d’un certain nombre de facteurs et la réforme du travail en est un », assure Alexandre Saubot, vice-président de l’organisation patronale.
« L’emploi est la résultante d’un certain nombre de facteurs et la réforme du travail en est un », assure Alexandre Saubot, vice-président de l’organisation patronale.
Parmi les points de crispation des organisations syndicales, la valeur qui devrait être donnée aux accords d’entreprises. Les syndicalistes fustigent l’inversion de la hiérarchie des normes. Fabrice Angei déplore « l’affaiblissement des accords de branche, dont le champ serait limité. Si les six domaines réservés à la branche sont préservés, à l’exception peut-être de la pénibilité au travail dont « on ne sait pas trop ce qu’elle va devenir », « tous les autres thèmes seront traités automatiquement au niveau de l’entreprise avec primauté de l’accord d’entreprise sur l’accord de branche ».
La CFDT réclame un 7ème domaine réservé à la branche pour la qualité de l’emploi, « un domaine dans lequel les négociateurs de branches pourraient réguler le recours à l’ensemble des contrats atypiques », tel le polémique contrat de chantier. « Ne perdons pas de vue que, dans la majorité des cas, les branches qui ne prévoient pas de CDI de chantier vont recourir au CDD, dont la durée est encore plus courte. Donc le CDI de chantier est un outil pour réduire la précarité plutôt que pour l’augmenter », lui oppose Alexandre Saubot, du Medef.
La fusion des instances représentatives de personnel, « une usine à gaz »
Autre inquiétude des syndicats, la fusion des instances représentatives de personnel. « Le regroupement des missions serait une véritable usine à gaz », estime la CFDT. Didier Porte (Force ouvrière) considère que cela va être « compliqué » pour ses représentants : « On va demander à des spécialistes des questions d’hygiène et de sécurité de devenir des spécialistes des questions économiques ! » Par ailleurs, il craint « une globalisation du dialogue social qui rayerait toutes les spécificités existantes ».
Didier Porte (FO) inquiet par fusion "automatique" des instances représentatives du personnel
« L’idée qu’on puisse diviser l’entreprise par thème me semble être une idée absurde au XXIe siècle », lui oppose le vice-président du Medef. Et d’ajouter : « Être capable dans un lieu unique de débattre de l’avenir de l’entreprise dans toutes ses dimensions est fondamental. »
« Le choix fait est celui d’une fusion systématique des instances », regrette la CFDT. Didier Porte confie, qu’au départ, le gouvernement avait dit qu’il y aurait la possibilité de conserver des instances séparées par accord majoritaire, « mais aujourd’hui il ne figure plus dans le projet de loi ». Il craint une « remise en cause du monopole de la négociation des organisations syndicales »
« Peu de marges de manœuvre »
Le plafonnement des indemnités prud’homales a aussi été évoqué par les organisations syndicales. Didier Porte annonce qu’en état actuel du projet cela concerne tant les indemnités pour les licenciements sans cause réelle et sérieuse que les dommages et intérêts attribués pour les autres litiges comme les mesures vexatoires par exemple. « Cela nous laisse maintenant peu de marges de manœuvre », déplore le syndicaliste. Il réclame au nom de Force ouvrière « des dispositifs qui permettent d’exonérer le juge de l’application du plafonnement » ainsi qu’un plancher correspondant à « un mois de salaire par année d’ancienneté sans plafond ». Gilles Lécuelle, secrétaire national de CGC signale, lui, que « le salarié est la seule victime en cas de licenciement abusif ».
Côté organisations patronales, Jean-Michel Pottier fait valoir un « droit à l’erreur en ce qui concerne les délibérations prud’homales » car « une simple erreur peut tout faire basculer » : « Des licenciements abusifs sont très souvent des licenciements sans cause réelle et sérieuse qui sont traités comme les licenciements abusifs. »
Finalement, si les organisations patronales semblent satisfaites du projet de loi d’habilitation, les organisations syndicales semblent, elles, désabusées : « Quoi qu’on en dise on n’a pas l’impression qu’on va beaucoup influer sur les quelques personnes qui tiennent le stylo », conclut le secrétaire national de la CGC.