Ehpad : les failles d’un système

Ehpad : les failles d’un système

Après la parution en janvier 2022 des « Fossoyeurs » de Victor Castanet qui a révélé les pratiques d’Orpea, le leader mondial des Ehpad privés à but lucratif, le Sénat a créé une mission d’information sur le contrôle des Ehpad. Le sénateur LR Bernard Bonne et la socialiste Michelle Meunier sont les rapporteurs de cette mission dotée des pouvoirs d’une commission d’enquête. Outre le renforcement des contrôles, ils appellent à des mutations profondes du secteur pour empêcher les dérives.
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Par Flora Sauvage

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26 janvier 2022. La publication du livre ‘les Fossoyeurs’de Victor Castanet révèle les pratiques d’Orpea, le leader mondial des Ehpad privés : repas rationnés, personnels en sous-effectifs, soupçons de maltraitance… Pendant trois ans, ce journaliste a enquêté sur les pratiques des groupes privés à but lucratif gestionnaires d’Ehpad. Dans son livre, il dénonce le « système Orpea » qui vise à détourner les dotations publiques dont ils sont destinataires via les ARS (Agences régionales de santé) et les Conseils départementaux. Mais au-delà du fonctionnement du leader mondial des Ehpad, c’est tout un système qui est remis en cause à travers cette enquête. Car ces groupes, cotés en Bourse, bénéficient d’argent public. Orpea reçoit chaque année en moyenne 300 millions d’euros de l’Etat.

600 000 personnes âgées dépendantes résident dans l’un des 7500 Ehpad de l’Hexagone. Compte tenu du vieillissement de la population, en 2050, plus d’un Français sur trois aura plus de 60 ans, selon les projections de l’Insee. L’enjeu est de taille.

Ehpad, un modèle à bout de souffle

Dès janvier 2021, la commission des affaires sociales du Sénat a sollicité une enquête auprès de la Cour des comptes sur la prise en charge médicale des personnes âgées dépendantes. Dans son rapport, publié en février 2022, la Cour des comptes décrit un modèle à bout de souffle, malgré l’augmentation de 30 % du budget consacré au grand âge entre 2011 et 2019. Contrairement à leur habitude, les Sages de la Cour des comptes préconisent des dépenses supplémentaires comprises entre 1,3 et 1,9 milliard d’euros par an pour améliorer la prise en charge des personnes âgées dépendantes.

Evelyse et Gérard Berrebi avaient placé leur mère de 93 ans en Ehpad car elle ne pouvait plus vivre seule à son domicile. Après avoir visité plus d’une dizaine d’Ehpad, leur choix s’était porté sur un Ehpad du groupe Orpea aux Lilas (Seine-Saint-Denis). Très vite, ils se rendent comptent que la prise en charge n’est pas à la hauteur des 4200 euros qu’ils paient tous les mois. Appels répétés de leur mère, chutes, personnels soignants en sous-effectif. Un jour, ils retrouvent leur mère le visage tuméfié de bleus. « Elle est tombée la nuit et l’aide-soignante l’a laissée par terre, car elle n’écoutait pas », raconte Gérard Berrebi. Après une infection urinaire, elle est transférée à l’hôpital. Victime selon eux de maltraitance, elle décède quelques semaines plus tard.

 

Des témoignages comme celui des Berrebi, Victor Castanet en a recueilli des centaines. Comment ces groupes privés ont-ils profité de l’argent public ? Pendant 6 mois les sénateurs ont mené leur enquête.

Lanceur d’alerte, Laurent Garcia a exercé comme cadre infirmier dans un Ehpad Orpea de Neuilly-sur-Seine (Hauts de seine). Dans cet établissement de luxe à 6500 euros par mois, « les couches étaient rationnées », raconte Laurent Garcia. « Pas plus de 3 protections par jour et par résident, peu importe qu’il y ait un épisode de gastro ». Dégoûté par ce qu’il a vu, il a décidé de révéler au grand jour les pratiques en témoignant dans le livre de Victor Castanet. Il est désormais cadre infirmier dans un Ehpad public à Bagnolet. Et pour améliorer la prise en charge de nos aînés, il a créé l’Observatoire du grand âge. Les Berrebi comme Laurent Garcia ont tenté de dénoncer les pratiques dont ils ont été témoins, mais longtemps leur voix n’a pas été entendue. Il a fallu le retentissement médiatique du livre « Les Fossoyeurs » pour que les sénateurs décident de se pencher sur la question du contrôle des Ehpad.

 

Il existe en France 50 % d’Ehpad publics, 25 % d’Ehpad privés associatifs et 25 % d’Ehpad privés à but lucratif. Leur budget provient de trois sources de financement : l’Etat à travers les Agences Régionales de Santé, les départements, et les familles. Avec l’argent de l’Etat, les maisons de retraite privées paient l’essentiel des salaires des soignants. Les départements contribuent au financement des fournitures. Puis avec les frais de séjours payés par les familles, les établissements paient l’hébergement, la nourriture, et les animations. Que ce soit dans le privé ou le public, c’est donc l’Etat qui paie l’essentiel des postes de soignants.

Au-delà des recettes de l’hôtellerie, qui échappe à tout contrôle, Orpea aurait rogné sur les dotations publiques destinées à payer des postes de soins. Conduisant à un excédent de 20 millions d’euros de dotations. « Les travaux de la commission d’enquête font apparaître des lacunes dans le contrôle des établissements. Les limites de ces contrôles viennent de la réglementation, mais aussi des moyens insuffisants qui y sont consacrés », estime Bernard Bonne, co-rapporteur (LR) de la commission d’enquête.

Mais Orpea n’est pas le seul groupe privé gestionnaire d’Ehpad à être visé par des plaintes pour maltraitance au sein de ses établissements. 80 plaintes ont été déposées en justice contre Orpea, et 30 plaintes ont été déposées contre des établissements du groupe Korian. Ces plaintes contre X émanent de 18 familles de résidents, pour des faits de « mise en danger de la vie d’autrui », de « non-assistance à personne en danger » et « d’homicide involontaire ». Depuis sa création en 2003, le groupe privé Korian, est le leader français dans le domaine de la dépendance avec 23 000 lits.

Des contrôles préparés à l’avance, une utilisation frauduleuse de l’argent public, malgré ces pratiques, les sénateurs ne veulent pas supprimer les groupes privés à but lucratifs qui gèrent des Ehpad. Ils souhaitent en revanche mieux les encadrer pour éviter les dérives.

 

Parmi leurs propositions, les sénateurs veulent renforcer les contrôles afin de permettre aux inspecteurs d’aller vérifier au niveau des sièges des grands groupes privés lucratifs et pas seulement au niveau des établissements, comme cela est le cas actuellement. Ils proposent aussi de renforcer les pouvoirs de la CNSA, la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie qui deviendrait l’interlocuteur unique des gestionnaires d’Ehpad. Ils souhaitent aussi créer une redevance en contrepartie de l’autorisation donnée pour construire un établissement. Enfin les sénateurs proposent de limiter l’implantation des Ehpad privés commerciaux sur un territoire. Bernard Bonne et Michelle Meunier appellent de leurs vœux la loi grand âge, maintes fois repoussée lors du précédent quinquennat afin de répondre au vieillissement de la population, tout en refondant un secteur ébranlé.

"Ehpad: les failles d'un système" de Flora Sauvage à voir sur Public Sénat le 24 juillet 2022 à 11h30.

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