En nommant Edouard Philippe à Matignon, Emmanuel Macron envoie un signal fort en choisissant un premier ministre de droite. Un message en vue de la constitution de sa future majorité. De quoi précipiter la division des Républicains.
Edouard Philippe a l’avantage d’être jeune en politique – il a 46 ans – et d’incarner, comme Emmanuel Macron, un renouvellement. Il a en revanche un défaut : il n’est pas une femme. Le nouveau chef de l’Etat pourra se rattraper sur la parité au gouvernement.
Député-maire du Havre, Edouard Philippe a un autre plus, qui en faisait un bon candidat pour le poste : il a commencé sa vie politique en passant deux ans au PS, pendant ses études à Sciences Po Paris. Il peut incarner ainsi le rassemblement droite/gauche que défend le président de la République. Il soutient alors Michel Rocard, dont Emmanuel Macron revendique une forme d’héritage. S’il incarne une nouvelle génération, son parcours est extrêmement classique. Celui de l’élite française. Après l’ENA, il choisit le Conseil d’Etat.
Il rejoint Juppé en 2002
Edouard Philippe ne reste pas longtemps à gauche. Ce Rouennais de naissance s’implante au Havre en 2001 dans le sillage du maire chiraquien Antoine Rufenacht, dont il est l’adjoint. A sa démission, il prend le fauteuil du maire en 2010 et sera élu en 2014.
Mais son mentor en politique, c’est Alain Juppé, qu’il rejoint en 2002. Un transfert logique. Le social-libéralisme de Rocard et la droite humaniste de Juppé partagent beaucoup finalement. Le maire de Bordeaux propose alors à Edouard Philippe de participer à la création de l’UMP. Jusqu’en 2004, il est directeur général des services du nouveau parti qui rassemble la droite et une partie du centre. Quand Alain Juppé est nommé en 2007 au ministère de l’Ecologie, il le nomme conseiller à ses côtés. Pas pour longtemps. Le maire de Bordeaux quitte le gouvernement après sa défaite aux législatives en juin 2007.
Similitudes et manque de complémentarité avec Macron
Après le ministère de l’Ecologie, Edouard Philippe part dans le privé en travaillant… pour Areva, de 2007 à 2010. Le géant du nucléaire l’embauche comme directeur des affaires publiques, autrement dit le lobbying auprès des pouvoirs publics. Auparavant, il connaît une autre expérience dans le privé comme avocat. Encore un point commun avec Emmanuel Macron qui a connu aussi le privé chez Rothschild. De nombreuses similitudes qui ont un avantage. Les deux hommes devraient bien s’entendre. Elles ont aussi un défaut : le manque de complémentarités, à terme, entre les deux hommes.
Elu député de Seine-Maritime depuis 2012 – il ne se représente pas à cause du non-cumul – il est porte-parole d’Alain Juppé pendant la primaire de la droite. Mais c’est la désillusion quand l’ancien premier ministre échoue au second tour. Il se met en retrait de la campagne de François Fillon au moment où les affaires retentissent. Il ne reste pas les inoccupé : il tient dans Libération une chronique sur la campagne.
Il ne voyait pas d’un bon œil les exigences de la Haute autorité
A Matignon, l’une des premières missions de cet amateur de boxe sera de mettre en œuvre la loi de moralisation de la vie politique et la plus grande transparence qu’Emmanuel Macron appelle de ses vœux. Une transparence qu’il ne voyait pas d’un bon œil à l’origine.
Mediapart a révélé vendredi qu’Edouard Philippe a écopé d’un blâme de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique pour ne pas avoir transmis certaines informations dans sa déclaration de 2014. Sur la valeur de ses biens mobiliers, il avait écrit systématiquement « aucune idée »… « Mauvaise humeur » s’est-il justifié auprès de Mediapart. Il se serait mis depuis en conformité
« Le chemin de Macron sera étroit. Et risqué » (Edouard Philippe, le 3 mai dernier)
La (re)lecture de ses chroniques pour Libération, son instructives. En mars, il écrivait que « deux candidats (au moins) s’illustrent dans cette capacité à transgresser les règles ». Marine Le Pen et le leader d’« En marche ! », dont il soulignait autant les erreurs que les qualités :
« Macron, lui, serait le plus-que-parfait. Qui faisait encore quelques fautes d’accord au début : les ouvrières "illettrées", les costumes qu’on doit pouvoir se payer en travaillant (les costumes, décidément…), mais qui a vite appris, comme un élève doué qui espère compenser par son intelligence son manque d’expérience. Le voilà qui lui aussi transgresse : il revendique son immaturité ! Le pays doit choisir le capitaine d’un paquebot affrontant la tempête, et Macron nous dit "ça tombe bien, je ne suis jamais monté sur un bateau mais j’en ai vu plein" ».
Fin mars, il écrivait un prémonitoire « si c’est Macron, ce qui ne me semble pas certain, il devra rassembler à droite, et il sera probablement en mesure de le faire ». Les premiers contacts avaient-ils été déjà pris à ce moment ? Dans l’entre-deux tours, il semblait donner une future feuille de route à l’exécutif : « Si c’est Emmanuel Macron, il devra transgresser. Sortir du face-à-face ancien, culturel, institutionnalisé et confortable de l’opposition droite-gauche pour constituer une majorité d’un nouveau type. Son chemin sera étroit. Et risqué ».