Empreinte environnementale du numérique : « La sobriété, ce n’est pas le retour au goulag »

Empreinte environnementale du numérique : « La sobriété, ce n’est pas le retour au goulag »

Auditionnés mercredi par la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable au Sénat, Frédéric Bordage, fondateur et animateur de Green IT et Hugues Ferreboeuf, directeur du projet « sobriété » au Shift Project, ont prôné la sobriété dans la production et l’utilisation des équipements numériques afin de freiner l’empreinte carbone du numérique qui va exploser si l’on ne fait rien.   
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Utiliser son smartphone ou son ordinateur a un impact sur l’environnement, on l’imagine bien. Mais sait-on de quelle façon et dans quelles proportions ?

La commission de l’aménagement du territoire et du développement durable au Sénat s’est lancée dans la création d’une mission d’information relative à l’empreinte carbone du numérique. L’idée étant de faire un état des lieux de l’impact de cette empreinte et de proposer des pistes pour « faire converger la transition numérique et la transition écologique ». Elle a démarré ses premières auditions ce mercredi avec Hugues Ferreboeuf, directeur du projet « sobriété » au Shift Project et Frédéric Bordage, fondateur et animateur de Green IT, tous deux fervents partisans de la « sobriété numérique », qui permet de réduire l’impact environnemental du numérique.

Hugues Ferreboeuf, auteur de plusieurs rapports sur le sujet, a expliqué que depuis quelques années, la consommation d’énergie du numérique augmente « à un rythme de 9% par an ». Alors que la communauté scientifique estime que pour ne pas dépasser les 2 degrés de réchauffement climatique, il faut baisser les émissions de gaz à effets de serre, « en 10 ans de 2015 à 2025, la consommation d’énergie serait multipliée par trois. »

Et Hugues Ferreboeuf d’ajouter : « Aujourd’hui le numérique représente de 3,5 à 4% des émissions [de gaz à effets de serre] mondiales. C’est plus de 50% de plus que le trafic aérien. Et si rien n’intervient pour changer les tendances (…) il est assez probable que le numérique en 2025, représente une proportion aussi importante que l’automobile aujourd’hui. »

Contrairement à ce qu’on pourrait imaginer, c’est surtout la production des équipements (smartphones, écrans…) plus que son utilisation, qui est extrêmement énergivore. Et cela va aller en s’aggravant : « En 2010, on produisait environ 1 milliard d’équipements numériques par an. Aujourd’hui, on en produit environ 4 milliards et si les tendances se confirment, on en produirait près de 10 milliards en 2030 (…) Le parc des équipements numériques devrait atteindre au moins 45 ou 50 milliards avant 2030. D’autres études parlent de 70 voire 100 milliards. » 

Également auditionné, Frédéric Bordage a renchéri en expliquant que selon l’Ademe (l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) « on est à peu près, à 34 équipements par ménage » en France. Pour le fondateur de Green IT, l’empreinte du numérique mondiale est « le 7e continent ». 34 milliards d’équipements seraient en fonctionnement sur la planète dont « 32 milliards de terminaux d’utilisateurs » (smartphones, ordinateurs…).

Et l’un des gros points noirs dans la fabrication de ces équipements, c’est l’utilisation de minerais et autres matières premières que l’on extrait. Or ces ressources ne sont pas inépuisables : « Les principaux minerais qui permettent de fabriquer le monde moderne (les éoliennes, les panneaux photo voltaïques, les véhicules électriques mais aussi tout le numérique) à ce rythme-là, à coûts actuels et technologies actuelles, dans trente ans on n’a plus de stocks ».  Pour ce spécialiste du numérique responsable, c’est une question cruciale dont personne ne semble vraiment prendre conscience.

Mais pour Frédéric Bordage, comme pour Hugues Ferreboeuf, il est encore possible d’agir.

Frédéric Bordage a publié en octobre 2019, une étude sur l’empreinte environnementale du numérique mondial. Auparavant, il avait remis en mars 2018, à Brune Poirson, secrétaire d’État à la transition écologique et Mounir Mahjoubi, alors secrétaire d’État chargé du numérique, un livre blanc coécrit avec WWF, comprenant 26 propositions. « Si on veut réduire les impacts environnementaux du numérique, il va falloir fabriquer moins d’équipements et les utiliser plus longtemps » a-t-il expliqué aux sénateurs.

« La 5G, nous n’en avons absolument pas besoin »

Hugues Ferreboeuf, comme Frédéric Bordage, prône la sobriété : « Nous ne pouvons pas compter - et ça c’est un point très important - sur un miracle lié à l’apparition d’une technologie qui brutalement serait industrialisée. La seule façon de revenir à une trajectoire supportable est de mettre en œuvre un principe de sobriété (…) La sobriété ne veut pas dire abstinence, ni décroissance. Il s’agit par exemple de revenir à une croissance de trafic de l’ordre de 15% par an, au lieu de 25%. On reste à des croissances à deux chiffres qui devraient pouvoir permettre de maintenir une croissance économique dans le secteur du numérique et également de poursuivre les transitions numériques des entreprises et des États ».

« La sobriété numérique, ce n’est pas le retour au goulag, c’est simplement prendre conscience de la criticité et de l’épuisement de cette ressource. Prendre conscience de ses impacts pour orienter nos choix, orienter nos usages » a ajouté Frédéric Bordage, qui souhaite vivement que l’ensemble des citoyens soient informés de la situation.

Même chose pour Hugues Ferreboeuf : « 50% de la solution passe par la prise de conscience. Tout ce que l’on a dit ce matin, en général on ne le soupçonne pas. Cela fait partie de la face cachée du numérique (…) Quand on utilise son smartphone pour visionner un film en haute définition, on n’imagine pas qu’on est en train de consommer deux mille fois ce que le smartphone lui-même consomme (…) Un smartphone qui pèse 130 grammes, c’est en fait 80 kilos de dioxyde de carbone. C’est quelque chose qui ne saute pas aux yeux. »

Face à toutes ces informations, les sénateurs présents étaient un peu perplexes. Certains craignant que soit fait ici « le procès du numérique ». Ils se sont également questionnés sur l’empreinte carbone de la 5G.   

« La 5G, nous n’en avons absolument pas besoin » leur a répondu Frédéric Bordage, qui estime qu’elle est « utile » pour des usages de loisirs, comme regarder « la télévision en direct dans un TGV à 320 km/h » , mais que pour 98% de nos usages quotidiens, elle ne nous est pas nécessaire. « La 5 G n’a pas d’intérêt à partir du moment où l’on conçoit les services numériques de façon à ce qu’ils fonctionnent avec moins de ressources. On sait le faire. »

De son côté, Hugues Ferreboeuf a réagi en disant que « substituer de la 4G par de la 5G aboutira[it] à multiplier par deux la consommation d’énergie ».

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