Encadrement des loyers à Paris : une fin… provisoire ?

Encadrement des loyers à Paris : une fin… provisoire ?

Le tribunal administratif vient d’annuler l’encadrement des loyers à Paris. Le gouvernement va faire appel. Depuis son application, la mesure a bien limité en partie la hausse des loyers, mais le tribunal estime qu’elle doit s’appliquer sur l’ensemble de l’agglomération parisienne pour respecter la loi.
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Le tribunal administratif de Paris vient de mettre un coup d’arrêt à l’encadrement des loyers. Il a décidé mardi d’annuler la mesure phare de la loi Alur, défendue par Cécile Duflot lors du quinquennat Hollande, qui visait à limiter la hausse des loyers dans les zones sous tensions, obligeant les propriétaires, lors d’un renouvellement, à limiter la hausse à 20 % par rapport au loyer de référence fixé par quartier et par arrêté préfectoral.

C’est la décision de Manuel Valls, alors premier ministre, de limiter l’encadrement à Paris, à titre expérimental, qui a motivé la décision des juges : « Le tribunal a estimé que ce dispositif d’encadrement des loyers ne pouvait être mis en œuvre dans la seule commune de Paris, mais aurait dû l’être dans les 412 communes de la région d’Ile-de-France comprises dans la « zone d’urbanisation continue » de l’agglomération parisienne ». La loi Alur fixe en effet l’application de la mesure aux « zones d'urbanisation continue ». Le tribunal administratif de Lille avait déjà pris en octobre une décision semblable pour la ville de Martine Aubry.

« L’encadrement a permis de stabiliser les prix »

La mairie de Paris a aussitôt vertement critiqué la décision, par la voix de l’adjoint communiste au logement, Ian Brossat, qui la « regrette beaucoup ». « L’encadrement a eu des effets extrêmement positifs à Paris. Il nous a permis de contenir les loyers dans la capitale. Avant 2015 et l’encadrement, les loyers explosaient : plus de 50 % de hausse en 10 ans. Depuis l’encadrement, on a enfin un peu de stabilité dans le niveau des prix » a affirmé ce mercredi l’adjoint d’Anne Hidalgo sur Public Sénat (voir ci-dessous). Il ajoute : « Si on laisse faire la loi de l’offre et la demande, les classes moyennes vont devoir partir ». Pour Ian Brossat, « il faut avoir le courage de poursuivre cette mesure ». Côte association, le Droit au logement voit dans l’annulation « une nouvelle régression pour les locataires » et la fondation Abbé Pierre a « regretté vivement ce jugement ».

Ian Brossat : « L’encadrement des loyers a eu des effets extrêmement positifs à Paris »
01:23

Le gouvernement a annoncé dès hier soir sa décision de faire appel, en lien avec la mairie de Paris. Et qu’en pense l’auteure du texte, Cécile Duflot ? Du mal, on s’en doute. Elle y voit « un problème pour les centaines de milliers de familles qui sont concernées par cet encadrement, qui depuis deux ans et demi ont bénéficié d'une baisse de loyer en moyenne de 30 à 50 euros, ce qui fait 500 euros sur une année, et qui risquerait d'être remis en cause » a affirmé l’écologiste sur France Inter. « Il faut très vite que le gouvernement agisse, qu'il tienne parole sur l'appel mais qu'il demande le sursis à exécution », ajoute-t-elle. Elle demande que la loi soit cette fois appliquée « sur l’ensemble de l’agglomération » parisienne. Et d’accuser Manuel Valls d’être responsable de la situation. « La loi Alur a été sabotée par le premier ministre d'alors, en août 2014, qui a dit : « On va l'appliquer de manière expérimentale ». Ce n'est pas ce que dit la loi ». Pour Cécile Duflot, il faut appliquer la loi à 28 communes de l’agglomération, comme prévu à l’origine.

