« Emission télécommandée », « confessionnal à ciel ouvert »… l’intervention de Macron sous le feu des oppositions

« Emission télécommandée », « confessionnal à ciel ouvert »… l’intervention de Macron sous le feu des oppositions

Au lendemain de la diffusion, sur TF1 et LCI, d’un entretien de plus de deux heures d’Emmanuel Macron, les élus de droite et de gauche au Sénat dénoncent un exercice autocentré, léché sur la forme mais manquant de fond. Les soutiens du président défendent la nécessité de « solder » le bilan du quinquennat avant la présidentielle.
Romain David

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Faire le bilan avant de descendre dans la mêlée. Emmanuel Macron n’a pas profité de l’entretien de deux heures qu’il a accordé à TF1 et LCI pour lever le voile sur sa probable candidature à la présidentielle. L’émission, enregistrée ce week-end et diffusée mardi soir, était largement orientée sur le bilan de son quinquennat, en particulier les différentes crises qui ont secoué le mandat présidentiel, crises politiques, sociales, judiciaires et même sanitaires, de la grogne des gilets jaunes à la cinquième vague de covid-19, en passant par l’affaire Benalla et les accusations de viol et d’agressions sexuelles contre Nicolas Hulot. Le président a notamment défendu la politique du quoi qu’il en coûte qui a maintenu l’économie à flot durant la pandémie, et la réforme de l’hôpital.

Il a aussi été largement question du style et de la personnalité du chef de l’État, des petites phrases lancées ici et là au début du quinquennat, et qui ont nourri les crispations. De l’avenir un peu moins, hormis sur la réforme des retraites, stoppée par le covid-19. Sur ce dossier, Emmanuel Macron a plaidé pour un système simplifié avec « grosso modo trois grands régimes » et un allongement de la durée de cotisation.

Davantage que le fond, c’est aussi la forme qui a surpris, inédite pour un président français, flirtant davantage avec le talk-show à l’américaine, entrecoupé de vidéos « souvenirs » sur les temps forts du quinquennat, qu’avec l’interview politique traditionnelle. Jeudi matin, les critiques étaient nombreuses dans la classe politique. Notamment du côté du Sénat, où domine l’opposition de droite. « Cette émission télécommandée était au final un bon bilan du quinquennat : Jupiter convoquant les Français à venir le voir se contempler dans le miroir des caméras », a résumé sur Twitter Bruno Retailleau, le chef de file de la droite sénatoriale. « Un exercice nombriliste digne d’un confessionnal où il a préféré parler de lui-même que de parler aux Français. Où va la France ? Avec lui, nulle part ! », abonde, également sur Twitter, le sénateur LR du Nord Marc-Philippe Daubresse.

Un « numéro de théâtre amateur » avec l’Élysée pour décor

« C’est la première fois que je vois une autobiographie au plus-que-parfait », commente auprès de Public Sénat leur collègue LR de l’Oise Jérôme Bascher. « C’était long, trop long. Il ne sait jamais faire court. Emmanuel Macron s’écoute, il aime son verbe ». Même son de cloche du côté de la gauche, où l’on fustige « l’égotisme présidentiel ». « Un confessionnal à ciel ouvert et pas une idée neuve. Le sujet de la soirée est moins où va la France qu’où en est Emmanuel Macron avec lui-même ? », a ironisé sur Twitter le porte-parole du Parti socialiste Boris Vallaud. « Emmanuel Macron a continué à faire ce qu’il aime le plus : son numéro de théâtre amateur, mais c’était surjoué », tacle auprès de Public Sénat le sénateur PS de Paris Rémi Féraud.

Le cadre choisi – sous la verrière de la salle des fêtes du palais de l’Élysée, rehaussée par les filtres bleu blanc rouge de l’artiste Daniel Buren – interpelle également les élus. « C’est une séquence qui va assez bien avec son intronisation en début de quinquennat. Après s’être offert la Pyramide du Louvre, Emmanuel Macron invite les Français chez lui, dans les salons de l’Élysée. Il y a peut-être une volonté de dépoussiérer l’exercice, mais on est sur de la modernisation à la Giscard, façon vœux au coin du feu », raille Jérôme Bascher. De son côté, Rémi Féraud retient « la complaisance des journalistes (Audrey Crespo-Mara et Darius Rochebin, ndlr) », qui ont donné à cet échange de deux heures une tonalité « très XXe siècle ».

