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Elargir le champ du référendum : « Politiquement, la période n’a jamais été aussi défavorable pour réviser la Constitution », selon Benjamin Morel

Alors que les LR et le RN demandent un référendum sur l’immigration, une modification de la Constitution s’avère nécessaire pour le faire. Si « sur un point juridique, ça ne pose pas de problème », reste que « les conditions politiques sont difficiles », souligne le professeur de droit public, Benjamin Morel.
François Vignal

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Les institutions ont occupé une bonne partie des 12 heures de discussions entre Emmanuel Macron et les chefs de partis, cette semaine, à Saint-Denis. Selon l’Elysée, les participants se sont mis d’accord pour « engager un travail sur le champ du référendum ». Aujourd’hui, la Constitution limite les questions posées à « l’organisation des pouvoirs publics », aux « réformes relatives à la politique économique ou sociale de la nation et aux services publics qui y concourent ».

Benjamin Morel, maître de conférences en droit public à Paris II, rappelle historiquement pourquoi la portée du référendum, « outil bonapartiste et plébiscitaire par excellence », a été limitée. Vouloir autoriser les questions sur l’immigration, comme le veulent les LR et le RN, nécessiterait d’inclure dans l’article 11 de la Constitution les questions liées au champ du « droit civil et du droit pénal », souligne le constitutionnaliste. Si « en soi, oui, c’est possible », trouver la majorité politique, nécessaire à une telle révision de la Constitution, serait pour le moins extrêmement compliqué. Entretien.

Pourquoi le champ du référendum est-il aujourd’hui limité ?

A l’origine, la question du référendum inquiète, aux débuts de la Ve République. Les IIIe et IVe Républiques sont assez allergiques au référendum, nonobstant les référendums constitutionnels, car il y a un traumatisme des républicains qui date du Second empire. Le référendum, c’est l’outil bonapartiste et plébiscitaire par excellence. Napoléon III gouvernait par plébiscite. Et le régime tient sur ce lien direct entre l’empereur et le peuple. Lorsque de Gaulle, qui est un peu l’héritier d’une vision bonapartiste des institutions, prévoit d’introduire le référendum et en fait un élément névralgique du nouveau régime, les parlementaires sont inquiets. Donc on va réduire le champ applicable du référendum, de façon très restrictive, à la ratification des traités ou l’organisation des pouvoirs publics. La politique économique et sociale est introduite ensuite, en 1995. Cela fait suite à un débat qui aura lieu au moment de la loi Savary. La droite demande à ce moment un débat sur cette loi de réforme de l’éducation, avec un grand service de l’enseignement public. François Mitterrand dit banco mais ce n’est pas dans la Constitution. Il propose une réforme constitutionnelle. La droite n’accepte pas car elle s’inquiète de ce que peut en faire François Mitterrand. Mais ça relance le débat qui aboutit à l’élargissement du champ du référendum, en 1995.

Mais plusieurs domaines sont exclus, car jugés trop dangereux, comme le droit civil et le droit pénal. Avec la perception alors d’un FN qui demande un référendum sur la peine de mort. Et en 2007, on va constitutionnaliser l’abolition de la peine de mort, sous Jacques Chirac.

Si on souhaite aujourd’hui élargir le champ du référendum, quelles voies seraient possibles ?

Il faut modifier la Constitution. Et quand on modifie la Constitution, on peut tout changer. On peut tout inscrire dans une révision constitutionnelle. Il y a quelques limites sur la forme républicaine du gouvernement, mais on pourrait même les contourner.

Il faut rappeler que l’article 11 de la Constitution permet de modifier la loi via un projet de loi. L’article 89 permet de modifier la Constitution. C’est une distinction remise un peu en cause par de Gaulle en 1962, avec succès, et en 1969, en échouant alors à modifier la Constitution par l’article 11. Aujourd’hui, ce n’est plus tout à fait possible en raison d’une jurisprudence du Conseil constitutionnel, avec l’arrêt Hauchemaille de 2005. Il considère que ce n’est pas constitutionnel de modifier par référendum la Constitution via l’article 11. Le Conseil constitutionnel contrôle les décrets de convocation du référendum, et s’ils ne sont pas approuvés, vous avez un rejet du processus. Ça limite fortement l’utilisation qu’on peut en faire.

Avant 2005, si on voulait faire un référendum sur l’immigration, théoriquement, on ne pouvait pas, mais le Conseil constitutionnel ne contrôlait pas. En pratique, il n’y aurait eu aucun organe pour mettre des bâtons dans les roues. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas.

Le problème de l’immigration, c’est qu’on ne touche pas à un domaine précis. Or il y a plusieurs champs concernés par l’immigration. On pourrait imaginer, à droit constant, un sujet sur l’immigration économique peut-être. En revanche, l’accès à la nationalité relève du droit civil. Ou si la question est de pénaliser l’entrée irrégulière sur le territoire, c’est du droit pénal. Tous ces sujets-là ne peuvent entrer dans le champ actuel du référendum.

