En 1958, la nouvelle constitution ne faisait pas l’unanimité
À l’heure du soixantième anniversaire de la Constitution de 1958, Philippe Saada nous propose un documentaire qui met en avant les arguments des pourfendeurs de la Ve République. À un moment où la IVe République apparaissait à bout de souffle, le retour du Général de Gaulle et la décision d’un changement de constitution n'ont pas fait l’unanimité. Entretien avec Philippe Saada, réalisateur du documentaire « 1958, ceux qui ont dit non » qui nous aide à comprendre les arguments des deux camps.
Par Marie Oestreich
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Vous avez choisi de mettre en avant la parole de « ceux qui ont dit non » à la Constitution de 1958, pouvez-vous nous expliquer ce choix ?
Philippe Saada : Cela me semblait un moyen intéressant d’en parler au moment de son 60e anniversaire. Je trouvais qu’il semblait moins convenu de dire qu’à l’origine il y a des gens qui ont dit non et insister sur le fait qu’elle a été contestée dès l’origine, que d’en dire « Elle est là depuis 60 ans, elle est robuste et elle tient la route. ».
Peut-on dire d’après vous que les arguments d’opposition aux institutions de la Ve République de 1958 sont encore d’actualité aujourd’hui ?
P. S. : Oui, les arguments avancés par les pourfendeurs de la Constitution en 1958 sur l’hyper présidentialisation et la diminution des pouvoirs du parlement sont des arguments toujours actuels. On peut être pour ou contre, mais ce sont des arguments qui restent valables.
Dans le documentaire, on constate que la nécessité de changer le système institutionnel était criante. C’était une réelle nécessité ?
P. S. : Je pense qu’effectivement cela était nécessaire, et c’est pour cela d’ailleurs que je pense que ceux qui ont dit non en 1958 se sont trompés. Le système dont ils sortaient, à savoir la IVe République, était tellement mauvais qu’au bout du compte la Ve est apparue comme efficace, et qu’il y avait une nécessité de changement. La IVe République était arrivée à une situation de crise complète. On n’arrivait plus à avancer. D’autant plus que les institutions de la IVe République ne parvenaient pas à résoudre le conflit de la Guerre d’Algérie, et plus largement la IVe République ne résolvait pas les problèmes qui se posaient à la France. J’entends surtout les problèmes politiques, puisque sur le plan économique cela fonctionnait à peu près. Pour autant, sur le plan politique, la IVe arrivait dans une impasse dont on ne pouvait plus sortir, car les institutions ne le permettaient pas.
Photo extraite du documentaire "1958, ceux qui ont dit non", de Philippe Saada
Philippe Saada
Si on se rend bien compte qu’en 1958, il semblait nécessaire de modifier le système institutionnel, puisque la IVe République est marquée par une très forte instabilité, on observe aussi dans le documentaire que l’opposition au général de Gaulle n’a pas de solution alternative à celle de l’instauration de la Ve République, avez-vous pour autant trouvé lors de vos recherches, d’autres solutions, même isolées ?
P. S. : Très peu. Même si une alternative qui a retenu mon attention. À l’époque il était question d’un « contrat de législature », défendu par Pierre Mendès France, cela consistait à s’inspirer de ce qui se fait en Allemagne aujourd’hui, c'est-à-dire que le gouvernement s’engage sur un programme extrêmement précis, à la virgule près, sur un certain nombre de jours, et cela en disposant d’une majorité avec un parlement qui contrôle, qui questionne. Le président aurait donc été élu sur les bases d’un contrat précis et non sur un homme. Mais peu de gens attachaient de l’importance à cette alternative.
Le directeur du Monde, Hubert Beuve-Méry écrira : « Aujourd’hui, dans l’immédiat, quelque réserve que l’on puisse faire pour le présent, et plus encore pour l’avenir, le général de Gaulle apparaît comme le moindre mal, la moins mauvaise chance. ». Dans le documentaire, titré 1958, ceux qui ont dit non, on voit bien que le Général de Gaulle est pour autant plutôt mis en avant, même de façon positive, êtes-vous d’accord avec ce constat ?
P. S. : Il est évident que De Gaulle était dans une situation où il pouvait résoudre tous les problèmes, et que sa mise en avant à l’époque ne doit rien au hasard. Premièrement, il a toujours été contre les institutions donc il était difficile de penser qu’il était opportuniste, dans le sens où il a dénoncé les institutions de la IVe étaient mauvaises dès le début. Deuxièmement, quand les militaires en Algérie l’appellent au pouvoir, il répond présent et il apparaît comme le seul capable faire rentrer les militaires dans les casernes et d’écarter la situation du coup d’état. Par ailleurs, il peut parallèlement rassurer les parlementaires, en tout cas sur le plan des institutions. C'est-à-dire qu’il diffuse le message suivant : Bien sûr la France va changer de régime, mais elle va rester démocratique. Et puis c’est de Gaulle, il a sauvé la France de Pétain et des Allemands de 1940 à 1945, donc il est dans la meilleure posture.
Aujourd’hui, il est question de réduire le pouvoir des parlementaires avec la révision de la Constitution prévue par le gouvernement Macron. Alors que le fait de réduire les pouvoirs du Parlement était déjà critiqué à l’époque de la mise en place de la Constitution de 1958, cette Constitution a-t-elle ouvert les portes à un pouvoir de plus en plus présidentiel ?
P. S. : Je pense que ce n’est pas un pouvoir vraiment présidentiel car un régime présidentiel est vraiment un régime à l’américaine. Le président ne peut pas dissoudre l’Assemblée, et l’Assemblée ne peut pas non plus s’en prendre au président, car il s’agit de deux pouvoirs séparés et distincts. Mais en effet, en France, la diminution des pouvoirs du parlement est un processus qui a commencé dès 1958 et qui semble perdurer. Si la réforme d’Emmanuel Macron est justifiée par la volonté d’accroître l’efficacité du Parlement, il reste certain que par rapport à ce qu’on a pu connaître sous la IIIe ou la IVe République, le changement quant aux pouvoirs du parlement est considérable.
Bande-annonce documentaire : 1958, ceux qui ont dit non
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