Mézard : « Nous voulons arriver à avoir une évaluation de la pertinence du dispositif »

Interrogé lors des questions d’actualité au gouvernement ce mercredi, le ministre de la Cohésion des territoires, Jacques Mézard, a confirmé que l’exécutif ferait appel « pour respecter la volonté des collectivités locales ». Mais son ministère réfléchit à « la nécessité de faire ou pas un sursis exécution car il faut qu’il puisse réussir ». Sur le fond, « nous voulons arriver à avoir une évaluation de la pertinence du dispositif » ajoute le ministre, qui ne parle donc pas d’élargissement à l’Ile-de-France. Dans le premier trimestre 2018, un nouveau projet de loi Logement, visera à développer des observatoires des loyers dans les communes qui le souhaitent.

Jacques Mézard sur l'annulation de l'encadrement des loyers à Paris
01:59

Ancienne ministre du Logement, la sénatrice PS Marie-Noëlle Lienemann « regrette » la décision. Selon la socialiste, « il faudra transformer le texte pour permettre cette action dans le cadre d’une commune au niveau d’une agglomération plus large » et éviter un jugement comme celui pris par le tribunal administratif.

« Ça aboutit au renchérissement des territoires qui se trouvent à côté »

De leur côté, les opposants à la mesure se réjouissent pour l’instant. « Je ne suis pas surpris et satisfait » affirme à publicsenat.fr le sénateur LR du Nord, Marc-Philippe Daubresse, ancien ministre du Logement sous Jacques Chirac. « C’est une très mauvaise mesure, on le dit depuis le début ». « Ça aboutit au renchérissement des territoires qui se trouvent à côté, et à ce qu’une série de constructeurs ne souhaitent plus construire dans les villes concernées par l’encadrement ».

« Il faut aussi un observatoire des loyers, et c’est très difficile à mettre en œuvre » ajoute l’ancien ministre, qui préfère l’idée d’un « choc d’offre » pour baisser les prix et les loyers. Mais comment faire à Paris, ville où il est impossible de construire en masse de nouveaux logements ? « Il faut permettre, sous certaines conditions, de reconvertir les bureaux en logement, et du coup, on augmente l’offre de logement » selon le sénateur du Nord.

30 % des nouvelles offres à Paris ne respectent pas l’encadrement

A l’image des professionnels de l’immobilier, Thomas Lefebvre, directeur scientifique du site meilleursagents.com, ne voit pas non plus l’encadrement comme une bonne mesure. Il souligne que « l’impact de la loi dépasse le cadre du marché locatif. Mine de rien, elle a des impacts sur l’investissement dans l’immobilier ». Pour lui, « l’encadrement des loyers envoie un message qui n’est pas bon sur le marché immobilier ».

Selon les données compilées et issues des agences avec lesquelles travaille le site, l’encadrement a aussi eu un effet sur les prix de vente. « De 2011 à 2016, il y a pratiquement une baisse des prix de 10 % » avec une baisse plutôt sur « les petites surfaces » plus récemment. « Ça témoigne bien du désamour des investisseurs et ça s’est ressenti dans les prix. Ça leur envoie un mauvais signal. Les investisseurs se sentent contraints et décident de ne pas investir dans Paris ». Mais ce qui est moins bon pour les investisseurs est en revanche de bon augure pour les primo accédants, qui ont vu le prix des petits biens un peu baisser. Tout dépend de quel point de vue on se place…

Si Thomas Lefebvre récuse les effets de l’encadrement, les données récoltées par le site montrent que la mesure a bien eu un effet. Depuis son application, « 30% des nouvelles annonces publiées à Paris ne respectaient pas l’encadrement », affirme-t-il, car elles dépassaient la limite d’une hausse de 20%. Mais du 1er janvier au 1er août, avant l’application du texte, ce chiffre aurait été de 45%. Une hausse de 30% qui s’explique par une absence de police du logement. Mais même imparfaite, la loi a bien eu un effet sur les loyers dans 70 % des cas. « L’idée n’est pas de bloquer les loyers » rappelle Marie-Noëlle Lienemann, « mais d’éviter que des propriétaires dérapent au-delà de la moyenne ».

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