Emmanuel Macron, la campagne obligée

Emmanuel Macron, la campagne obligée

Après Poissy il y a 10 jours et avoir détaillé son programme lors d’une conférence de presse hier, le candidat Macron a tenu sa deuxième réunion publique ce vendredi à Pau. Le moment avait été conçu comme un temps d’échange avec les lecteurs de la presse locale. Si le format a permis d’aborder des thèmes originaux, son statut du Président lui a conféré une position de favori plutôt confortable, tout en rendant sa campagne presque impossible à mener.
Louis Mollier-Sabet

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Emmanuel Macron est probablement en train de mener une des campagnes les plus aisées et les plus ingrates de la Vème République. Aisée parce que le conflit ukrainien semble avoir accéléré la « prime au sortant » avec le fameux « effet drapeau » mis en avant par les sondeurs depuis quelques semaines. Au-delà des sondages, les tensions internationales ont ralenti la campagne nationale, prise dans un faux rythme, qui profite au statu quo, et donc au président sortant. Ingrate, parce qu’au moment de lancer sa campagne, le Président de la République se retrouve un peu pris à son propre jeu. À force de jouer la montre, on peut perdre au temps additionnel. Ce vendredi à Pau, c’était François Bayrou qui jouait le rôle de l’arbitre. « Dois-je vous rappeler que vous avez un coup de fil important à 16h M. le Président ? » le presse le maire de Pau, alors qu’Emmanuel Macron veut jouer les prolongations après 4 heures de dialogue avec les lecteurs de la presse quotidienne régionale. Difficile en effet, de battre la campagne au milieu des appels avec Vladimir Poutine, et cette discussion avec des lecteurs de Sud Ouest l’a bien montré.

« Les slogans, les ovations, les drapeaux, c’est très bien pour l’enthousiasme, mais ce n’est pas clair pour le citoyen »

La réunion publique a été confirmée 48h à l’avance, d’abord avec une déambulation dans Pau finalement annulée. La presse et les médias présents ont été parqués par une sécurité pour le moins consciencieuse et une organisation à la fois zélée et hésitante… Il est vrai que le Président de la République n’est pas tout à fait un candidat comme les autres, mais les règles étaient particulièrement strictes aujourd’hui au Palais Beaumont de Pau, même pour interroger les Palois présents à leur sortie de la salle. Emmanuel Macron joue la carte de la confrontation directe avec « les Français » – notamment pour expliquer son refus de débattre avec d’autres candidats – et rien qu’avec les Français. François Bayrou l’a réexpliqué aujourd’hui en s’adressant au chef de l’Etat en ouverture de ce « dialogue » : « Vous avez choisi à très juste titre de ne pas faire de cette campagne une campagne comme les autres. Vous avez choisi un dialogue avec vos concitoyens, quelles que soient leurs préférences et leurs opinions. […] Les slogans, les ovations, les drapeaux, c’est très bien pour l’enthousiasme, mais ce n’est pas clair pour le citoyen. »

Une façon pour François Bayrou d’anticiper les critiques en illégitimité d’une éventuelle réélection d’Emmanuel Macron, formulées notamment par le président du Sénat, Gérard Larcher : « Certains disent que la guerre et les crises empêchent la campagne de se dérouler. Moi je dis que cela recentre la campagne sur l’essentiel et place l’élection présidentielle à sa place. » Le jour des 60 ans des accords d’Evian, c’est une sorte de retour aux sources à la fonction de chef de l’Etat telle qu’imaginée par le général de Gaulle et Michel Debré en pleine guerre d’Algérie, peut-être dernier moment de l’histoire contemporaine où la France a été confrontée à la guerre de plus près qu’aujourd’hui. Sauf que le Général laissait la politique intérieure – qu’il appelait d’ailleurs « l’intendance » – au reste du gouvernement, alors qu’Emmanuel Macron prend visiblement un grand plaisir à disserter (longuement) sur les sujets économiques et sociaux.

Emmanuel Macron interpellé par une jeune communiste sur « l’éco anxiété »

Parce que c’était bien le pari de ce moment de discussion qui s’est transformé en après-midi entre le Président de la République maintenant candidat et les lecteurs de Sud Ouest. Pour couper court aux suspicions de mise en scène qui avaient émaillé la première sortie d’Emmanuel Macron à Poissy, l’équipe du candidat avait cette fois donné carte blanche à la presse quotidienne régionale pour sélectionner les interlocuteurs du Président de la République. Force est de constater que les interpellations du chef de l’Etat furent diverses, dans les thématiques autant que dans les points de vue. Le premier intervenant annonce par exemple la couleur en expliquant avoir voté pour Jean-Luc Mélenchon en 2017 et en interpellant Emmanuel Macron sur le SMIC. Une jeune lycéenne de 18 ans se présentant elle-même comme « activiste communiste » a de même tenu tête au chef de l’Etat dans un des rares échanges proprement politiques et un peu musclés de l’après-midi, à propos de l’urgence climatique et de « l’éco anxiété » des jeunes.