Et inclure les questions de droit civil et de droit pénal dans le champ du référendum est-il imaginable ?

Pour faire un référendum sur l’immigration, comme le rêvent les LR et le RN, c’est le champ du droit civil et du droit pénal. Par exemple, dans le domaine du droit pénal, vous avez des référendums sur la peine de mort de façon régulière aux Etats-Unis. Donc en soi, oui, c’est possible, on peut l’imaginer. Est-ce que c’est politiquement faisable ? C’est un autre sujet. Il faut modifier la Constitution et donc trouver un vote conforme entre l’Assemblée nationale et le Sénat, trouver la majorité des 3/5 au Congrès. Si on dit qu’on va élargir le champ du référendum pour permettre les questions sur l’immigration, la Nupes sera moyennement heureuse, comme une partie de la majorité. J’imagine mal Sacha Houlié, président Renaissance de la commission des lois de l’Assemblée, sauter de joie. Ça créera une division au sein de la majorité présidentielle. Les conditions politiques sont assez difficiles à avancer. Mais sur un point juridique, ça ne pose pas de problème.

Olivier Véran a évoqué l’idée d’un « préférendum ». A quoi cela pourrait-il ressembler ?

A droit constant, je ne vois pas comment on fait. Si on envisage une consultation, « êtes-vous pour ou contre la restriction de l’immigration ? », ce n’est pas possible. On ne peut pas consulter selon la Constitution. La seule consultation prévue, c’est sur l’Outre-Mer. Après, on peut faire des consultations de type grand débat.

En revanche, via l’article 11, on peut poser une question sur un projet de loi. Donc s’il y a 10 questions, il faudrait un projet de loi par question. C’est possible, mais il faudrait forcément 10 projets de loi, avec « oui » ou « non » à tel projet. Et autre limite : le Conseil constitutionnel exige une urne par scrutin. Si j’ai dit 10 scrutins, il faut 10 urnes. On n’a pas 10 urnes par bureau de vote. Mais imaginons qu’on le fasse, les électeurs doivent passer 10 fois devant les assesseurs. Je ne vous raconte pas les difficultés … On fait déjà avec deux urnes pour les régionales et les départementales en même temps. Trois, ça paraît compliqué. Imaginez 10… C’est peut-être possible si on fait les urnes vite en papier mâché, mais le vote risque d’être extrêmement long !

A l’étranger, quand les Suisses vont voter, ça se fait. Ou aux Etats-Unis, où dans la plupart des Etats, il y a des bulletins à questions multiples. C’est toujours « oui »/« non » et souvent sur le même papier. Mais en France, ça implique une révision constitutionnelle. Or politiquement, la période n’a jamais été aussi défavorable pour réviser la Constitution. La majorité n’est pas la même au Sénat et à l’Assemblée. Et vous avez une majorité relative à l’Assemblée. Or on voit difficilement une révision en cas de majorité relative. Et obtenir un vote conforme est compliqué, avoir les 3/5, encore plus et vous avez des oppositions qui ne s’opposent pas de façon soft, qui n’auront pas envie de faire le cadeau d’une révision constitutionnelle au chef de l’Etat.

De Gaulle révise la Constitution avec l’article 11, car il sait qu’il n’arrivera pas par l’article 89. En 1962, sur l’élection du Président au suffrage universel, il n’a pas de majorité. Donc il est contraint de passer par l’article 11. Et les circonstances politiques sont un peu celles de 1962 : un Sénat d’opposition et de l’autre côté, une majorité relative et une opposition très divisée. Rien n’est impossible mais je doute que le charme des 12 heures de discussion entre le chef de l’Etat et les partis ait opéré au point que tous se disent qu’il faut faire une réforme constitutionnelle. Et si on révise, la droite parlera d’immigration, quand la gauche dira qu’il faut mettre l’IVG dans la Constitution. Donc les conditions sont improbables pour que ça passe.

Lancer l’idée d’une révision permet après de dire que l’opposition, ou que Gérard Larcher est très méchant, en empêchant le renouveau démocratique. Mais le Sénat a le dos large. Et des choses peuvent être faites par la loi ordinaire, comme la proportionnelle. Mais ni Hollande, ni Macron ne l’ont fait. Le seul qui l’a fait, c’est Mitterrand pour faire monter le RN, embêter Chirac et limiter la casse, en 1986. Au fond, l’obstacle pour modifier la Constitution, ce n’est pas tant le Sénat qu’une forme de rigidité institutionnelle. Quand on est dans la majorité, vous ne voulez pas lâcher le fait d’avoir tous les pouvoirs.

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