Élisabeth Borne s’engage à limiter le recours au 49.3 : une annonce qui laisse les sénateurs sceptiques

Élisabeth Borne s’engage à limiter le recours au 49.3 : une annonce qui laisse les sénateurs sceptiques

Élisabeth Borne, la Première ministre, a annoncé qu’elle ne souhaitait plus avoir recours au 49.3, « en dehors des textes financiers ». Interrogés par Public Sénat, des représentants de la majorité sénatoriale de droite et du centre estiment que la cheffe du gouvernement commet une erreur tactique en se privant d’un outil constitutionnel. Une partie de la gauche, en revanche, appelle à la suppression pure et simple du 49.3.
Romain David

Par Romain David et François Vignal

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Une arme constitutionnelle trop dangereuse pour être utilisée ? Dans un entretien accordé à l’Agence France-Presse dimanche 26 mars, la Première ministre Élisabeth Borne a fait savoir qu’elle ne souhaitait plus recourir à l’article 49, alinéa 3 de la Constitution pour faire adopter un projet de loi, à l’exception des textes budgétaires. « L’objectif que je fixe pour l’avenir, c’est : pas de 49.3 en dehors des textes financiers », a déclaré la cheffe du gouvernement, un peu moins d’une semaine après l’adoption par 49.3 de la réforme des retraites, et alors que le pays continue d’être agité par des manifestations records. Élisabeth Borne a déjà eu recours onze fois au 49.3 depuis le mois d’octobre, sur trois textes budgétaires. Lundi 20 mars, ce dispositif était activé pour la 100e fois dans l’histoire de la Cinquième République.

Le 49.3 donne la possibilité au Premier ministre d’engager la responsabilité de son gouvernement sur tout projet de loi en débat à l’Assemblée nationale, c’est-à-dire de faire passer un texte sans le vote des députés. Après son activation, les débats sont suspendus et le projet de loi concerné aussitôt considéré comme adopté. À moins que les élus ne déposent une motion de censure dans les 24 heures. Si celle-ci est adoptée, le texte est rejeté et le gouvernement renversé. Il s’agit donc d’une arme à double tranchant, susceptible à la fois de faire passer une réforme sans majorité, mais aussi de déclencher une véritable crise gouvernementale. Notons que la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 a considérablement restreint l’usage du 49.3. À l’exception des projets de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale, il ne peut plus être utilisé que sur un seul projet de loi ordinaire au cours de la même session parlementaire. Élisabeth Borne indique ainsi vouloir renoncer à cette dernière option.

« L’usage du 49.3 est parfaitement constitutionnel et démocratique »

« Les gens ne veulent plus de 49.3, donc elle répond aux gens. Elle a manifesté sa volonté de renouer et de parler avec tout le monde », salue auprès de Public Sénat François Patriat, le chef de file des sénateurs macronistes, qui évoque « un geste bienveillant ». « C’est un signe de bonne volonté, d’apaisement », poursuit l’élu qui reconnaît que la protestation, aujourd’hui, se concentre davantage sur le retrait du texte que sur une procédure législative qui a été particulièrement chaotique. « Mais tous les gestes d’apaisement sont de nature à calmer », ajoute-t-il.

« Je ne me réjouis pas de cette annonce car elle semble donner raison, a posteriori, a ceux qui lui reprochent d’avoir utilisé le 49.3 », déplore en revanche Bruno Retailleau, le président du groupe LR au Sénat. Lui-même avait estimé, en marge du débat, qu’il valait mieux avoir recours au 49.3 que de voir la réforme des retraites retoquée par un vote. « Comme gaulliste, je pense que l’usage du 49.3 est parfaitement constitutionnel et démocratique. Politiquement, il faut en faire un usage, je dirais ajusté. C’est un instrument à la main du gouvernement. Et c’est assez audacieux pour un gouvernement de déclarer qu’il s’en privera de façon systématique, si ce n’est qu’elle a écarté le champ des textes budgétaires ».

Un mécanisme de stabilité…

Le 49.3 fait partie des instruments mis en place par les pères de Constitution pour permettre un parlementarisme dit « rationalisé » et mettre à distance l’instabilité parlementaire qui avait caractérisé la Quatrième République. « Un Parlement qui détient tous les pouvoirs, directement ou indirectement, nous savons qu’un tel régime, au moins dans les périodes difficiles, est entre deux dangers, celui de l’anarchie causée par le fait que ce sont les parties constituantes de cette assemblée qui se partagent l’Etat, et le risque de dictature, ou en tout cas d’arbitraire, qui découle toujours de l’anarchie », explique Michel Debré dans une archive radiophonique datée du 5 septembre 1958, dans laquelle il décrit l’esprit de la nouvelle Constitution, qui sera approuvée par référendum quelques semaines plus tard.

« De mon point de vue, renoncer au 49.3 sur les textes ordinaires est une erreur. C’est le signe d’un pouvoir affaibli qui ne sait plus quelle ouverture trouver pour apaiser. Le 49.3 n’est pas une arme nucléaire. C’est un outil constitutionnel », plaide le sénateur LR Marc-Philippe Daubresse, membre de la commission constitutionnelle des lois. « Je rappelle que Monsieur Rocard a utilisé un nombre incalculable de fois le 49.3, dans la plus parfaite indifférence, car nous n’avions pas, à l’époque, ces machines à grossir le moindre évènement que sont les réseaux sociaux et les chaînes d’informations en continu ».