Un échange détonnant où Emmanuel Macron a fait ce qu’il sait mieux faire : contredire en concédant, avec toute l’habileté disruptive que le « en même temps » permet. « Je préfère l’éco-lucidité à l’éco-anxiété, parce qu’elle vous fait vous replier sur vous-même. Je respecte la colère, je chéris l’indignation, mais j’ai un devoir que cela ne se transforme pas en anxiété ou en peur », tempère ainsi le Président de la République, qui finit presque par enfin s’emporter et rappeler qu’il n’est pas simplement au « Grand débat » mais en pleine campagne présidentielle : « Je ne crois pas à la décroissance. Si on produit, c’est pour financer notre Etat-Providence. Si vous arrêtez toutes les activités polluantes, qui vous finance le grand âge ? La maladie ? Personne. Il faut produire plus, mais changer en profondeur notre système. » La saveur de ce type d’échanges reste tout de même d’entendre Emmanuel Macron s’accorder avec une jeune militante communiste sur le « dérèglement du capitalisme international », avant de refuser une « augmentation légale arbitraire » du SMIC et de défendre la retraite à 65 ans.

Télétravail, discriminations et réforme constitutionnelle

Mais ce fut un peu le rayon de soleil dans un après-midi gris et nuageux, fait rare à Pau assure le régional de l’étape, François Bayrou. Il n’en reste pas moins qu’Emmanuel Macron a la plupart du temps déroulé son programme, plus proche du format de sa conférence de presse à Aubervilliers hier. Force est de constater que le candidat maîtrise l’exercice, en défendant son bilan en même temps qu’il décline ses propositions sur des thématiques variées, tout comme il l’avait fait hier : le pouvoir d’achat, les retraites, la désertification médicale, les Ehpad, l’agriculture… Et sur quelques sujets un peu plus inédits, que le format particulier a permis de faire émerger. Le Président de la République est ainsi revenu sur les évolutions liées au télétravail, qu’il voit à la fois comme une « chance formidable », mais aussi comme un phénomène à encadrer « pour que chacun ne soit pas renvoyé chez soi à travailler et que le télétravail renvoie à une société qui s’individualise. »

De même sur les discriminations, le chef de l’Etat s’est « engagé à systématiser le testing » et à ce que toutes les entreprises de plus de 5000 salariés subissent un testing au cours d’un éventuel second quinquennat. Les questions plus politiques sont arrivées sur la fin, avec un autre « engagement » d’Emmanuel Macron, qui promet la création d’une « commission transpartisane » chargée de formuler une proposition de réforme constitutionnelle. « C’est un bon moyen de bâtir une majorité à l’Assemblée nationale et au Sénat pour la faire voter par le Parlement ou la soumettre au peuple souverain », a précisé le Président de la République.

Emmanuel Macron joue le recours rassembleur

Finalement, c’est la dernière question portant sur le climat social d’un éventuel second quinquennat qui a réussi à faire sortir le candidat de l’enveloppe de Président de la République. Concernant la crise des Gilets Jaunes notamment, Emmanuel Macron accepte une part de responsabilité, mais renvoie aussi aux actions des gouvernements précédents : « Cette crise était aussi le fruit de beaucoup de mensonges, et du fait de ne pas avoir vu la vérité en face sur des décennies. Je ne voudrais pas non plus que l’on me reproche toutes les erreurs faites avant et dont l’addition m’est arrivée pendant le quinquennat. » La parenthèse politique façon « Ancien Monde » fut de courte durée, puisque le chef de l’Etat est vite retombé dans le rôle décidé, mais rassembleur qu’il semble désormais vouloir incarner : « Il faut se méfier des jours heureux qui reposent sur un constat non-lucide ou une situation mal comprise. Ce sont les malheurs de demain. […] C’est de concorde active dont la nation a besoin. »

Si la guerre en Ukraine et le statut de Président sortant sont souvent présentés par les concurrents d’Emmanuel Macron comme un obstacle à sa capacité à faire campagne, celui-ci a retourné le stigmate en faisant campagne sur sa capacité de rassemblement. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si François Bayrou a ouvert cette discussion par un parallèle, dont la pertinence était moins historique que politique, en comparant Emmanuel Macron à Henri IV. Le maire de Pau, lieu de naissance d’Henri de Bourbon, voit dans cette « figure de la réconciliation » un patronage propice à une candidature de rassemblement de la Nation d’un Président sortant qui a toujours misé sur le dépassement des clivages de son temps : « Henri IV a patiemment travaillé à la réconciliation, avec son parti, qui était le parti du centre de l’époque. Nous sommes fiers d’en être les héritiers en faisant que progressent ensemble les gens des deux bords. » L’Elysée vaut bien une campagne électorale, même tronquée.

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