Les négociations ont abouti. Après quatre heures trente de discussions, sénateurs et députés, réunis en commission mixte paritaire (CMP), sont arrivés à un compromis mardi soir autour du projet de loi en faveur du développement des énergies renouvelables. Premier volet du triptyque énergétique sur lequel le Parlement est invité à plancher en ce début de quinquennat - avec le projet de loi sur la relance du nucléaire, dont l’examen vient de s’achever au Sénat, et la programmation pluriannuelle de l’énergie attendue d’ici cet été -, ce texte est devenu emblématique de la nouvelle approche de l’exécutif, contraint, faute de majorité absolue, d’élaborer des compromis de circonstance pour faire adopter ses réformes.
Après avoir largement composé avec la droite sénatoriale lors de l’examen au Palais du Luxembourg cet automne, c’est vers la gauche, et notamment les socialistes, que le gouvernement s’est tourné pour faire adopter son texte en première lecture le 10 janvier au Palais Bourbon. La commission mixte paritaire, chargée d’établir un texte commun à partir des versions retravaillées et votées par chaque chambre, laissait craindre une nouvelle pirouette politique, dans la mesure où sur les 14 parlementaires désignés pour siéger dans cette instance (7 députés et 7 sénateurs), les soutiens de l’exécutif étaient à la quasi-égalité (5 élus) avec les LR (4 élus), contre seulement trois parlementaires de gauche.
Autre crainte, celle d’une perte de sens pour un texte sur lequel le gouvernement a engagé la procédure législative accélérée (une seule lecture devant chaque assemblée), et qui est passé de 20 à 90 articles après son examen au Sénat, puis de 90 à plus de 160 après les débats à l’Assemblée nationale. Mardi après-midi, plusieurs membres de la CMP s’inquiétaient d’un « manque de clarté et de lisibilité ». Quelques heures plus tard, au sortir des négociations, Sophie Primas, la présidente (LR) de la commission sénatoriale des affaires économiques, poussait un soupir de soulagement : « Les équilibres et les lignes rouges du Sénat ont été respectés. Nous avons tracé une voie qui sera en capacité, je l’espère, de trouver une majorité au Sénat et à l’Assemblée nationale où la situation politique est toujours un peu plus compliquée ». Car pour une adoption définitive du texte, les conclusions de la CMP devront encore être soumises aux votes respectifs des deux chambres.
« Nous sommes globalement satisfaits », indique le sénateur socialiste Hervé Gillé, également membre de cette CMP. « Même si nous n’avons pas obtenu tout ce que nous espérions sur la planification territoriale, on peut dire que nous sommes arrivés à un texte consensuel. Les socialistes le soutiendront », glisse-t-il. « Un accord a été trouvé entre le Sénat et l’Assemblée nationale sur le projet de loi d’accélération de la production d’énergies renouvelables : un accord bienvenu, dans un contexte géopolitique et énergétique troublé, qui permettra de déployer plus rapidement des énergies indispensables à la préservation de notre souveraineté et à l’atteinte de nos objectifs climatiques », a salué le Sénat dans un communiqué de presse publié en fin de soirée.
Permettre aux élus locaux de garder la main sur la planification territoriale
Le principal objectif de ce projet de loi est de lever les verrous administratifs et juridiques à la construction d’infrastructures de production d’énergies renouvelables, type éolien ou solaire, sur lesquelles la France a pris beaucoup de retard par rapport à ses voisins européens. Voté à la quasi-unanimité au Sénat – seuls les communistes se sont abstenus – le projet de loi a été plus froidement accueilli par une Assemblée nationale très fracturée, où il a perdu le soutien des LR et des écologistes.
Au cours des discussions préparatoires à la CMP, députés et sénateurs de droite ont dû réaccorder leurs violons pour harmoniser leur approche : « Nous avons surtout voulu travailler sur la capacité des maires à rester maître de leur propre territoire, c’est tout l’objet de la planification énergétique », explique à Public Sénat Sophie Primas.
