C’était la première image des deux hommes côte à côte, depuis la large victoire de Bruno Retailleau sur Laurent Wauquiez à la présidence des LR. Mais lundi soir, les LR ont parlé d’une seule voix, devant le premier ministre François Bayrou, qui continue ses consultations sur la proportionnelle.
Accompagné donc du président du groupe Droite républicaine de l’Assemblée nationale et du président du groupe LR du Sénat, Mathieu Darnaud, le nouvel homme fort de la droite a redit sa franche opposition « très ferme, absolue sur ce mode de scrutin », qui « pourrait déséquilibrer les institutions de la cinquième République, qui a besoin d’une majorité pour bien fonctionner ». « L’éparpillement auquel le mode de scrutin (proportionnel) conduirait est en réalité profondément déstabilisant pour le pays », a-t-il ajouté, craignant qu’il mène le pays à l’« impuissance publique ».
« Pour nous, c’est un sujet majeur », prévient Mathieu Darnaud
Portant sa double casquette, le président des LR a prévenu : en tant que ministre de l’Intérieur, il « ne porterait pas ce type de réforme ». Mais Bruno Retailleau est allé un peu plus loin. Interrogé sur son départ du gouvernement s’il devait porter la réforme, il n’en a pas exclu la possibilité. « Toutes les options sont ouvertes », a lâché le ministre de l’Intérieur.
Une petite phrase qui a vite agité le microcosme. Les LR sont-ils réellement prêts à précipiter leur départ du gouvernement précisément sur ce sujet ? Au lendemain de la déclaration du ministre, les LR assurent qu’ils sont à prendre au sérieux. « Il ne s’agit pas de bluff, il s’agit de dire les choses très clairement, de réaffirmer notre position invariablement sur le sujet de la proportionnelle », explique ce mardi Mathieu Darnaud à Public Sénat. « Pour nous, c’est un sujet majeur. Le ministre de l’Intérieur, président des LR, a indiqué au premier ministre – et j’ai participé à cette réunion – que c’était un sujet sur lequel nous ne varions pas », ajoute le sénateur de l’Ardèche avant sa réunion de groupe LR. Regardez (images, Marion Delpech) :
« Est-ce que ça va bien se passer entre François Bayrou et les sénateurs sur le budget, s’il maintient son idée de proportionnelle ? »
Outre les convictions de longue de date du maire de Pau, Marc-Philippe Daubresse a son explication à l’attitude du premier ministre : « Il doit penser qu’il va s’attribuer les bonnes grâces du RN et s’éviter une motion de censure sur son budget. Mais je ne pense pas que ce sera le cas. Ça n’empêchera pas le RN de taper sur le budget ».
Au passage, l’ancien ministre du Logement y va à son tour de sa menace, sur le projet de loi de finances justement… « Est-ce que vous pensez que ça va bien se passer entre François Bayrou et les sénateurs sur le budget, s’il maintient son idée de proportionnelle ? Non. Le vrai sujet c’est le budget. Les Français se moquent de la proportionnelle, comme ils se moquent de la loi PLM (Paris Lyon Marseille) », autre sujet de discorde. Et d’ajouter, fièrement : « Vous avez vu comment on a fusillé la loi PLM, qui ne va pas passer au Sénat (le texte a été rejeté ce mardi après-midi, ndlr) ? Alors il fait quoi François Bayrou ? Il passe en force ? » On le voit, les LR montrent leurs muscles, entretenant le climat de tension qui règne depuis des semaines au sein de la majorité instable du socle commun.
« Je ne dis pas qu’on va quitter le gouvernement demain matin »
Alors, c’est bientôt la fin ? Non. Car en réalité pour les LR, sortir sur le sujet de la proportionnelle serait trop tôt, ou risquerait d’être mal compris. Tout en mettant en garde, les caciques de la droite s’appliquent d’ailleurs à faire redescendre un peu le niveau de tension. « Après, il a dit que nous verrons et que tous les scénarios étaient sur la table. Nous verrons en temps et en heure ce qu’il sera décidé, le premier ministre ayant insisté sur le fait qu’il s’agissait d’une concertation. Il n’a pas à ce jour de calendrier. Nous sommes pragmatiques et nous verrons le moment venu ce qui sera décidé et quelle sera l’expression du premier ministre », tempère ainsi Mathieu Darnaud.
