Les élections municipales n’en finissent pas de virer au casse-tête. Alors que 30 000 communes ont élu un nouveau conseil municipal au 1er tour le 15 mars dernier, il reste 16,3 millions de Français qui n’ont pas encore choisi leur nouveau maire. Quand retourneront-ils aux urnes ?
La date du 23 juin, prévue à ce stade dans la loi d’urgence sanitaire, ne convainc plus personne. « C’est un secret de Polichinelle que le second tour des élections municipales ne pourra pas avoir lieu en juin » lâche Bruno Retailleau, le patron des LR au Sénat. « Comment pourrait-on on annuler les épreuves du bac et par ailleurs convoquer des millions de Français dans les bureaux de vote ? »
Des élections en octobre...
Le conseil scientifique doit se prononcer le 23 mai sur la faisabilité d’un second tour en juin. Dans le cas, très probable, d’un nouveau report au-delà de l’été, se dessine le scénario d’une élection en octobre. « Octobre est l’option qui tient le mieux la route » selon Bruno Retailleau.
Il faudra, dans ce cas, rejouer le premier tour, comme l’a rappelé Gérard Larcher jeudi 8 avril sur LCI : « Il a été considéré avec l'avis du Conseil d'État que si ça devait être octobre, la sincérité du scrutin pourrait être atteinte si on maintenait les résultats du 1er tour. »
« Je suis perplexe. Octobre, c’est juste après la rentrée. Est-ce que ce sera la priorité du pays en octobre que d’organiser une élection municipale qui concerne 16 millions d’électeurs ? » s'interroge Patrick Kanner, président du groupe socialiste au Sénat. « Il est urgent d’attendre » jugeait le président (LR) de la commission des lois du Sénat, Philippe Bas, mercredi 7 avril dans les colonnes de Ouest-France.
... ou en mars 2021 ?
Le deuxième scénario est celui d’un nouveau scrutin en mars 2021. « Une élection municipale au mois de mars, groupée avec les régionales et les départementales, permettrait d’assurer une plus large mobilisation et un scrutin plus représentatif » assure le politologue Benjamin Morel, qui prédit une « abstention massive » en cas de municipales partielles au mois d’octobre. « La difficulté en octobre, c’est qu’on aurait une élection qui ne se déroulerait que dans quelques villes, avec donc une capacité moindre à mobiliser l’électorat. »
Mais un nouveau rendez-vous en mars soulève d’autres questions. Sur le plan logistique d’abord : organiser trois élections en même temps nécessiterait « plus d’un million d’assesseurs et de présidents pour tenir les bureaux de vote » estime Patrick Kanner. Mais surtout, une année entière se serait écoulée entre l’élection des maires désignés au 1er tour le 15 mars dernier, et leurs collègues élus en 2021.
Le piège d'un « entre-deux »
« Ca ne pose pas de problème sur le plan constitutionnel » assure Jean-Philippe Derosier, constitutionnaliste. « Les scrutins municipaux sont indépendants les uns des autres. 35 000 communes, 35 000 scrutins. En revanche, cela peut poser des problèmes politiques. Un maire en ballottage défavorable à l’issue du premier tour devrait rester en place jusqu’en mars avec une légitimité écorchée. »
Bruno Retailleau pointe le problème des intercommunalités, qui se verraient prises au piège d’un « entre-deux » pendant un an, avec des maires nouvellement élus siégeant aux côtés de leurs collègues en bout de mandat. « Cela stérilise, pendant un an, la vie des communautés de commune. Or on connaît le poids de l’intercommunalité en matière d’investissement. Au moment où il va falloir reconstruire l’économie et relancer l’investissement public, ça ne serait pas raisonnable. »
Les sénatoriales compromises
Octobre ou mars, une certitude : les élections sénatoriales prévues en septembre paraissent compromises. Les maires et les conseillers municipaux composant, au même titre que les conseillers départementaux et régionaux, le collège électoral des sénateurs. « On ne peut pas tenir les sénatoriales avec un collège d’électeurs partiellement renouvelé » explique Jean-Philippe Derosier. « S’il restait une centaine de communes à pourvoir, peut-être, mais là il y en a presque 5000 et non des moindres. Ces communes regroupent plus des deux cinquièmes de la population, donc une très grande partie du collège électoral. »
Le report des élections municipales et sénatoriales aura aussi une incidence sur la durée des mandats. Les sénateurs sont normalement élus pour 6 ans et la chambre haute renouvelée de moitié tous les 3 ans. Le report des élections vient bousculer ce calendrier. « Il faudra déterminer quelle est la durée du mandat des nouveaux sénateurs. Est-ce qu’on part sur 5 ans ? Ou est-ce qu’on prolonge le mandat des autres sénateurs d’un an ? Toutes les solutions sont envisageables » analyse Jean-Philippe Derosier.
« Du désordre et de l'interrogation »
Idem pour les maires, élus pour 6 ans eux aussi. À partir du moment où certains ne seraient installés qu’en 2021, se posera un problème au moment de leur renouvellement. « Est-ce qu’on fait ça en 2026 ou en 2027 ? C’est un problème d’équilibrage qui n’est pas insoluble » relativise Benjamin Morel. « Vous pouvez exceptionnellement moduler la durée d’un mandat, s’il y a une raison d’intérêt général invoquée, là c’est clairement le cas. »
On a des élus locaux en première ligne face à la crise, et qui sont dans l’incertitude. Élus ou battus, encore en fonction ou pas encore…
Des questions de calendrier électoral qui « ne sont pas la priorité des Français, dans une situation dramatique sur le plan sanitaire, économique et social » » tranche Patrick Kanner. Et pour le président du groupe socialiste au Sénat, le premier tour des élections municipales n’aurait pas dû se tenir. « On a des élus locaux en première ligne face à la crise, et qui sont dans l’incertitude. Élus ou battus, encore en fonction ou pas encore… Cela a créé un désordre et beaucoup d’interrogations. On aurait dû s’éviter cette difficulté supplémentaire. C’est une faute.»