« Je pense qu’on a été au maximum de la négociation, il va falloir agir maintenant avec plus de fermeté », estime le président LR de la commission des affaires étrangères du Sénat, Jean-François Rapin, quelques heures après le rejet par les Etats-Unis de la proposition faite par l’Union européenne d’une exemption de droits de douane totale et réciproque pour les produits industriels, dont les voitures.
« Non ce n’est pas suffisant », a estimé Donald Trump, interrogé sur cette proposition annoncée lundi par la présidente de la Commission Ursula von der Leyen, « L’Union européenne s’est très très mal conduite avec nous », a poursuivi le président américain.
« l’administration Trump ne fait aucun sentiment »
La semaine dernière, Donald Trump a lancé une offensive protectionniste tous azimuts, annonçant l’entrée en vigueur d’une surtaxe de 20 % sur les produits européens, et 34 % sur les produits chinois, plongeant les bourses mondiales dans la foulée.
L’Union européenne présentera sa réponse aux droits de douane « réciproques » en début de semaine prochaine », a annoncé mardi un porte-parole de la Commission, Olof Gill.
En attendant, l’ancienne ministre déléguée chargée des Français de l’étranger et actuelle sénatrice socialiste, Hélène Conway-Mouret préconise « de ne rien lâcher, comme le font le Canada et la Chine. Nous sommes dans une guerre économique et l’Union européenne a les moyens de dissuader les Américains de nous agresser. D’autant que l’administration Trump ne fait aucun sentiment. Quand elle obtient quelque chose, elle en demande plus après ».
La première partie de la riposte devrait intervenir le 15 avril. L’Union européenne propose à cette date de répliquer aux taxes américaines sur les importations d’acier par des droits de douane de 25 % sur des marchandises américaines, Ces droits de douane européens sont censés répondre aux taxes américaines sur l’acier et l’aluminium, entrées en vigueur en mars.
L’UE a également annoncé qu’elle épargnera le bourbon, pour éviter des représailles aux vins et spiritueux européens. Plusieurs pays producteurs de vin, dont l’Italie et la France, avaient plaidé pour épargner en ce sens, après les menaces de Washington d’imposer en réponse aux droits de douane de 200 % sur les vins et spiritueux européens. Une deuxième vague de représailles pourrait arriver le 15 mai si les Etats membres donnent leur accord. Elle porterait sur des produits agricoles comme le soja, la volaille, le riz, et plusieurs fruits. Elle prévoit également des droits de 25 % sur le bois, les motos, des produits plastiques, des équipements électriques ou des produits de maquillage.
« Le grand danger pour les Européens c’est de se désunir et de négocier dans son coin avec les Etats-Unis en fonction de ses intérêts particuliers », pointe Hélène Conway-Mouret.
« l’UE agit presque comme un Etat fédéral » dans le domaine du commerce extérieur
La stratégie à adopter diffère en fonction des Etats Membres. La France et l’Allemagne poussent pour une réponse très ferme de Bruxelles. L’Irlande et les Pays Baltes qui dépendent plus d’investissements américains, sont favorables à une négociation conduisant à une désescalade.
« Cette réponse, graduée, en deux temps prévue par l’Union européenne a pour premier objectif de laisser les Etats membres trouver un compromis sur la stratégie, avec en arrière-plan, l’espoir que l’effondrement des marchés financiers fasse reculer Donald Trump. La force de l’Union Européenne dans ce bras de fer, c’est que le commerce extérieur est une compétence très intégrée, l’UE agit presque comme un Etat fédéral dans ce domaine et peut instituer un rapport de force. D’autant que l’Union européenne est le deuxième marché mondial », rappelle Sébastien Maillard, conseiller spécial à l’institut Jacques Delors, et associé au think tank britannique Chatham House.
« Ce n’est pas la première fois que l’Union européenne doit répondre aux mesures protectionnistes décrétées par les Etats-Unis. Sous Biden, l’Inflation Reduction Act n’avait pas été sans conséquences pour notre économie et l’UE avait su répondre », rappelle Jean-François Rapin. Promulgué en 2022, ce texte consacrait un budget d’environ 370 milliards de dollars à des mesures de soutien à la politique industrielle verte des États-Unis. En réponse, la Commission avait présenté un plan industriel, dont l’un des piliers, incitait les investissements dans les technologies propres dans les États membres.
Dernière arme pour l’Union européenne : « Le bazooka économique »
Reste une dernière arme dont s’est dotée l’Union européenne en 2023 pour punir tout pays faisant pression sur elle par des armes économiques. Présenté comme « un bazooka économique », par le vice-président exécutif de la Commission européenne chargé de la stratégie industrielle, Stéphane Séjourné, ce dispositif n’a jamais été utilisé jusqu’ici. Cet « instrument anti-coercition » a été pensé comme un outil de dissuasion, à activer après épuisement des voies diplomatiques. Il permettrait notamment le gel de l’accès aux marchés publics européens ou le blocage de certains investissements. « Dans le cadre multilatéral de l’OMC, les Etats peuvent égaliser les droits de douane en proportion de ce qui leur est imposé. Mais Donald Trump a tapé très fort obligeant les Etats membres à chercher une réponse appropriée. La question qui se pose c’est : est-ce que l’Union européenne va utiliser le bouclier anti-coercition qui permet de toucher les services y compris numériques, les géants de la tech. Les Etats-Unis ont bien bloqué TikTok sur leur sol pendant plusieurs heures. L’UE pourrait faire pareil avec Facebook et X », explique Isabelle Méjean, professeur d’économie à Sciences Po, spécialiste du commerce international. Cibler la tech américaine constituerait une « escalade extraordinaire », a mis en garde le ministre irlandais des Affaires étrangères Simon Harris, dont le pays dépend des investissements des géants de la tech américaine.
Dans cette guerre commerciale qui s’installe, les marchés mondiaux ont repris leur souffle ce mardi. A la veille de l’entrée en vigueur de nouvelles taxes américaines sur les importations chinoises et européennes, le Dow Jones grimpait de 3,6 % et l’indice élargi S & P 500 gagnait 3,8 % aux alentours de 14H05 GMT. Les marchés européens sont également dans le vert. La Bourse de Paris a grimpé de 2,50 %, celle de Francfort de 2,48 %, Londres de 2,71 % et Milan de 2,44 % après avoir essuyé de lourdes pertes sur trois séances.