Edouard Philippe avait prévenu, il ne connaissait pas le dossier calédonien. Mais au terme de ses quatre jours dans l'archipel, les avis sont unanimes pour saluer une prise en main réussie, à moins d'un an d'un référendum historique sur l'indépendance.
Traditionnellement traité par Matignon, depuis Michel Rocard, la Nouvelle-Calédonie qui arrive au terme d'un long processus de décolonisation entamé en 1988, est considérée comme un dossier sensible.
Edouard Philippe avait déjà marqué un point au dernier Comité des signataires de l'accord de Nouméa, le 2 novembre, en parvenant à un consensus entre les acteurs indépendantistes et non indépendantistes sur la question délicate du corps électoral pour le référendum.
Fort de ce premier succès, il a tenu à confirmer son intérêt pour le Caillou en venant s'immerger pendant quatre jours pleins, une durée peu fréquente pour un déplacement de chef de gouvernement.
"Quatre jours, ce n'est pas rien", a reconnu le député UDI-Les Constructifs Philippe Dunoyer, saluant "l'implication" du chef du gouvernement pour "resserrer les liens de confiance".
Pour tous les autres Premiers ministres, "la Nouvelle-Calédonie était toujours une étape dans un voyage vers un autre pays", note un fin connaisseur du dossier calédonien. "Lui il est venu pour la Nouvelle-Calédonie. Ca montre à ses interlocuteurs qu'il est vraiment là pour eux".
Alors que la volonté de mesurer le temps n'existe pas dans la société kanak, l'approche d'Edouard Philippe a été appréciée notamment dans les rangs indépendantistes.
"Dans ses discours on a entendu qu'il mesurait l'importance du temps océanien, et particulièrement kanak. Il a essayé de se l'approprier, et c'est une bonne chose pour nos relations", a observé Daniel Goa, président de l'Union Calédonienne.
Au long de la quarantaine d'étapes de son séjour, qui l'a mené dans les trois Provinces, à la rencontre des chefs coutumiers, des élus locaux, des jeunes ou encore des acteurs économiques, Edouard Philippe s'est inscrit dans la continuité d'un chemin de la paix "balisé par des géants". C'est ainsi qu'il a qualifié les signataires des accords de Matignon Michel Rocard, Jean-Marie Tjibaou et Jacques Lafleur.
- "Des liens uniques" -
Lors d'une cérémonie d'accueil coutumier à Tiendanite, la tribu de Jean-Marie Tjibaou, où il est enterré, son fils Emmanuel a souligné l'affection des Kanak "pour ceux qui prennent le temps".
Signe de cette volonté de s'imprégner du contexte local, le chef du gouvernement s'est exprimé devant les élus du Congrès au dernier jour de sa visite, et non en arrivant comme l'ont souvent fait ses prédécesseurs.
"Je souhaitais toutes ces rencontres avant de m'adresser à vous", a expliqué mardi Edouard Philippe. "Non pas pour ménager un quelconque suspense par des annonces fortes. Mais par respect et par humilité devant une histoire qui nous oblige. Devant des réalités que je ne prétends pas connaître intimement".
Il a aussi insisté sur l'importance du "dialogue" et du "respect de la parole de l'interlocuteur", "respect qui commence par l'écoute et donc par une forme de silence, à la manière des cérémonies coutumières que j'ai vécues avec beaucoup d'intensité".
"Il les écoute, il ne les juge pas. Il a deux oreilles et une bouche, il écoute deux fois plus qu'il ne parle", a noté un observateur du dossier.
Cette attitude d'humilité - valeur cardinale de la culture kanak - a imprimé une "méthode Philippe", qu'il a assortie dans son discours final d'une série de rendez-vous jusqu'à l'étape déterminante du référendum, puis la préparation de son lendemain.
"Il nous propose un chemin très balisé. C'est une bonne chose qui prolonge la dynamique du Comité des signataires", a confié Philippe Gomès, député UDI-les Constructifs.
Le référendum de 2018 n'est pas sans risque en Nouvelle-Calédonie, où malgré trente ans de concorde et de rééquilibrage économique, le retour des violences n'est pas exclu, dans une société encore très inégale et compartimentée.
"Ce qu'Edouard Philippe a réussi de profond c'est de bâtir des liens uniques. Il a rencontré tous les acteurs. Ils vont en faire leur interlocuteur", note un membre de la délégation ministérielle. "Les liens pour établir la confiance sont tissés".