Sans surprise, la proposition de loi sur « l’École de la liberté, de l’égalité des chances et de la laïcité » du sénateur LR Max Brisson a été adoptée par le Sénat, à 220 voix contre 118. Le texte, porté par le « M. Ecole » de la droite sénatoriale, rassemblait en quelque sorte les positions prises par la majorité sénatoriale sur le sujet depuis un rapport de Max Brisson et Françoise Laborde sur le métier d’enseignant présenté à l’été 2018.
L’obligation du port de l’uniforme supprimée par le Sénat
Autonomie des établissements, dérogation aux modalités d’affectation des enseignants par des contrats de mission à durée déterminée, réforme du statut des directeurs d’école primaires pour leur donner une autorité hiérarchique, ainsi qu’un service public de soutien scolaire, une attention particulière aux territoires ruraux, l’obligation de neutralité religieuse pour les accompagnatrices de sorties scolaires et le port de l’uniforme : la version du texte adoptée en commission aurait pu être une sorte de synthèse des divers rapports, amendements ou proposition de loi portés par la droite sénatoriale et restées lettre morte ces dernières années.
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Et pour l’essentiel, le texte n’a pas subi de modification substantielle lors de l’examen en séance. Seul le dernier article de la proposition de loi, reprenant une proposition de la sénatrice LR Sylvie Goy-Chavent qui instaurait l’obligation du port de l’uniforme à l’Ecole a été supprimé, contre l’avis de la commission. Une opposition des centristes sur ce point a permis, avec les voix de la gauche sénatoriale et de la majorité présidentielle, d’adopter un amendement de suppression. « Aucune étude ne vient confirmer que c’est un levier de mixité sociale, d’autant plus que ce n’est pas la bonne réponse en termes de coûts, avec 2 milliards par an », a expliqué la sénatrice centriste Annick Billon pour justifier la position de son groupe, réitérant que le port de l’uniforme « ne permettrait jamais d’éviter la différenciation », qui se reporterait simplement sur les « téléphones, baskets, montres, sacs. »
Autonomie des établissements : « Je sais que le débat est clivant, et alors ? »
Pour le reste, en revanche, les orientations défendues par Max Brisson et Jacques Grosperrin, rapporteur LR du texte, ont été validées par la majorité sénatoriale, le plus souvent contre l’avis de Pap Ndiaye. Sur l’article 1er notamment, le cœur de ce texte, la droite sénatoriale a défendu un modèle d’autonomisation plus forte des établissements. « Les systèmes les plus performants sont ceux qui donnent le plus de place à la liberté et à l’autonomie des établissements », a notamment argumenté Max Brisson, en défendant « une contractualisation, non pas pilotée par le haut, mais bel et bien initiée par les équipes pédagogiques pour s’adapter aux réalités des établissements. »
Dans la chambre des territoires, le sénateur LR des Pyrénées-Atlantiques en a appelé au respect des spécificités territoriales : « Nous sommes tous particulièrement sensibles à la spécificité des territoires. Qui mieux que le professeur sait adapter ses enseignements aux élèves ? Voilà l’esprit de cette expérimentation : donner une plus grande liberté aux chefs d’établissements et aux professeurs. » Mais l’autonomie des établissements n’est pas simplement une affaire de différenciation locale, et Max Brisson l’assume : « Je sais que le débat est clivant, et alors ? »
« Le système actuel est celui de la ségrégation et de l’inégalité »
Sur les bancs de la gauche, en effet, les qualificatifs ne manquent pas pour dénoncer cette « dérégulation et libéralisation de l’Ecole » pour la sénatrice socialiste Sylvie Robert, qui déplore la « fin de l’ambition républicaine sur l’ensemble des territoires. » Yan Chantrel va même jusqu’à comparer le texte aux réformes successives qui ont libéralisé puis privatisé le système éducatif anglais. Une comparaison peu appréciée par l’auteur du texte. « Je ne suis pas le descendant de Margaret Thatcher, je vous demande un peu plus de sérieux dans nos échanges », s’est notamment agacé Max Brisson avant de répondre sur le fond : « Sur ces bancs, on va nous dire tout va bien, circulez, il n’y a rien à voir. Non, le système actuel est celui de la ségrégation et de l’inégalité. Notre système centralisé produit plus d’inégalités que dans les pays européens voisins. Nous souhaitons simplement un peu de liberté, moins d’injonctions et de copier-coller. »
Des arguments loin de satisfaire la gauche, et notamment la sénatrice communiste Céline Brulin : « L’Ecole française est très inégalitaire, tout le monde l’a dit. Donc si l’on veut faire cette différenciation, c’est pour les réduire : où est le critère de justice sociale de réduction des inégalités dans votre proposition ? » Le président du groupe socialiste et ancien ministre de la Ville, Patrick Kanner, attire l’attention sur le rôle clé de la ségrégation territoriale et sociale dans les inégalités scolaires : « Est-ce que votre expérimentation réglera ce problème ? En voulant fragiliser ce socle de la République une et indivisible vous ne réglez rien les questions de ségrégation sociale que nous connaissons dans nos territoires. » Le sénateur communiste, Pierre Ouzoulias, lui emboîte le pas : « Nous demandons trop à l’Ecole. La première réforme pour changer l’Ecole c’est une réforme de la ville et une résorption des inégalités dans l’habitat.
« Je n’ai rien contre l’autonomie en tant que telle », temporise Pap Ndiaye
À droite, on prône les vertus d’une expérimentation prudente et circonstanciée, que la majorité sénatoriale a limitée en commission à 10 % des établissements et 20 % des élèves par académie maximum, « dans le cadre d’un contrat entre l’établissement, l’Education nationale, et les collectivités », précise Max Brisson. « La proposition de Max Brisson n’aura peut-être pas les effets qu’on escompte, mais comment le savoir sans l’avoir tenté ? » plaide de son côté le sénateur LR Olivier Paccaud.
En tout état de cause, la proposition a été adoptée par le Sénat. Reste maintenant à savoir si la proposition de loi sera mise à l’agenda de l’Assemblée nationale, et si elle pourrait y être adoptée, sans le soutien – a priori – du gouvernement, puisque Pap Ndiaye a expliqué que cette demande d’autonomie était déjà satisfaite pour les établissements du secondaire, tout en ne fermant pas la porte à d’autres discussions : « L’autonomie, certes, mais selon quelles modalités et quels objectifs ? L’autonomie en matière de programmes, de recrutements de professeurs, d’horaires, ou d’organisation pédagogique ? Je n’ai rien contre l’autonomie en tant que telle, mais nous gagnerions à converser plus avant sur les modalités et le contenu de l’autonomie dont nous parlons. »