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En faisant du maintien d’Élisabeth Borne un « non-évènement », l’Elysée affaiblit le rôle de la Première ministre

Le maintien d’Élisabeth Borne à Matignon, confirmé lundi soir par l’Elysée, pourrait s’accompagner d’un remaniement dans les prochains jours. Les oppositions n’ont pas manqué de critiquer la reconduction de la Première ministre, tout en pointant le manque de considération affiché par la présidence à son égard.
Romain David

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L’Elysée a mis fin lundi, en fin de journée, à une énième rumeur de remplacement d’Élisabeth Borne. « Pour assurer stabilité et travail de fond, le président de la République a décidé de maintenir la Première ministre ». Le message a été envoyé par l’entourage du chef de l’Etat à plusieurs rédactions. Une formulation lapidaire, sans louange, et qui laisse supposer que la question d’une éviction d’Élisabeth Borne, au terme des « cent jours » d’apaisement voulus par le chef de l’Etat pour tourner la page de la réforme des retraites, s’est bel et bien posée.

Dans la foulée, Matignon a fait savoir que la Première ministre va proposer au président de la République, d’ici la fin de la semaine, des « ajustements » dans son gouvernement. L’hypothèse d’un remaniement n’est donc pas totalement évacuée. Elle permettrait tout du moins à l’exécutif, à l’orée de la pause estivale, de se séparer de ministres devenus quelque peu encombrants au fil des semaines. On pense naturellement à Marlène Schiappa, la secrétaire d’Etat chargée de l’Economie sociale et solidaire, empêtrée dans l’affaire du Fonds Marianne, ou encore au ministre de l’Education, Pap Ndiaye, dont les positions sur la laïcité font de plus en plus dissonance avec la politique de l’Elysée sur le séparatisme.

« La méthode utilisée par Emmanuel Macron pour la maintenir est assez cruelle »

« Pour que rien ne change, il ne faut rien changer », a raillé Marine Le Pen, la cheffe de file des députés RN, sur son compte Twitter, pastichant ainsi une célèbre citation du Guépard de Tomasi di Lampedusa. « Le maintien d’Élisabeth Borne à Matignon traduit la dramatique déconnexion du président de la République qui a perdu tout contact avec le peuple et condamne le pays à l’impuissance et à l’immobilisme », a-t-elle ajouté. À l’autre bout de l’échiquier politique, on pointe la marge de manœuvre limitée de l’exécutif, toujours privé de majorité absolue à l’Assemblée nationale : « Personne ne veut monter sur un bateau qui coule. La Macronie se rétrécit », a tweeté Mathilde Panot, la présidente du groupe LFI au Palais Bourbon.

« C’est une femme de gauche, mais une femme à la fois travailleuse et courageuse. Je trouve que la méthode utilisée par Emmanuel Macron pour la maintenir est assez cruelle », a commenté Bruno Retailleau, le patron des sénateurs LR au micro de Sud Radio. « Regardez la définition du terme ‘maintenir’ : conserver, laisser durer… Il n’y a pas d’acte solennel, comme si c’était à la sauvette, comme si, en réalité, il s’agissait d’un choix contraint », a-t-il observé. Ce mardi matin, Politico nous apprend qu’Élisabeth Borne aurait souhaité pouvoir présenter sa démission et celle de son gouvernement, pour être renommée et voir ainsi son autorité renforcée. Un scénario évacué par le chef de l’Etat, actuellement en déplacement à Bruxelles pour un sommet UE-Amérique latine, et qui devrait prendre la parole dans les prochains jours.

Élisabeth Borne, l’inoxydable ?

« La démission puis la re-nomination d’un gouvernement est une forme d’adoubement, mais cela crée aussi de l’attente et de la tension. Ce n’était pas l’objectif des cent jours, qui était celui de l’apaisement », rappelle Benjamin Morel, maître de conférences en droit public à l’université Paris Panthéon-Assas. Corollaire de cette situation : la Première ministre semble sortir affaiblie de la séquence, sa légitimité seulement consacrée du bout des lèvres par l’Elysée.