Initialement, LR ambitionnait d’inscrire dans le texte un droit de veto des maires, permettant aux édiles de s’opposer à certains projets sur leur commune, comme la construction d’un parc éolien, mais lâchés par leurs partenaires centristes pendant les débats, les sénateurs de droite se sont résignés à accepter un dispositif intermédiaire, articulés autour de zones d’implantation privilégiées, validées par les conseils municipaux. Bien que les députés LR, emmenés par Olivier Marleix, aient tenté de revenir à ce droit de veto, c’est finalement le dispositif de zonage élaboré au Sénat qui a été retenu en commission mixte paritaire. « Au fond, c’est une nouvelle compétence pour les maires que nous créons. Pour la première fois, ce sera à eux de s’occuper des énergies renouvelables sur leur commune à la place des opérateurs privés. Il s’agit d’être attentif désormais à la manière dont ils vont s’approprier ce nouveau rôle », salue Sophie Primas.
Ce mécanisme a su recueillir l’assentiment d’une partie de la gauche. « L’idée du zonage est intéressante, elle permettra de gagner en efficacité et en rationalité », reconnaît le sénateur socialiste Franck Montaugé. Pour autant, les élus PS réclamaient des garanties supplémentaires, notamment une articulation du zonage en fonction des schémas de cohérence territoriale (Scot), afin de permettre une planification au niveau des territoires et non selon une simple grille de lecture communale. La CMP leur a concédé une demande d’avis ; les Scot pourront avoir un rôle consultatif sur la mise en place des zones d’installation, mais elles n’interviendront pas dans la cartographie.
Le niveau d’engagement sur l’agrivoltaïsme, un point de fracture entre la gauche et la droite
L’agrivoltaïsme, c’est-à-dire l’installation de dispositifs solaires en marge des terres cultivées et des zones d’élevage, fait partie des points sur lesquels les élus socialistes ont voulu porter une attention particulière. « Pour le coup, on est presque sur une décélération plutôt qu’une accélération », avait confié, agacé, Hervé Gillé avant l’ouverture des discussions. Cet élu reproche à la droite d’avoir fait adopter de trop nombreux garde-fous, et les quelques assouplissements réglementaires consentis en CMP ne lui semblent guère satisfaisants. « Globalement, nous sommes restés bloqués sur ce point », lâche-t-il. « Il ne faut pas oublier que c’est la majorité sénatoriale, donc la droite, qui a intégré en premier lieu le bloc sur l’agrivoltaïsme, qui était l’un des angles morts de ce texte », relativise une parlementaire LR contactée par Public Sénat, et qui a largement travaillé sur ce volet du texte.
Dans un communiqué publié ce mardi, les sénateurs écologistes avaient appelé la commission mixte paritaire – aucun élu EELV ne figurant parmi ses membres – à réintroduire plusieurs de leurs propositions, parmi lesquelles, précisément, des mesures d’accélération en faveur des panneaux solaires sur les surfaces déjà artificialisées, avec des obligations d’installations sur les parkings et les toitures. Les Verts, qui estiment que l’Assemblée a expurgé le texte des amendements qu’ils avaient réussi à faire passer au Sénat, ont mis leur soutien en suspens. « Vos décisions détermineront, en responsabilité, notre position finale sur ce texte », écrivent-ils. Il n’est pas certain que le texte élaboré mardi soir leur donne satisfaction.
« Le propre d’une CMP, c’est de trouver des voix médianes », rappelle Sophie Primas, la présidente de la commission sénatoriale des affaires économiques. « Les élus de gauche ont pu exprimer un certain nombre de déceptions pendant nos discussions, mais je pense, malgré tout, qu’il sera difficile pour eux de ne pas voter ce texte face aux enjeux énergétiques et climatiques, ce serait contre-productif. »