« Quand Bruno Retailleau dit toutes les options sont ouvertes, ça veut dire qu’on n’exclut pas de quitter le gouvernement, mais ça ne veut pas dire qu’on va le faire, car on continue de penser qu’on peut dissuader François Bayrou de faire ça », souligne Marc-Philippe Daubresse, qui insiste : « Je ne dis pas qu’on va quitter le gouvernement demain matin ». Le sénateur du Nord ajoute que ce ne serait d’ailleurs « pas Bruno Retailleau tout seul qui partirait, mais tous les ministres LR. Mais je ne pense pas qu’on quittera le gouvernement tant qu’on n’a pas rendu notre copie sur le budget ». Les sénateurs LR ont prévu de faire des propositions sur le budget d’ici fin juin.
Rapport de force
En réalité, par cette opération, les LR cherchent surtout à obtenir gain de cause « en mettant une pression très forte sur le premier ministre », confie hors micro un membre du parti. « François Bayrou ne connaît que les rapports de force. Hier, il y a eu un rapport de force », ajoute le même.
Un observateur LR voit plutôt la séquence comme un coup que tente François Bayrou. Le locataire de Matignon, qui sait son CDD très incertain, « prépare l’après Macron », en cherchant à instituer la proportionnelle, « car il sait très bien que ses députés sont élus grâce à des circonscriptions réservées par les macronistes. Sinon, le Modem n’existe plus. Il n’avait plus que 2 députés il y a quelques années. Demain, il peut disparaître. Avec la proportionnelle, c’est la survie de sa famille politique qui est en jeu », analyse notre stratège LR.
Pour la démission de Bruno Retailleau, « il n’y a pas le feu au lac »
Quant à Bruno Retailleau, que beaucoup verraient bien maintenant représenter les couleurs des LR pour la présidentielle de 2027, il lui faudra trouver une porte de sortie. La proportionnelle est-elle la bonne ? De l’aveu même d’un parlementaire LR, pas vraiment. « Il est évident que les Français ne comprendraient pas une démission sur ce sujet », reconnaît ce parlementaire, « la proportionnelle, ce n’est pas un sujet de démission ». Alors quoi ? « Les sujets de démission doivent être très graves, très lourds et préoccuper l’opinion publique ». Pour les LR, c’est le régalien, l’économie, le budget.
Mais notre élu LR met en garde : « Une démission qui tombe à plat, c’est la pire des choses ». Il rappelle que les démissions ont toujours été compliquées. « De Gaulle s’y est essayé en 1946, il a échoué. Chirac a essayé en 1976, il a échoué. Plus récemment, Montebourg a essayé, il a tellement échoué qu’il a disparu ». Bref, il faut que les circonstances soient réunies. Et « pour l’instant, être président de parti et ministre, ça l’aide. Hier à Matignon, il était au centre. Il a pris la parole. Il y a six mois, c’était Wauquiez qui parlait », note un fidèle. Bref, « est-ce qu’il a un intérêt à provoquer la démission ? Il n’y a pas le feu au lac ».
Si les regards se concentrent sur une possible démission de Bruno Retailleau, un autre pourrait aussi avoir intérêt à claquer la porte, imagine un responsable LR : c’est François Bayrou, qui ne l’oublions pas, a plusieurs fois tenté d’être élu Président. « Il pourrait démissionner avant le budget, en disant « je n’ai pas les moyens de l’effort que je veux » », se projette ce soutien du ministre de l’Intérieur.
« Nous pensons qu’on empêchera François Bayrou de faire cette funeste réforme »
Avant de se perdre en conjecture, politique fiction ou fausses pistes, les LR pensent plus prosaïquement que François Bayrou n’ira tout simplement pas au bout sur la proportionnelle, car il ne pourra pas et sera contraint d’y renoncer. « Nous pensons qu’on empêchera François Bayrou de faire cette funeste réforme », espère Marc-Philippe Daubresse. « Est-ce qu’on peut penser que le premier ministre peut faire voter son texte avec les voix RN et de LFI ? Avant de parler de démission de Bruno Retailleau, je vois que dans le socle commun, qui soutient le gouvernement, il y a une majorité de parlementaires qui y sont hostiles », relève Max Brisson. « Le premier ministre pourra-t-il faire voter un texte à l’Assemblée avec les voix de ceux qui le combattent ? » demande le sénateur LR, qui croit qu’avec les « LR disant fermement leur position, ça devrait décanter la situation ». En mettre une croix sur le projet de proportionnelle. C’est du moins tout ce qu’espèrent les LR, qui y trouvent aussi un sujet d’unité, après leur congrès.