Un pont s’est effondré lundi matin vers 8h à Mirepoix-sur-Tarn lors du passage de trois véhicules dont un poids lourd au tonnage supérieur aux 19 tonnes autorisées. À l’heure actuelle, le décès d’une adolescente de 15 ans a été confirmé par la préfecture et le conducteur du poids lourd est encore porté disparu d’après le procureur de Toulouse. Les circonstances et les causes précises de l’accident ne sont pas encore connues, mais c’est l’état de l’ensemble des ponts routiers français qui interroge aujourd’hui. Précisément, le Sénat avait créé une mission d’information après l’effondrement du pont Morandi à Gênes en août 2018. Le rapport transmis au gouvernement en juillet dernier alertait déjà sur "la sécurité des ponts" afin "d’éviter un drame" …
"Malheureusement c’est quelque chose que nous redoutions."
Hervé Maurey : "Nous avons remis ce rapport à Elisabeth Borne en juillet, mais nous n'avons pas observé d'augmentation de crédits dans le projet de loi de finances."
Hervé Maurey, président de cette mission d’information sur la sécurité des ponts nous a reçus ce matin et regrette : "Le rapport que nous avons rendu au mois de juillet s’intitulait : Sécurité des ponts : éviter un drame et malheureusement, le drame a eu lieu." Le travail mené par cette mission d’information n’a donc pas eu d’effets concrets ? "L’État tient son engagement d’augmenter les crédits qu’il consacre à l’entretien de ses ponts, ce qui est une bonne chose, même si cela reste insuffisant" concède Hervé Maurey. Le président de la commission du Développement durable ajoute immédiatement que pour autant, cette augmentation ne concerne pas l’écrasante majorité des ponts qui sont sous la responsabilité des collectivités locales : "Nous n’avons pas observé, notamment dans le Projet de loi de finances pour 2020 des crédits prévus pour aider les collectivités locales à faire face à l’entretien de leurs ponts".
Le sénateur de l’Eure déplore que le gouvernement n’ait pas réagi au signal d’alarme envoyé par la mission d’information : "En France, on attend souvent qu’il y ait des catastrophes pour réagir", avant de dresser un parallèle avec la situation des tunnels, un autre type d’infrastructure rénovées après l’accident du tunnel du Mont-Blanc. "C’est à la suite de cette catastrophe que l’on a créé un fonds dédié, que l’on a alimenté de 130 millions d’euros par an et que l’on a pu remettre à niveau les tunnels en France." nous a-t-il expliqué, avant de souhaiter que les mêmes causes produisent les mêmes conséquences : "Espérons que cette catastrophe permettra à l’État de réagir et de mettre en œuvre ce plan Marshall que nous avons appelé de nos vœux dès le mois de juillet".
L’enjeu des collectivités locales
Hervé Maurey : "Il faut 130 millions d'euros par an pour aider les collectivités locales à remettre leurs ponts en état."
Les sénateurs s’appuient donc sur le modèle du plan Marshall, grande opération de reconstruction des infrastructures européennes financée par des prêts américains après la Seconde Guerre mondiale, pour piloter la "remise à niveau" des ponts français. Le parallèle historique a toutefois ses limites, puisque l’on sent quand même l’ombre du Sénat planer sur ce plan décentralisé, dont la manne serait distribuée par les collectivités locales.
La version sénatoriale du "plan Marshall" propose ainsi "d’alimenter un fonds spécial de 130 millions d’euros par an pendant 10 ans pour faire cet audit et aider les collectivités locales à remettre en état leurs ponts", nous a précisé Hervé Maurey. Il ressort en effet du rapport que les collectivités locales (départements, communes et intercommunalités) entretiennent environ 90% des ponts du réseau routier français (24 000 ponts sur les 200 ou 250 000 ponts français appartiennent à l’État). En outre, 25 000 ponts sont "en mauvais état structurel", mais, si l’on regarde de plus près, ces ponts appartiennent le plus souvent aux collectivités territoriales et en particulier aux communes ou aux intercommunalités : 18 à 20% des ponts de communes ou de leurs groupements seraient "en mauvais état structurel".
Le problème de la sécurité des ponts en France est donc un problème lié aux moyens des collectivités locales pour Hervé Maurey : "La situation des départements est moins complexe, mais certaines communes et en particulier les petites communes ne sont plus à même d’assumer la remise en état de leurs ponts, car il n’y a pas le personnel nécessaire pour l’audit et l’entretien." Le sénateur de l’Eure évoque par exemple son département : "Un beau matin on s’est aperçu qu’il manquait un pilier à un pont !"
"Il est hallucinant qu’on ne sache pas combien on a de ponts en France."
Pour le président de la commission du Développement durable, cet exemple illustre le fond du problème : plus que les moyens d’entretenir les ponts, ce sont les moyens de s’informer de leur état et de le surveiller régulièrement qui font défaut. Contrairement aux départements, les communes n’ont souvent pas de service statistique ou d’audit dédié aux infrastructures routières, or "faire sous-traiter ce suivi est extrêmement onéreux", nous a confié Hervé Maurey, qui évoque le chiffre de 5 000 euros par pont pour un audit d’un cabinet spécialisé. "Autrefois les communes bénéficiaient d’une assistance de l’État pour ce genre d’évaluations qui n’existe plus aujourd’hui" poursuit-il.
Le gouvernement et les autorités se veulent rassurants sur la sécurité des ponts
Si les sénateurs dénoncent un manque de moyens, le gouvernement refuse de laisser planer un doute sur la capacité de l’État à contrôler la qualité des ponts français. Laurent Nunez et Emmanuel Wargon sont venus représenter les autorités sur place en l’absence de Julien Denormandie et d’Edouard Philippe, tous les deux en déplacement à Dakar. Ce dernier a tenu à rassurer sur les capacités d’inspection des pouvoirs publics en déclarant que "le pont avait fait l’objet d’un examen approfondi en 2017" et que "sa solidité technique n’était en rien en cause". Même son de cloche chez le procureur de Toulouse, pour qui le pont de Mirepoix-sur-Tarn "a fait l’objet d’un suivi correct".
Georges Tempez, directeur infrastructure et transport et matériaux du Centre d’études et d’expertises sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema) nous a ainsi indiqués : « Cette inspection détaillée qui a lieu tous les six ans n’a pas conduit à préconiser une surveillance renforcée ou des réparations importantes, mais seulement des préconisations d’entretien. » Pour lui, « la structure porteuse était en bon état car elle est toujours intacte, en première approche ce seraient donc plutôt les suspentes [les tiges verticales qui relient le tablier du pont aux câbles porteurs] qui ont posé problème ». Georges Tempez en conclut donc prudemment : « cette rupture ressemble à une rupture sous surcharge ». Une rupture de ce type implique par ailleurs d’après lui une charge environ deux fois supérieure à la limite autorisée.
Il n’est donc pas établi que cet accident soit imputable à un défaut de contrôle par les autorités publiques et une enquête administrative a été ouverte pour le déterminer. Il n’en reste pas moins que 37% des élus locaux qui ont répondu à la consultation de la mission d’information estimaient ne pas connaître l’état des ponts dont leur collectivité était propriétaire et qu’il est impossible de savoir exactement combien de ponts comptent aujourd’hui les routes françaises.