Personne n’a oublié les performances médiatiques désastreuses de certains candidats RN aux dernières élections législatives. Comme sur le plateau de France 3, le 10 mai 2022, lorsque la conseillère régionale en Bourgogne Franche-Comté Mélanie Fortier s’excusait de ne pas savoir « quels services publics Marine Le Pen voulait pour la France », avant de demander à la journaliste de « couper » cette partie du débat. Ou encore Sophie Carnicer, candidate RN de la 2e circonscription du Territoire du Belfort, qui, incapable de répondre aux questions des journalistes de France 3 Franche Comté, balbutiait qu’elle « ne connaissait pas trop » et « n’avait pas préparé » le sujet.
Si ces séquences avaient provoqué l’hilarité sur Twitter, elles n’en illustraient pas moins le manque de professionnalisme caractérisant les élus du parti de Marine Le Pen.
« Au FN, on forme des militants, pas des cadres »
Comme le rappelle le sociologue et politologue spécialiste de l’extrême-droite Erwan Lecoeur, la plupart des électeurs et militants du RN sont peu ou pas diplômés. Le parti compte, par ailleurs, peu d’élus de terrain auprès desquels les militants peuvent se former au fonctionnement des institutions et aux rouages de la politique, comme cela s’est toujours fait au sein des partis traditionnels (Parti Socialiste, Les Républicains, Les Verts) fortement ancrés sur le territoire. En résulte un manque de cadres, ô combien préjudiciable pour un parti affichant ostensiblement son ambition de conquête du pouvoir.
Peu de chances également que l’entrée des 89 députés (88 aujourd’hui) à l’Assemblée nationale, dont deux élus au poste de vice-présidents de la chambre, suffise à asseoir la crédibilité des membres du parti. A cet égard, le think tank progressiste Terra Nova publie aujourd’hui une note d’une quarantaine pages pour dresser un premier bilan de l’activité des élus RN dans l’hémicycle et évaluer le succès de la stratégie d’institutionnalisation du parti. Si les auteurs de cette note reconnaissent que la participation du RN au travail parlementaire renforce « l’image respectable » que le parti tente de se construire, ils insistent pour dire que cette participation n’a qu’une valeur de mise en scène. Ainsi, l’on peut voir les députés RN intervenir en séance publique, mais rester muets en commission parlementaire, là où les discussions ne sont pas filmées et pourtant essentielles à l’élaboration de la loi.
« Faire savoir que le parti forme des gens sérieux »
Face au défaut d’éducation politique et institutionnelle de ses militants, le Rassemblement national a décidé de créer son « école des cadres », dont la soirée de lancement se déroule ce soir à la Maison de la Chimie à Paris. Baptisée « campus Héméra », cette école sera financée par le parti et dirigée par Jérôme Sainte-Marie, le directeur de l’institut de sondage PollingVox et conseiller de Marine Le Pen lors de sa campagne présidentielle.
Au programme : des cours de culture générale en ligne, des interviews et des conférences ouverts aux adhérents du RN, d’une part, et une formation en présentiel à destination des futurs cadres, d’autre part. Le tout pour « donner au Rassemblement national les moyens de devenir un parti de masse face au bloc élitaire » pour reprendre les mots de son futur directeur.
Pour Erwan Lecoeur, l’objectif est avant tout « de faire savoir que le parti forme des gens sérieux, qui seront aptes à conquérir et exercer le pouvoir. » Le sociologue remarque qu’« habituellement la formation des militants au sein d’un parti politique ne se médiatise pas » et que le RN, ex-FN, a toujours entrepris de former ses militants, avec plus ou moins de réussite. L’ouverture de cette école est d’abord un signal envoyé en direction des électeurs pour les convaincre de la compétence des futurs cadres RN, sur lesquels s’appuiera Marine Le Pen dans sa conquête de l’Elysée.
Maîtriser les outils de la propagande 2.0
Au-delà du signal, Erwan Lecoeur soutient que cette école des cadres va permettre aux militants et aux élus RN de maîtriser les « outils de la propagande 2.0 » : « ils vont apprendre à gérer leurs réseaux sociaux, utiliser des éléments de langage, influencer l’opinion, manier le confusionnisme. »
Contrairement à ce que pourrait laisser entendre les artisans de l’école, pour ce spécialiste de l’extrême-droite, le « campus Héméra » n’a pas vocation à étoffer le corpus idéologique du parti. « L’école ne va pas déterminer la ligne idéologique du parti, elle va déterminer comment on s’exprime sur cette ligne. C’est une école pour apprendre à parler dans le poste. »
Le risque d’une « montée en gamme » à rebours du discours anti-élites ?
Le Rassemblement national doit-il craindre que la constitution d’une élite gouvernementale ne l’éloigne de son électorat, nourri au discours anti-élites ? Ce risque apparaît d’autant plus sérieux lorsqu’on sait que la sociologie du Rassemblement national contraste fortement avec celle de son électorat. Comme le rappelle la note de Terra Nova, le groupe RN à l’Assemblée nationale est composé aux deux tiers de cadres ou de professions intellectuelles supérieures, à l’instar des autres formations politiques.
Pourtant, selon Erwan Lecoeur, aucun risque que le RN ne devienne la cible d’une détestation anti-élites. Le sociologue et politologue spécialiste de l’extrême-droite explique que Marine Le Pen n’hésitera pas à invoquer sa base militante et électorale populaire et à présenter son école comme un moyen d’ascension sociale pour contrer tout procès en élitisme.