Départementales : ses bulletins de vote brûlés, un sénateur s’inquiète de la fin du monopole de La Poste

Départementales : ses bulletins de vote brûlés, un sénateur s’inquiète de la fin du monopole de La Poste

Plusieurs enveloppes de propagande électorale du sénateur LR Cédric Perrin, candidat aux élections départementales, sont parties en fumée. La tournée n’était pas assurée par un facteur de La Poste, mais par un intérimaire d’une autre société, qui a remporté le marché public. Le parlementaire ne compte pas en rester là.
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On imagine la surprise des employés de la petite ville d’Hérimoncourt (Doubs) ce 25 mai. A la lisière d’une forêt, ils découvrent au sol des dizaines d’enveloppes bleues. Certaines ont été incendiées. D’autres à moitié détruites, laissent entrevoir leur contenu : les professions de foi du binôme formé par Anaïs Monnier-Von Aesch et le sénateur Cédric Perrin (LR) pour les élections départementales, seuls en lice dans le canton voisin de Delle (Territoire de Belfort). Une histoire rocambolesque, dévoilée par nos confrères de L’Est Républicain. Au total, ce sont 350 plis électoraux qui ont été abandonnés dans la nature, dont 50 détruits par le feu, selon la préfecture.

Dans cette région, une société privée, Adrexo, avait remporté le marché public pour l’acheminement de la propagande électorale, au détriment de La Poste, plus chère. Un homme de 21 ans, intérimaire pour cette entreprise, a été interpellé le lendemain par les gendarmes. Selon L’Est Républicain, il aurait avoué s’être débarrassé d’une partie des plis qu’il devait acheminer, faute de temps suffisant pour sa tournée. Les candidats avaient déposé plainte, de même que la société Adrexo.

« On ne peut pas obtenir des résultats corrects avec des gens qui ne sont pas formés pour »

Joint par Public Sénat ce jeudi, le sénateur Cédric Perrin ne décolère pas. Alerté par la maire d’Hérimoncourt de la découverte, il considère que cet incident est loin d’être isolé, et révélateur de dérives dans la gestion de la propagande électorale. « Cela pose un vrai problème démocratique, dans la mesure où tout le monde est censé être traité de la manière. On se rend compte que ce n’est pas tout à fait cela », explique le parlementaire. Celui qui était devenu en 2001, à l’âge de 26 ans, le plus jeune conseiller général de France, ne se fait pas d’illusions et craint que le feu en pleine forêt publique – pas l’endroit le plus discret pour ce genre de méfait – ne soit que la partie émergée de l’iceberg. Après avoir échangé avec la gendarmerie et certains maires, le sénateur sait désormais que d’autres livraisons du secteur ont été problématiques, certains plis ayant été livrés à la mauvaise adresse.

La preuve en est, le sénateur est aux premières loges d’une dégradation du service après le changement de prestataire. Et il parle d’expérience. « On ne peut pas obtenir des résultats corrects avec des gens qui ne sont pas formés pour […] Quand j’étais étudiant, j’ai travaillé à La Poste : quand vous ne connaissez pas un secteur, c’est compliqué de le découvrir en une demi-journée. »

La Poste livre la propagande électorale dans 8 régions, son concurrent Adrexo dans 7

Cette année, La Poste ne dispose plus du monopole pour l’acheminement de la propagande électorale. L’opérateur historique conserve le marché dans huit régions, mais Adrexo, société spécialisée dans la distribution de publicité (sans destinataires spécifiques donc) a remporté le marché dans sept régions, pour quatre ans (Auvergne-Rhône-Alpes, Bourgogne-Franche-Comté, Centre-Val de Loire, Grand Est, Hauts de France, Normandie, Pays de la Loire). En janvier, la section CGT de La Poste s’était interrogée sur les capacités de l’opérateur privé à remplir sa mission, avec seulement 17 000 distributeurs, contre quatre fois plus de facteurs pour La Poste.

Le sénateur annonce qu’il va « monter au créneau » une fois la campagne électorale achevée, pour alerter le gouvernement sur cette situation. Il n’exclut pas de s’exprimer à l’occasion d’une question d’actualité. « Si on veut libéraliser le marché de la distribution du courrier, cela suppose des entreprises qui soient professionnelles. »

En 2017, déjà, une quinzaine de départements avait été touchée par des retards dans la distribution des professions de foi aux candidats aux élections législatives. Lorsque l’appel d’offres de 2021 a été conclu, le sénateur Jean-Louis Masson (candidat aux régionales, tête de liste du Rassemblement national en Moselle) avait interrogé le ministère de l’Intérieur sur la qualité du service rendu, après les difficultés rencontrées en 2017. « Dans la première circonscription de la Drôme, l’enveloppe distribuée ne contenait que les professions de cinq des seize candidats […] En outre, la profession de foi de plusieurs candidats de Haute-Savoie s’est retrouvée dans le département de la Loire », épinglait le sénateur (non-inscrit).

Le ministère de l’Intérieur lui a répondu le 13 mai. La place Beauvau lui avait indiqué que « le ministère s’est donné les moyens de s’assurer de la qualité » et que les accords disposaient de clauses de pénalités en cas de retards ou non-respect du contrat. « Il semblerait totalement anachronique d’empêcher l’Etat d’externaliser la distribution de la propagande jusqu’aux boîtes aux lettres des électeurs, secteur qui est aujourd’hui ouvert à la concurrence, alors même que l’Etat s’efforce d’optimiser ses ressources dans le cadre d’une politique générale de meilleure gestion des deniers publics », avait par ailleurs souligné le gouvernement.

« Si des difficultés ont pu survenir en 2017, aucun incident majeur n’a été constaté depuis », selon le gouvernement

Pour les élections régionales et départementales de la fin du mois de juin, le gouvernement se veut rassurant cette fois, la campagne d’envoi débutant à peine. « Si des difficultés ont pu survenir en 2017, aucun incident majeur n’a été constaté depuis, que ce soit lors des opérations relatives à la distribution de la propagande des élections européennes en 2019 ou des élections municipales en 2020. »

Déjà en 2019, le Conseil constitutionnel avait alerté sur la propagande électorale, dans une décision rendue sur les élections législatives. « Il conviendrait, pour l’avenir, de sécuriser davantage les opérations de mise sous pli et d’acheminement des documents électoraux », avaient recommandé les Sages. A l’époque, 80 % des préfectures externalisent tout ou partie de la mise sous pli de la propagande électorale, selon le ministère de l’Intérieur, contre 50 % pour les scrutins de 2012.

Ces dernières années, le gouvernement avait tenté à plusieurs reprises de dématérialiser la propagande électorale (dans les budgets 2014, 2015 et 2017), toutes à chaque fois avortées au Parlement. Une demande d’ordonnance avait failli voir le jour à l’automne 2017, au début du quinquennat d’Emmanuel Macron, avant que l’exécutif ne fasse marche arrière. La commission des finances du Sénat avait estimé qu’une dématérialisation représenterait 414,3 millions d’euros d’économies pour la période 2018-2022 (soit 50 à 60 % du coût total des élections). Mais les inégalités d’accès à Internet ont toujours pesé plus fort dans la balance, dans le choix du législateur. « Les dysfonctionnements de l’acheminement de la propagande papier créant des inégalités entre électeurs, la solution pour le gouvernement consiste donc à la supprimer. Une solution radicale, en effet ! », raillait l’ancien sénateur Pierre-Yves Collombat, ex-membre du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

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