Enquête sur « l’islamo-gauchisme » à l’université : les sénateurs vent debout

Enquête sur « l’islamo-gauchisme » à l’université : les sénateurs vent debout

La ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche a chargé le CNRS de mener une enquête sur « l’islamo-gauchisme » qui « gangrène », selon elle, l’université. Une initiative très largement commentée au Sénat, entre vives critiques et timides soutiens.
Public Sénat

Par Antoine Comte

Temps de lecture :

4 min

Publié le

Mis à jour le

« Madame Vidal ferait mieux de s’occuper du malaise étudiant. Ce qui est incroyable avec ce gouvernement, c’est que quand on pense qu’on a touché le fond, il reste en fait toujours une marge ». Ce tacle signé du sénateur LR Jean-Raymond Hugonet n’est pas un cas isolé.

Depuis la confirmation par Frédérique Vidal hier à l’Assemblée nationale de la mise en place d’« un bilan de l’ensemble des recherches » qui se déroulent à l’université, afin de distinguer « ce qui relève de la recherche académique et ce qui relève du militantisme et de l’opinion », les langues se délient au Sénat.

Libertés académiques

A gauche comme à droite, les sénateurs sont en effet nombreux à condamner cette démarche de la ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation pour lutter contre « l’islamo-gauchisme » qui « gangrène », selon elle, l’université.

Pour la sénatrice socialiste et membre de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication Sylvie Robert, « c’est une atteinte grave aux universités ». Comme son collègue communiste Pierre Ouzoulias, qui demande le départ de la ministre (lire ici), l’élue PS d’Ile et Vilaine juge cette enquête anti-constitutionnelle par rapport aux libertés académiques. « Avec cette enquête, on est dans la défiance vis à vis des universités. Confier une mission au CNRS, qui va être une sorte de contrôleur de la pensée et qui va juger ses paires, cela me paraît impensable. La ministre devrait rassurer et être dans un esprit d’ouverture, mais là elle remet en question les libertés académiques », regrette la sénatrice.

« La priorité doit être le malaise étudiant »

Autre critique et pas des moindres : en utilisant le terme « islamo-gauchisme », Frédérique Vidal « reprend les thèses de l’extrême droite » et « fait le lit des populismes », dixit Sylvie Robert. « Jean-Michel Blanquer (ministre de l’Education nationale, ndlr) avait déjà parlé de cette pseudo-notion d’islamo-gauchisme à l’université, elle ne fait que suivre ce que le gouvernement entier pense depuis toujours… », lancent plusieurs sénateurs.

C’est ce que dénonce Pierre Ouzoulias (lire ici), mais aussi Monique de Marco qui parle de « dérapage ». La sénatrice écologiste se dit surtout consternée par rapport à la situation actuelle des étudiants. « C’est complètement inapproprié. Elle est vraiment à côté de la plaque. N’y a-t-il pas d’autres urgences en ce moment franchement quand on voit le malaise que vivent les étudiants de notre pays ? La ministre détourne le débat et montre son impuissance face à cette crise », fustige l’élue de Gironde, qui rappelle la création d’une commission d’enquête au Sénat spécifiquement sur « la condition étudiante ».

Même constat du côté de Jean-Raymond Hugonet qui dénonce le « mépris de la ministre » vis-à-vis des étudiants. « Que ce gouvernement méprise le parlement, on ne s’y fait pas mais on a en désormais pris l’habitude, mais qu’il méprise les étudiants, c’est inadmissible », râle le sénateur LR. Pour ce dernier, « il a bien longtemps que Madame Vidal n’est pas au niveau de sa tâche ».

Le CNRS redadre Frédérique Vidal

De violentes critiques qui font suite à celles de la conférence des présidents d’universités de France dans un communiqué au vitriol dans lequel ces éminents universitaires appellent notamment « à élever le débat » et à « stopper la confusion et les polémiques stériles ».

Tout comme finalement le CNRS qui s'est à son tour fendu d'un communiqué de presse ce mercredi après-midi redadrant directement la ministre. « L’islamo-gauchisme, slogan politique utilisé dans le débat public, ne correspond à aucune réalité scientifique », a-t-il taclé sans détour.

Avant d'ajouter qu'il « condamne avec fermeté celles et ceux qui tentent d’en profiter pour remettre en cause la liberté académique, indispensable à la démarche scientifique et à l’avancée des connaissances, ou stigmatiser certaines communautés scientifiques ».

 

Timides soutiens

Le problème que poserait cette enquête menée par le CNRS dans les universités françaises, la sénatrice LR Jacqueline Eustache-Brinio ne le voit en revanche pas. « Que la ministre prenne à bras-le-corps ce sujet, c’est très bien. On ne peut qu’applaudir cette démarche, elle a entièrement raison », a-t-elle confié à notre micro.

Jacqueline Eustache-Brinio : "On ne peut qu'applaudir cette démarche de Frédérique Vidal"
01:00

 

L’élue va même plus loin et assure qu’il existe, selon elle, « une forme de pensée unique aujourd’hui dans les universités et que celui qui pense autrement est pointé du doigt ».

Un rare témoignage de soutien que Frédérique Vidal, chahutée lors des questions au gouvernement du jour au Sénat (lire ici), a forcément dû remarquer dans ce flot continu de critiques qui risquent encore de très largement s’abattre sur elle dans les prochains jours.

Dans la même thématique

Paris: Designation Bureau Assemblee Nationale
6min

Politique

Ingérences étrangères : quelles sont les règles qui s’appliquent aux élus ?

Les élus sont souvent une cible privilégiée pour les ingérences étrangères. Si les atteintes à la probité existent, les formes d’influences sont diverses et se renouvellent. Après l’adoption de la loi sur les ingérences étrangères le 5 juin dernier, retour sur les règles s’appliquant aux élus pour prévenir les ingérences.

Le

France Europe Election
5min

Politique

Au Parlement européen, Jordan Bardella peine à se « normaliser »  

A la tête des Patriotes, le troisième groupe le plus important numériquement au Parlement européen et désormais membre de la prestigieuse commission des affaires étrangères, Jordan Bardella entend poursuivre à Strasbourg sa stratégie de « normalisation ». Une stratégie compromise cependant par le « cordon sanitaire » des partis pro-européens contre l’extrême-droite et par certaines personnalités embarrassantes au sein de son camp.

Le

LEGISLATIVES FRANCE : 2ND TOUR SOIREE ELECTORALE PS
5min

Politique

Lettre d’Olivier Faure au Conseil d’Etat : « Un message politique, plus qu’un recours contentieux », explique Paul Cassia  

Le 24 juillet, Olivier Faure a adressé à Didier Roland-Tabuteau, vice-président du Conseil d’Etat, un courrier pour alerter la juridiction administrative sur l’exercice du pouvoir réglementaire par le gouvernement démissionnaire de Gabriel Attal. Si cette lettre interroge les diverses nominations à effet différé qui ont eu lieu au cours des deux derniers mois, elle constitue en réalité davantage un message politique qu’un véritable recours contentieux.

Le