« Il n’est pas indispensable, en période de crise, d’annoncer que l’on va se priver des outils prévus par la loi », abonde Hervé Marseille, le président du groupe centriste au Sénat. « Nous n’avons pas une Constitution à la carte. J’admets que le 49.3 n’est pas le moyen le plus sympathique de clore un débat parlementaire mais il correspond à une nécessité. Car il faut bien, au-delà du jeu politique entre l’exécutif et les oppositions, que le pays soit gouverné, surtout lorsqu’il y a des décisions à prendre par rapport à des intérêts vitaux », martèle l’élu des Hauts-de-Seine. « Ce qui est important, c’est d’être efficace. La France a besoin d’avancer », a nuancé dans la matinale de Public Sénat son collègue centriste Olivier Cadic. « C’est un outil, si elle décide de ne pas l’utiliser, c’est son choix. »

… De plus en plus critiqué

Michel Rocard, premier ministre de mai 1988 à mai 1991, ne disposant que d’une majorité relative à l’Assemblée, est celui qui y a eu recours le plus souvent : 28 fois en 24 mois. À la seconde place, Élisabeth Borne avec ses onze activations du 49.3. Sur la troisième marche de ce podium : Jacques Chirac, Raymond Barre et Édith Cresson, qui y ont eu recours respectivement huit fois durant leur passage à Matignon. L’utilisation du 49.3 n’est pas une fatalité, du moins pas lorsque le chef de gouvernement est appuyé par une confortable majorité. Des premiers ministres comme Jean-Marc Ayrault, François Fillon, Lionel Jospin, Pierre Messmer, Jacques Chaban-Delmas et Maurice Couve-de-Murville n’y ont jamais eu recours. Liste à laquelle on pourrait ajouter Bernard Cazeneuve, resté seulement 5 mois et 9 jours en poste. On notera que l’utilisation du 49.3 tend à se faire plus fréquente depuis le début des années 1990. « Le recours au 49.3 s’est accéléré face au risque de fragmentation des majorités. Il y a, aujourd’hui, une exigence parlementaire plus forte, et sans doute moins de députés godillots que par le passé, disons-le », relève Marc-Philippe Daubresse.

Ces dernières années, l’utilisation du 49.3, bien qu’il s’agisse d’un outil constitutionnel, a été régulièrement dénoncée comme antidémocratique car permettant de passer outre le système parlementaire, réduit au silence par la volonté de l’exécutif. En 2016, Manuel Valls, candidat à la primaire de la gauche pour la présidentielle, avait pris ses distances avec le 49.3, allant jusqu’à proposer de le supprimer après l’avoir utilisé six fois lorsqu’il était Premier ministre pour faire passer la loi Macron et la réforme du Code du Travail. « Je connais parfaitement les effets pervers du 49.3, je suis lucide et j’ai appris, et puis on prend du recul », avait-il confié à France Inter, estimant que dans un contexte de « crise démocratique », son utilisation « est dépassée et apparaît comme brutale ».

« On a l’impression que le 49.3 devient le mal absolu alors qu’Élisabeth Borne l’a utilisé pendant la période budgétaire. Ça ne trompe personne. Ça ressemble plutôt à un vent de panique. On sent que s’effrite la maison gouvernementale et je ne sais pas quand va arriver le collapsus », raille Patrick Kanner, le patron des socialistes au sein de la Chambre haute. Pour Éliane Assassi, la présidente du groupe communiste, favorable à la suppression du 49.3, la Première ministre reste dans l’ambiguïté. « Si elle veut joindre l’acte aux paroles, elle peut proposer une abrogation de cette partie de l’article 49 qui permet son utilisation sur les projets de loi ordinaire une fois par session parlementaire », pointe-t-elle. « En tout cas, le gouvernement se conserve la possibilité de mettre les sujets qui fâchent dans des projets de loi de financement (PLF), comme avec la réforme des retraites qui n’avait rien à faire dans un texte budgétaire ! »

Faut-il abolir le 49.3 ?

« Les déclarations de la Première ministre sont un poil provocatrices », abonde Guillaume Gontard, le président du groupe écologiste au Palais du Luxembourg, « puisque la réforme des retraites se trouvait précisément dans un texte financier. » « Mais admettre que l’usage du 49.3 est problématique, c’est un premier pas ! », poursuit l’élu de l’Isère, pour qui la Constitution semble désormais à bout de souffle. « Derrière les polémiques soulevées par le recours au 49.3, il faut admettre que l’on est dans une situation de blocage des institutions. Nous voyons arriver la fin de la Cinquième République et ouvrir un chantier sur nos institutions serait, pour le chef de l’Etat, une manière de sortir de la crise. »

Moins catégorique, Marc-Philippe Daubresse reconnaît que l’on pourrait « dévitaliser comme une dent » le 49.3, sans pour autant toucher à la Constitution et renoncer définitivement à son utilisation, car à ses yeux, c’est bien l’opposition qui a poussé l’exécutif à cette extrémité. « Si l’on veut vraiment lui redonner son caractère exceptionnel, il faudrait d’abord se pencher sur les règlements des deux assemblées. Il faut trouver le moyen d’éviter de retomber dans la caricature de démocratie que représente l’obstruction parlementaire, sans toucher, bien sûr, au droit d’amendement des parlementaires. Il faut trouver un moyen de s’assurer que les débats aboutissent, sans les vider de leur substance ».

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