La proposition de loi « encadrant l’intervention des cabinets de conseil privés dans les politiques publiques » a franchi une première étape ce 12 octobre. La commission des lois l’a adoptée dans la matinée, après l’avoir enrichi des amendements de sa rapporteure Cécile Cukierman, sénatrice du groupe CRCE (communiste, républicain, citoyen et écologiste), celui à l’origine de la commission d’enquête sénatoriale.
Le texte, issu des préconisations cette commission menée par Éliane Assassi (communiste) et Arnaud Bazin (LR), vise à durcir le cadre du recours à ces prestations, après avoir épinglé leur « foisonnement incontrôlé » et la « dépossession de l’État ». Leurs travaux font suite notamment à la polémique de l’intervention du cabinet McKinsey dans la gestion de la crise sanitaire.
Exclusion des avocats dans la liste des prestations de conseil concernées par le texte
L’une des principales réécritures en commission concerne l’article 1er de la proposition de loi, celui qui fixe le périmètre du texte en matière de prestations de conseil. De nouvelles professions du droit en ont été exclues : les avocats, les notaires, les huissiers ou encore administrateurs judiciaires. Au sens de la proposition de loi, le conseil juridique est considéré comme une prestation de conseil, sauf en cas d’assistance ou de présentation d’un client devant une juridiction. Les experts-comptables et les commissaires aux comptes étaient également hors du champ. Pour la rapporteure, « il ne semble pas opportun de séparer l’activité de conseil des avocats de leur activité plaidante ». D’autre part, toutes ces professions disposent déjà d’un code de déontologique et de règles spécifiques. Les soumettre, sur des questions de conflits d’intérêts, au contrôle de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), comme le prévoit le texte, « créerait un conflit de compétences avec les instances disciplinaires de leur profession », selon Cécile Cukierman.
D’autres sénateurs ont également défendu une exclusion de l’activité de conseil des avocats du champ de la loi, comme Christophe-André Frassa (LR), qui relayait dans son amendement « les inquiétudes de l’Ordre des avocats », ou encore les sénateurs RDPI (Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants), le groupe de la majorité présidentielle.
En cas de faute déontologique, une amende administrative fixée en fonction du chiffre d’affaires
À l’article 1, Cécile Cukierman a introduit d’autres retouches. Une nouvelle rédaction permet de faire entrer clairement les sous-traitants dans le champ d’application de la proposition de loi. La sénatrice de la Loire a aussi exclu la programmation et la maintenance informatiques du bloc du « conseil en informatique », visé par la proposition de loi. « Il s’agit de prestations d’exécution très courantes qui ne semblent pas poser en soi de difficulté », motive-t-elle.
Autre précision de taille : la sénatrice a remplacé la notion d’ « opérateurs » de l’État par celle des « établissements publics ». Cette évolution rédactionnelle permet donc d’inclure dans le champ de la loi les prestations de conseil réalisées par les caisses d’assurance maladie ou l’Union des groupements d’achats publics.
En adoptant la proposition de loi, la commission des lois a validé une nouvelle mission pour la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). Elle pourra être saisie d’une demande d’avis déontologique par l’administration ou les cabinets de conseil, notamment en cas de doute sur les déclarations d’intérêts. « Soucieuse de garantir les droits des consultants qui feraient l’objet d’un contrôle de la Haute autorité », la commission des lois précise avoir « étendu les cas dans lesquels l’autorisation préalable du juge des libertés et de la détention serait exigée ».
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Le régime de l’amende administrative prévue par la proposition de loi a également évolué lors de l’examen en commission. En cas de manquement aux règles déontologiques des consultants privés (absence de déclaration d’intérêt ou entrave à l’action de la HATVP par exemple), une amende d’un « montant maximal de 2 % du chiffre d’affaires annuel mondial total de l’exercice précédent » pourra être prononcée, contre 15 000 euros dans le texte initial. Pour la commission, il s’agit de « rendre cette sanction réellement dissuasive ».
Interdiction de fournir aux consultants des adresses emails portant le nom de domaine d’un ministère
Les sénateurs ont fait évoluer l’article 2, un article très important qui précise les règles d’intervention des cabinets de conseil. Proposition phare de la commission d’enquête sénatoriale, il vise à obliger les consultants à préciser qu’ils sont intervenus sur un document, tout en leur interdisant d’utiliser les signes distinctions de l’administration, pour éviter tout mélange des genres.
La mise au jour de documents produits par McKinsey, avec en-tête du ministère de la Santé, avait provoqué l’indignation des sénateurs lors de l’audition d’Olivier Véran. La rapporteure a introduit la possibilité pour les cabinets de conseil de diffuser sur leurs sites la liste des ministères pour lesquels ils ont travaillé, en les identifiant par un logo. La commission a inscrit dans le texte l’une des recommandations de la circulaire du Premier ministre de janvier 2022, demandant que les consultants ne se voient pas attribuer une adresse email comportant un nom de domaine d’une administration de l’État.
En matière de transparence budgétaire pour l’État, la commission a inscrit dans le texte l’obligation pour le gouvernement de remettre un rapport annuel au Parlement sur ses dépenses en matière de conseil. Les auteurs de la proposition prévoyaient un « jaune budgétaire » (relire notre article), c’est-à-dire un document annexé au Budget. Or, seule une loi de finances peut créer des jaunes budgétaires. La commission des lois annonce qu’elle sera « sera vigilante à ce qu’une base légale lui soit donnée dans le projet de loi de finances pour 2023 et qu’il contienne des informations réellement de nature à éclairer les citoyens et les parlementaires sur le recours par l’État et ses administrations aux cabinets de conseil. »
La proposition de loi introduit, pour finir, l’évaluation systématique par l’administration des prestations de conseil dont elle bénéficie. Ces évaluations, publiées en données ouvertes, dresseraient le bilan des apports des consultants ou encore les conséquences de la mission sur les politiques publiques, et préciseraient les éventuelles pénalités appliquées au prestataire. Cécile Cukierman a préféré le terme de « sanctions », plus large. L’évaluation portera sur les conséquences de la prestation sur la « décision publique », une approche plus rapide que l’appréciation sur les « politiques publiques ».
La proposition de loi doit être examinée en séance publique le 18 octobre.