Ecole dispositif de securite sanitaire a Cannes

Ecole : le sénateur Pierre Ouzoulias souhaite conditionner les financements du privé à des critères de mixité sociale

En juillet 2022 l’Education nationale a révélé ses indicateurs de position sociale, montrant ainsi les inégalités entre les différents établissements, en particulier entre le public et le privé. Quelques mois plus tard, Pierre Ouzoulias, sénateur communiste des Hauts-de-Seine, dépose une proposition de loi visant à lier le financement public des établissements privés à des critères de mixité sociale. Un texte qui a peu de chances d’aboutir, mais qui met le débat de l’égalité des droits des élèves sur le devant de la scène.
Mathilde Nutarelli

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Mauvaise note pour l’enseignement privé. Quelques mois après la publication d’indicateurs de la ségrégation scolaire dans les primaires et les collèges, le sénateur communiste des Hauts-de-Seine Pierre Ouzoulias dépose une proposition de loi visant à lier le financement public des établissements scolaires privés à leur mixité sociale. Pour lui, ce texte est la pierre d’un « immense projet : la refonte du pacte républicain ».

« Les enfants de riches vont dans les écoles de riches et les enfants de pauvres vont dans les écoles de pauvres »

Le projet de l’élu naît d’un constat : la ségrégation scolaire, dont la conscience a été amplifiée par la publication des indices de position sociale (IPS) des classes de CM2 et des collèges en juillet 2022. En effet, le 13 juillet 2022, le ministère de l’Education nationale a été contraint par le tribunal administratif de Paris de rendre publics IPS qu’il ne diffusait pas. Cet indicateur permet d’évaluer si les élèves sont issus d’un milieu social favorable à la réussite scolaire. Ils sont calculés en prenant en compte notamment le diplôme des parents ou encore les pratiques culturelles de la famille. « Quand j’ai découvert les chiffres des IPS, j’étais loin d’imaginer une telle séparation », s’alarme Pierre Ouzoulias auprès de Public Sénat. « Pour le résumer en une phrase, les enfants de riches vont dans les écoles de riches et les enfants de pauvres vont dans les écoles de pauvres. C’est une forme de séparatisme qui met en danger le pacte républicain », précise-t-il.En effet, sans surprise, ce que révèle l’étude de ces IPS, c’est que plus il est élevé, plus la part des établissements privés sous contrat est importante. La Gazette des communes a ainsi calculé, en partant des chiffres révélés par l’Education nationale, qu’en 2021-2022, 78 % des collèges avec un IPS de 140 et plus sont privés sous contrat, alors qu’ils ne sont que 6 % des collèges avec un IPS de moins de 90. Pierre Ouzoulias confirme : « Dans les Hauts-de-Seine, les 20 collèges qui ont l’IPS le plus faible sont publics et les 20 collèges qui ont les IPS les plus élevés sont privés ». Pour le sénateur, cette ségrégation n’est pas la même sur tout le territoire : « C’est vraiment un phénomène plus fort dans les métropoles. Dans les départements ruraux, la différence entre le privé et le public est moindre et elle se fait parfois au détriment du privé », analyse-t-il.Résultat, pour l’élu, « les enfants des classes populaires se retrouvent coincés dans une trappe sociale, leurs chances de poursuivre un cursus dans un lycée général puis dans à l’université sont quasi nulles. Il y a une ségrégation qui est insupportable ».

« Si les écoles ne veulent pas accueillir des élèves des classes défavorisées, elles ne touchent pas des sous de l’Etat »

Pierre Ouzoulias a donc déposé une proposition de loi « visant à autoriser la puissance publique à conditionner les subventions accordées aux établissements privés sous contrat à des critères de mixité sociale et scolaire ». En pratique, depuis la loi Debré de 1959, les pouvoirs publics participent au financement de l’enseignement privé en France, à condition que celui-ci accueille tous les élèves, sans distinction. Après les modifications apportées par plusieurs textes, aujourd’hui, c’est l’Etat qui finance les salaires des enseignants, alors que ce sont les collectivités locales qui contribuent aux frais de fonctionnement des établissements privés.En pratique, le texte du sénateur Ouzoulias vise donc à faire varier le financement des pouvoirs publics (Etat et collectivités territoriales) à des critères de mixité sociale au sein des établissements privés. « C‘est de l’argent public. Il est normal que quand l’Etat verse de l’argent, il ait un regard sur la façon dont il est utilisé. Dans le budget général de l’école privée, 73 % proviennent des pouvoirs publics. Cela ne peut pas se faire sans contrepartie sociale », justifie l’auteur du texte. Au risque de remettre en cause la liberté pédagogique ? « On considère que chaque école a des objectifs pédagogiques qui sont les siens, ce que je respecte, mais si elles ne veulent pas accueillir des élèves des classes défavorisées, elles ne touchent pas de sous de l’Etat. C’est un principe républicain très simple », se défend le sénateur communiste.Au Sénat, l’issue du vote sur la proposition de loi de Pierre Ouzoulias ne laisse aucun doute : elle ne sera pas adoptée. « Je trouve que sur un certain nombre de sujets, la droite donne des leçons de républicanisme. Mais à chaque fois qu’on vient sur ce terrain-là on nous explique que ce n’est pas possible. Il faut un peu de cohérence républicaine. La République forme des républicains dans l’école de la République », se désole l’élu alto séquanais.

« Il faut une réflexion sur la carte scolaire, sur le mélange dans un territoire, du privé et du public »

Pour Pierre Ouzoulias, le sujet va au-delà de sa proposition de loi. Il insiste sur l’impact en termes d’urbanisme de la non-mixité scolaire. Selon lui, « avec cette ségrégation sociale d’accès à l’enseignement, il se produit une accélération de la ségrégation spatiale de l’habitat. Maintenant, les parents achètent un bien pour protéger le patrimoine culturel de leur enfant. Il y a aujourd’hui plusieurs France qui ne cohabitent plus, qui vivent côte à côte et qui sont de plus en plus distinctes, y compris pour l’école ».L’élu appelle donc à travailler de manière plus globale sur la question scolaire : « Ce que je propose ne suffira pas seul : il faut une réflexion sur la carte scolaire, sur le mélange dans un territoire du privé et du public, et une politique de la ville plus ambitieuse. L’école ne peut pas corriger les biais sociaux de l’habitat. C’est un immense projet : refonder le projet républicain. En six ans de mandat de Macron, j’ai vu tout l’inverse : la mise en concurrence de tout le monde avec tout le monde ». Le débat dans l’hémicycle le 11 avril prochain de la proposition de loi du sénateur LR des Pyrénées-Atlantiques Max Brisson « pour une école de la liberté, de l’égalité des chances et de la laïcité », qui vise entre autres à « accorder plus d’autonomie aux établissements scolaires » sera une occasion supplémentaire pour le Palais du Luxembourg de débattre de ce sujet.

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