« Pendant deux mois, nous avons été dans une situation de catastrophe quotidienne » témoigne, les traits tirés, le professeur André Cabié. Le chef du service des maladies infectieuses du CHU de Fort-de-France est encore sous le choc de la violence de la 4ème vague. « Tous les jours, nous avions environ 200 personnes qui auraient dû être en réanimation, en train d’étouffer dans les autres services de médecine, sous 15 litres d’oxygène. C’est un traumatisme extrêmement violent pour les soignants et les familles ».
Une situation dramatique qui a incité Bernard Jomier, président de la mission d’information sénatoriale sur le covid19, à faire le déplacement à Fort-de-France. « De la capacité du CHU à faire face, dépend celle du service de soins en Martinique à faire face », explique le sénateur (apparenté socialiste) de Paris. En ce mardi d’octobre, pendant qu’il recueille le témoignage des médecins, la situation se tend sous les fenêtres du directeur de l’hôpital. Depuis des jours, les soignants manifestent contre l’obligation vaccinale, censée entrer en vigueur fin octobre en Martinique, mais sans cesse repoussée depuis.
Fake news
« Les soignants vont contraints et forcés vers une vaccination obligatoire qu’on nous vend comme salutaire, alors même que l’état des connaissances scientifiques ne nous permet pas de connaître les effets secondaires du vaccin », s’indigne Liza Agathine, secrétaire générale du syndicat Convergence infirmiers. L’obligation vaccinale « est une violence faite au corps des soignants, un viol », affirme même cet autre salarié de l’hôpital, qui travaille au service de radiologie.
A l’image des soignants qui rejettent l’obligation vaccinale, c’est toute la campagne de vaccination qui patine en Martinique. Avec moins de 50 % de primo vaccinés, l’île est loin derrière le taux de vaccination de la métropole.
En cause notamment, « les fake news à propos du vaccin » à en croire la sénatrice de Martinique Catherine Conconne. « Le premier vecteur de communication sur l’Île, c’est WhatsApp. Il suffit de mettre une phrase, une photo, et ça fait le tour de la Martinique en quelques heures ».
« Il faut déminer la tête des gens »
Pour contrer ces intox qui incitent notamment à privilégier la pharmacopée locale au détriment du vaccin, Catherine Conconne a été la première élue à dire publiquement qu’elle se faisait vacciner, convoquant même presse locale. Au prix d’insultes et de menaces. « On m’a dit que c’était du faux vaccin, qu’on m’avait injecté du sérum physiologique », s’amuse la sénatrice.
Un climat qui n’incite pas les élus locaux à promouvoir le vaccin auprès de la population. Christian Rapha, maire de Saint-Pierre, est l’un des rares à mouiller le maillot. A bord de sa voiture sono, il sillonne les rues de sa ville pour inciter les habitants à se rendre dans le centre de vaccination éphémère qu’il a ouvert à l’entrée de sa commune. « Il faut déminer la tête des gens un par un » explique l’élu.
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Le précédent du Chlordécone
Comment expliquer une telle méfiance à l’égard du vaccin, alors même qu’aucune famille en Martinique n’a été épargnée par le passage de la quatrième vague ? En guise de réponse, l’écrivain martiniquais André Lucrèce convoque l’histoire, et en particulier le passé douloureux du territoire. « Il y a d’abord le scandale du chlordécone », rappelle André Lucrèce.
Ce pesticide longtemps répandu sur les bananeraies aux Antilles est la cause de cancers, et d’une pollution durable des sols et des cours d’eau. Sa dangerosité a d’abord été niée par les autorités sanitaires. De quoi abîmer durablement la confiance des Martiniquais envers les consignes de l’Etat. Mais André Lucrèce rappelle aussi que « dans une société qui a connu l’esclavage, l’intégrité du corps est quelque chose de très important. Dans l’esprit des Martiniquais, tout ce qui touche à cette intégrité peut être vécu comme une violence, même dans le cas d’un vaccin censé vous protéger ».
« Sénat en action » est rediffusé mardi 16 novembre à 17h30