« Cette annonce rappelle un peu la candidature de Lionel Jospin à la présidentielle, par simple fax. Ce n’est pas à la hauteur de l’enjeu ! L’Elysée a voulu faire du maintien d’Élisabeth Borne un non-évènement. Elle a été clairement rabaissée et mal traitée par le président de la République. Mais son sens de l’Etat fait qu’elle restera jusqu’au bout, du moins tant qu’il voudra bien la maintenir », analyse après de Public Sénat Philippe Moreau-Chevrolet, professeur de communication politique à Sciences-Po et président de MCBG Conseil. Indirectement, la froideur de l’annonce confine Élisabeth Borne à un rôle de simple exécutante ou, pour reprendre une formule utilisée en son temps par Nicolas Sarkozy à propos de François Fillon, à celui de « collaboratrice ».

Depuis sa nomination le 16 mai 2022, la cheffe du gouvernement semble évoluer sur un fil. Elle a traversé le fiasco des législatives, survécu à 17 motions de censures, été prise en otage par les divisions des députés LR avec lesquelles elle a tenté de conclure un accord sur la réforme des retraites… sans compter quelques couacs avec le président de la République. « Humiliée, déconsidérée, mais toujours maintenue, elle peut se vanter désormais d’avoir survécu et elle pourra répondre à ses détracteurs, lors des prochaines rumeurs de remaniement, qu’elle est toujours là », poursuit Philippe Moreau-Chevrolet.

L’œil du cyclone

Officiellement, l’Elysée estime que l’objectif des cent jours a été atteint et que « le calme est revenu », même si ce calendrier a été percuté de plein fouet par les violentes émeutes urbaines qui ont suivi la mort du jeune Nahel au début du mois de juillet. En prolongeant le bail de sa cheffe de gouvernement à Matignon, Emmanuel Macron cherche également à préserver une certaine continuité sur plusieurs chantiers, notamment la planification écologique et le « pacte de la vie au travail », présenté comme un levier de rapprochement avec les partenaires sociaux.

« Il y a depuis quelques jours une volonté de la part du président de la République de faire comme si rien ne se passait, cela s’est notamment illustré par son refus de prendre la parole le 14 juillet, contrairement à l’usage. C’est une manière aussi de nier la gravité des évènements traversés, à commencer par la crise des banlieues et la montée de l’extrême droite », estime Philippe Moreau-Chevrolet. « L’Elysée donne l’impression de se suspendre du jeu entre deux crises, au moins jusqu’à la rentrée ».

Une rentrée qui s’annonce compliquée pour l’exécutif et la Première ministre : faute de majorité, l’adoption des deux grands textes budgétaires de l’automne, le budget 2024 et le projet de loi de financement de la Sécurité sociale, risque fort de passer par des 49-3, avec le risque inhérent de nouvelles motions de censure. « Si j’étais cynique, je dirais que le président attend les 49.3 de l’automne pour finir d’user sa Première ministre, avant, potentiellement, d’ouvrir une nouvelle séquence au début de l’hiver. Mais encore faudra-t-il avoir trouvé le mouton à cinq pattes qui plaira aussi bien à Éric Ciotti qu’à Sacha Houillé », pointe Benjamin Morel.

Car le maintien d’Élisabeth Borne confirme aussi l’échec de l’élargissement de la majorité présidentielle vers la droite de l’échiquier politique. « Gérald Darmanin, qui a largement fait campagne pour le poste, aurait pu représenter une solution, un pont supplémentaire vers les LR, mais le président de la République ne veut pas d’une personnalité politique, ou d’un héritier putatif. En nommant Gérald Darmanin, il aurait ouvert aussitôt la question de sa succession, ce qui n’est pas le cas avec un simple technicien », relève encore Philippe Moreau-Chevrolet.

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