J-10 avant les élections sénatoriales. Le renouvellement par moitié du Sénat ne devrait pas bouleverser les équilibres au sein de l’hémicycle. Mais certains faits politiques auront sans doute valeur de symbole. Pour le Rassemblement national, l’élection du 24 septembre, où 78 000 grands électeurs sont appelés aux urnes, réparties dans 45 circonscriptions, est loin d’être le scrutin le plus favorable. Il n’a cette fois rien à perdre. Partant de zéro représentant au palais du Luxembourg, depuis le départ en février 2022 de Stéphane Ravier (sénateur des Bouches-du-Rhône) pour Reconquête, le parti d’Éric Zemmour, le RN ne peut que mathématiquement progresser la semaine prochaine. « Nous aurons de nouveau des sénateurs », annonce sûr de lui l’eurodéputé Jean-Lin Lacapelle, l’un des porte-paroles du parti. « Dans toutes les institutions, nous avons des représentants, sauf au Sénat, ce qui est une aberration. Voilà pourquoi il faut y remédier, c’est le message que nous enverrons à nos compatriotes. »
Des candidats presque partout sur le territoire
Comme lors des deux précédents renouvellements du Sénat, le parti de Marine Le Pen a choisi d’investir des candidats dans la quasi-totalité des départements de France métropolitaine. Une liste a également été constituée pour l’élection des Français établis hors de France (six sièges renouvelables), ce qui n’était pas le cas lors des dernières élections. Pierre Brochet, un avocat installé en Malaisie, et passé par plusieurs pays européens et États-Unis, a été investi tête de liste pour cette première campagne inédite. « Son profil est parfaitement adapté pour parler aux Français de l’étranger », estime Jean-Lin Lacapelle. Le délégué national aux Français de l’étranger, au sein du RN, estime que sa formation ne s’est pas suffisamment intéressée dans le passé au sort des 2,5 millions de concitoyens vivant hors de France. La tâche s’annonce très ardue, puisque le RN ne compte que trois élus consulaires, sur un total de 532 grands électeurs pour ce scrutin. À cela, il faut ajouter la concurrence de Reconquête, en campagne aussi chez les Français de l’étranger.
On observe aussi des changements dans l’autre sens. Cette année, le RN fait l’impasse sur plusieurs causes perdues. Il y a d’abord deux départements au scrutin majoritaire : le Lot et la Lozère. En 2017, le parti avait réalisé des scores faméliques dans ces deux circonscriptions rurales dominées par la gauche. Il fait aussi une croix sur la capitale. Aucune liste RN n’a été déposée à Paris, circonscription où seulement 5 voix (soit 0,17 % des suffrages) ont été récoltées en 2017.
« Depuis juin 2022, on ne s’interdit plus rien »
Dans la dernière ligne droite, le parti de Marine Le Pen ne se risque à aucun pronostic précis. Ses meilleures chances de ravir des sièges se situent dans les Hauts-de-France, où le parti est relativement bien implanté. Il vise au moins un sénateur dans le Nord, marqué par une inflation du nombre de listes, et un dans le Pas-de-Calais. On évoque aussi l’Oise. Dans le Grand Est, la Moselle est également citée comme lieu d’un potentiel gain de siège. Dans ce département, le sénateur sans étiquette Jean-Louis Masson ne se représente pas et laisse un espace libre au RN, qui l’avait désigné tête de liste départementale aux dernières élections régionales. Le parti peut être en mesure de faire mieux qu’en 2014, où il avait remporté deux sièges à l’échelle nationale.
Une percée symbolique du RN est d’ailleurs l’un des scénarios qui ont traversé l’esprit du président lui-même. Selon une indiscrétion du Point publié en mai, Gérard Larcher disait s’attendre à une « poussée » du Rassemblement national, en mesure, d’après lui, de décrocher entre cinq et dix sièges (le Sénat compte 348 sièges). De quoi atteindre le seuil difficile des 10 parlementaires, minimum requis pour la formation d’un groupe au palais du Luxembourg ? Christopher Szczurek, tête de liste RN dans le Pas-de-Calais, n’écarte aucune possibilité, tout en restant prudent. « Depuis juin 2022, on ne s’interdit plus rien. C’était impensé qu’on puisse faire entrer 89 députés. Il y a sans doute des mouvements insoupçonnables, mais on ne peut pas se prononcer. »
Un collège électoral principalement issu des municipales de 2020, décevantes pour le RN
Dans d’autres de ses bastions, le RN pourrait en effet ne pas avoir suffisamment de soutiens pour envoyer d’autres élus au Sénat. Malgré sa majorité au conseil municipal de Perpignan, la marche s’annonce haute dans les Pyrénées-Orientales, du fait du scrutin majoritaire à deux tours dans ce département qui élit deux sénateurs. Idem en Haute-Marne. L’issue pourrait donc être bien différentes dans ces territoires où le RN avait réalisé le grand chelem aux législatives, avec deux députés dans l’un et d’autre. « Il y a peut-être un frein au niveau du collège électoral. Les grands électeurs sont quelques fois appareillés à leur parti », constate lucidement Jean-Lin Lacapelle.
À ce titre, le collège de grands électeurs, issu pour l’essentiel des municipales de 2020, est loin d’être optimal pour le RN. Selon les données du ministères de l’Intérieur, le Rassemblement national n’a fait élire que 827 conseillers municipaux en 2020, contre 1 498 en 2014, rappelait Libération il y a trois ans. Lors des sénatoriales de 2020, le parti de Marine Le Pen s’était montré incapable de renouveler sa victoire de 2014 dans le Var (le gagnant David Rachline était redevenu entretemps maire). Ses bons résultats dans le Var et le Vaucluse se sont aussi révélés insuffisants pour transformer l’essai aux sénatoriales. Au bout du compte, le parti n’a été pas en mesure d’aller au-delà de la seule préservation du siège de Stéphane Ravier dans les Bouches-du-Rhône.
« Plus de facilités » à rencontrer les élus locaux qu’en 2017
Sans un soutien suffisant d’élus territoriaux encartés, à l’instar d’autres partis, le RN n’a donc pas d’autre option que d’aller convaincre un par un des conseillers municipaux dans les petites communes, libres de toute appartenance partisane. « Au bout de six mois de campagne, des centaines d’élus rencontrés, avec plus de facilité qu’auparavant, je sens que ça peut progresser », relate Christopher Szczurek, qui mène sa deuxième campagne sénatoriale dans le Pas-de-Calais. Les députés RN ont également, selon lui, labouré le terrain, apprenant à nouer des relations de travail avec les maires. La différence est notable avec 2017, pressent le premier adjoint d’Hénin-Beaumont. « Aujourd’hui, on est considérés comme des interlocuteurs plus crédibles, ayant le pouvoir de changer un peu les choses. On incarne une autre forme d’opposition dans une Sénat qui paraît conformiste, cadenassé. »
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Le candidat veut aussi croire que l’amélioration de l’image de Marine Le Pen dans l’opinion (comme l’illustre une enquête Elabe publié pour BFM TV ce jeudi) ne sera pas sans effets dans ces sénatoriales. « On voit bien que ça évolue tellement dans la société, que ça se ressent chez les grands électeurs. Ils sont moins politisés, cela déverrouille les choses. »