Devant les sénateurs des commissions des lois et des affaires sociales, le Défenseur des droits (DDD), Claire Hédon a détaillé la décision-cadre publiée fin janvier et dans laquelle l’autorité administrative indépendante pointait « des atteintes graves et massives » aux droits des enfants. « L’Etat est garant de l’application de la convention internationale du droit de l’enfant. Les départements sont les chefs de file de la protection de l’enfance », a-t-elle rappelé en introduction.
« Ce qui était nouveau, c’était d’être alerté par des magistrats sur des décisions de justice non appliquées »
La compétence du Défenseur des droits, autorité administrative indépendante, est de veiller au respect de l’intérêt supérieur de l’enfant par l’Etat, c’est-à-dire « l’éducation, la santé, la protection contre toutes les formes de violences ». La décision-cadre de janvier fait suite aux saisines de travailleurs sociaux et de magistrats sur les lourdes difficultés que rencontre le dispositif de protection de l’enfance dans les départements. « Ce qui était nouveau, c’était d’être alerté par des magistrats sur des décisions de justice non appliquées », a souligné le DDD, telles que des décisions de placement d’enfants non exécutées, des accueils d’enfants dans de lieux non autorisés, des maltraitances dans des lieux d’accueil non prises en compte ou encore le non-respect du droit de visite des parents.
Sur les 400 000 enfants accompagnés chaque année par l’ASE (aide sociale en l’enfance), plus de la moitié est confiée à une famille d’accueil ou placés en foyers. « Le chiffre qui nous a frappés et qui vient du Syndicat de la magistrature, c’est que 77 % des juges pour enfants ont déjà renoncé à prendre des décisions de placement pour des enfants en danger dans leur famille en raison du manque de places », a-t-elle insisté.
Difficultés d’accès au logement, manque d’assistants familiaux, difficultés d’accès aux soins en santé mentale et de la PMI (protection maternelle infantile)… Autant de causes qui ont conduit à cette situation.
Autre sujet sensible mis en avant par Claire Hédon, la non-application de la loi. Celle de 2016 relative à la protection de l’enfance prévoit la tenue d’un entretien avec le président du conseil départemental, au moins un an avant la majorité du mineur placé, pour faire un bilan du parcours et envisager son autonomie. « Cet entretien n’est pas du tout toujours réalisé », a rappelé la Défenseure des Droits.
C’est la même chose pour la loi Taquet de 2022 qui interdit le placement à l’hôtel des mineurs et jeunes majeurs confiés à l’aide sociale à l’enfance. « Quand on place des jeunes filles et des jeunes garçons dans des gîtes et dans des hôtels, vous faites le lit de la traite des êtres humains », a-t-elle alerté. C’est pourquoi la principale recommandation de la DDD, « n’est pas une réforme législative, mais d’appliquer la loi ».
La sénatrice apparentée LR, Agnès Canayer, ancienne ministre déléguée en charge de la Famille et de la Petite enfance, a confirmé que la réponse ne pourrait pas être uniquement financière. « Il y a déjà des moyens alloués à la protection de l’enfance, plus de 10 milliards alloués aux départements. Il faut une refondation complète du système de la protection de l’enfance », a-t-elle appelé.
« En tant que législateur, je me sens inutile »
Cet état des lieux a particulièrement touché le sénateur RDPI à majorité Renaissance), Xavier Iacovelli. « C’est déprimant […] Tout le monde dit qu’il faut changer les choses. On fait des lois […] qui ne sont pas totalement appliquées. En tant que législateur, je me sens inutile. On vote des lois qui ne sont pas appliquées dans les départements ».
Les échanges se sont crispés après une question de la sénatrice LR, Nadine Bellurot sur le maintien du versement des allocations familiales aux parents dont les enfants sont placés. « Les prestations familiales permettent le soutien à la parentalité, notamment la question du droit de visite et d’hébergement. Et si votre but, c’est que l’enfant reste placé pendant toute sa vie ou au contraire qu’il puisse retourner dans sa famille parce que la famille est accompagnée, la question des allocations familiales est centrale. Vous voyez comment des questions simplistes ne vont pas du tout résoudre ce problème ».
« Je ne suis pas sûre que ce soit une façon de vous adresser à des élus de la République »
« Je ne suis pas sûre que ce soit une façon de vous adresser à des élus de la République », a rétorqué la sénatrice. La présidente de la commission des lois, Muriel Jourda est venue en soutien. « La question est de savoir si c’est celui qui a la charge quotidienne de l’enfant qui doit bénéficier des allocations ou celui qui ne l’a plus, la question n’est pas si simple ». « J’ai un peu de mal à entendre que les carences éducatives soient liées à la pauvreté. Ce n’est pas nécessairement le cas », a-t-elle ajouté.
Une dernière remarque à laquelle a souscrit Claire Hédon. « Vous avez raison, la question des carences éducatives peut concerner des milieux très aisés. Mais je défie quiconque de ne pas être en situation de carence éducative quand vous élevez quatre enfants dans une chambre de bonne », a-t-elle conclu.