Un président rassembleur

Fauteuils, voix grave du président, multiplication des silences (et des gros plans) l’ambiance particulièrement feutrée de cet entretien, en dépit du décorum élyséen, a attiré l’attention de Philippe Moreau Chevrolet, président de MCBG Conseil. « Vous étiez dans un cocon, […] par moments, j’ai presque eu l’impression d’être devant une vidéo d’ASMR ! », lâche ce spécialiste de la communication politique auprès de Public Sénat. Le chef de l’État a voulu offrir « une contre-programmation par rapport au bruit de la campagne électorale ». Les soutiens d’Emmanuel Macron assument cette analyse. « Je trouve l’exercice réussi, je ne suis pas fan des déclarations solennelles, des adresses aux Français face caméra », explique le sénateur LREM Xavier Iacovelli. « Je ne suis pas sûr que les Français attendent de la confrontation. Ils réclament plutôt de l’apaisement. Dans la période que l’on traverse, on peut aussi avoir des interviews bienveillantes, sans être dans l’invective. J’ai vu un Président rassurant, alors que les oppositions essayent d’hystériser le débat. De ce point de vue là, Emmanuel Macron a été dans le rôle de rassembleur qu’est celui du président de la République. »

» Lire aussi notre article : Emmanuel Macron sur TF1 : « Nous ne sommes pas dans un registre journalistique, mais publicitaire », analyse Philippe Moreau Chevrolet

Un mea culpa et des appels du pied à « l’électorat de gauche » ?

À plusieurs reprises, Emmanuel Macron a dit regretter certaines des phrases qu’il a pu prononcer durant le quinquennat, même s’il a estimé qu’elles ont souvent été décontextualisées et sciemment utilisées contre lui. Il s’est également défendu de l’accusation de « président des riches », rappelant notamment ses origines familiales. « On a le droit de ne pas être la caricature dans laquelle on veut vous enfermer et donc je pense que je n’ai jamais été ça. Je sais d’où je viens. Je viens d’une famille, à Amiens, de médecins hospitaliers, d’une grand-mère enseignante. Je sais d’où je viens et quelles sont mes valeurs, elles ne sont pas celles d’un Président des riches », a-t-il déclaré.

Pour Rémi Féraud, cette déclaration « manque de sincérité », notamment parce qu’elle se pose en porte-à-faux d’une partie des réformes menées durant le quinquennat. « Il doit penser qu’en se disant qu’il est de gauche, ça passera malgré un bilan qui a vu exploser les inégalités. Il dit qu’il n’a pas les valeurs d’un président des riches, mais il en a la politique ! », dénonce ce proche d’Anne Hidalgo. « Le quinquennat ne se rétrécit pas à la suppression de l’ISF et à la diminution des APL », s’agace le sénateur Iacovelli. « Emmanuel Macron est un vrai social-démocrate qui a su protéger par temps de crise. La vérité, c’est que mes anciens camarades socialistes critiquent un bilan qu’ils rêveraient d’avoir. »

C’est d’ailleurs à cette aile gauche, ou du moins aux anciens socialistes, ceux qui se sont détournés du PS en 2017 mais qui sortent échaudés du quinquennat, qu’a semblé vouloir en partie s’adresser Emmanuel Macron mardi soir. Le président de la République n’a cité aucun des candidats à la présentielle, mais plusieurs phrases visaient implicitement Valérie Pécresse (sur l’endettement et la baisse du nombre de fonctionnaires) et Éric Zemmour (sur les prénoms et la théorie du grand remplacement). En revanche, les attaques contre les autres camps étaient moins visibles. « Implicitement, il appelle face à l’extrême droite un électorat de gauche à la rescousse, tout en menant une politique de droite », dénonce Rémi Féraud.

« Solder le bilan est indispensable »

L’exercice d’introspection auquel s’est livré Emmanuel Macron marque aussi un moment charnière du quinquennat, avant une probable entrée en campagne en début d’année prochaine. « Il joue entre le président et le candidat qui ne dit pas son nom. Pour lui, c’est évidemment une manière de reprendre la campagne en main. Il se positionne par rapport à une séquence autour de la désignation de Valérie Pécresse et sa percée dans les sondages, puis une autre avec Anne Hidalgo, sur le rassemblement de la gauche, mais qui n’a pas pris », analyse Jérôme Bascher.

« Je ne vois pas qui a sa carrure, cette énergie, cette volonté d’action, qui a eu l’humilité qu’il a eue hier. Au-delà du contenu de l’émission, c’est le courage d’Emmanuel Macron de prendre des décisions difficiles qui a été mis en avant », a salué le ministre de l’Agriculture, Julien Denormandie, jeudi matin dans la matinale de Public Sénat. « Je ne sais pas dans quel état serait la France si Emmanuel Macron n’avait pas eu le courage de gérer la crise comme il l’a fait », ajoute-t-il. « Solder le bilan est indispensable. Les présidents précédents ne l’ont pas suffisamment fait. Le timing était le bon : juste avant les fêtes et la présidence française de l’Union européenne », souligne Xavier Iacovelli.

« Pas sûr que cette seule séquence suffise », nuance le sénateur Féraud. L’année prochaine, Emmanuel Macron pourra compter sur les postulants à l’investiture suprême pour lui rappeler, encore et encore, ce qui a été fait – ou non – durant son mandat.

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