Quel est le principal enseignement à tirer de la crise actuelle ?
Nous avons appris qu’en Europe, nous nous en sortirons tous ensemble ou personne ne s’en sortira. On a enfin compris l’importance du marché unique, et la nécessité de trouver des solutions communes. L’Europe a prouvé qu’elle avait appris de ses erreurs du passé, de celles commises lors de la crise financière de 2008 et lors de la crise des réfugiés. Nous avons fait un pas en avant.
On a pourtant vu que les pays européens s’étaient repliés sur leurs frontières nationales, n’est-ce pas le signe que l’Europe fédérale est une chimère ?
La crise a explosé autour de la question sanitaire, un sujet sur lequel l’Union européenne n’a pas de compétences. C’est un paradoxe. Tout le monde s’attendait à ce que l’Europe réagisse, mais elle ne pouvait légalement pas agir. Par le passé, l’égoïsme des États membres a conduit à interdire à l’Europe d’intervenir sur un certain nombre de sujets comme l’éducation, l’harmonisation des impôts et la santé. Désormais, on sait que sans l’Europe, les États membres sont débordés. Tout le monde a pris conscience que la fermeture des frontières n’était pas la bonne solution.
Au regard de cette crise, le Brexit prend-t-il un nouveau relief ?
Je faisais partie des personnes qui pensaient que le Brexit était quelque chose de mauvais pour l’Europe. Mais nous avons pu constater lors de cette crise que le Brexit avait au contraire des effets bénéfiques : en l’absence des Britanniques, les leaders européens ont en effet pu prendre des décisions fortes. Je pense par exemple à la décision de faire émerger un pilier d’Europe sociale, avec les différents engagements en matière de santé et de lutte contre le chômage. Ces décisions n’auraient pas pu être prises si les Britanniques avaient été à bord. Ils y auraient apposé leur veto, comme ils l’ont fait à de nombreuses reprises par le passé. Rétrospectivement, cette crise nous aura donc montré que, sur un certain nombre de points, le Brexit a été une bonne chose pour l’Europe.
L’Italie, votre pays d’origine, a été l’un des pays les plus touchés par l’épidémie. Quelle analyse portez-vous sur ce qu’il s’est passé ?
Il y a eu deux Italie. Il y a eu la Lombardie, qui a été l’épicentre mondial de la crise. Et puis il y a eu tout le reste du pays, qui a eu des chiffres de mortalité pour ainsi dire « allemands ». La chose la plus compliquée pour l’Italie a été de gérer ces deux extrêmes en sachant qu’il fallait des règles communes au niveau national, notamment en ce qui concerne l’arrêt des activités économiques et sociales. Cela a beaucoup pénalisé les régions qui n’avaient pas été touchées. Mais ces mesures étaient nécessaires pour éviter la contagion dans le reste du pays.
Cette épidémie a été un désastre pour l’Italie, et les séquelles vont se faire ressentir pendant longtemps. Mais les Italiens ont très vite compris qu’il fallait appliquer les consignes sanitaires afin de protéger les plus faibles. J’espère que l’on va retenir cet aspect positif de la crise, et capitaliser sur cette solidarité nationale pour repartir de l’avant.
En France on a entendu beaucoup de responsables politiques appeler à davantage de décentralisation au niveau institutionnel. Au regard de ce qu’il s’est passé en Italie et en Allemagne, pensez-vous que cela soit la bonne solution ?
Chaque pays a son histoire, et il est très difficile de généraliser un modèle. Dans le cas italien, la décentralisation n’a pas marché. Il faut le dire franchement. D’un point de vue institutionnel, cela a ressemblé à un puzzle qui avait éclaté de tous les côtés. Cela a été très compliqué pour le gouvernement de faire en sorte que l’on parvienne à des solutions communes au niveau national. Je ne pense donc pas que l’on puisse dire que la décentralisation est en elle-même la solution. Les bons chiffres allemands s’expliquent par d’autres facteurs.
La gauche, votre famille politique, est-elle armée intellectuellement aujourd’hui pour proposer une réponse originale à la crise ? On la sent toujours aussi timide…
La crise a fortement affaibli les souverainismes. On ne s’y attendait pas : en principe, quand il y a une crise et des troubles sociaux, les populistes en profitent. Cette fois-ci, les démagogues ont fait des discours sans parvenir à parler aux cœurs des gens. La population avait besoin de sécurité et de confiance, et ne souhaitait pas qu’on ajoute de la rage à la peur.
Pour la gauche, la résurrection de l’Europe doit devenir une question fondamentale. Il faut que la gauche devienne une force de proposition. Nous allons sortir de cette crise avec une nouvelle forme d’interdépendance. La division ne résoudra rien. Il faudra davantage de coopération et de multilaterialisme. Tout l’inverse de ce que le président Trump dit et fait depuis le début de la crise.
Vous évoquez la situation américaine, selon vous l’affaire George Floyd est-elle une affaire strictement américaine ou est-elle le symptôme d’un phénomène plus global ?
Ce n’est pas une affaire purement américaine. La question est la suivante : « Dans nos pays occidentaux, comment faire en sorte que toutes les couches de la population aient le sentiment d’appartenir à une même communauté de destin ? ». Aujourd’hui, certaines personnes se sentent exclues. Il faut être très sensible à ce sentiment d’exclusion.
Quelles seraient les pistes pour sortir de la crise protéiforme que l’on traverse actuellement ?
Premièrement, l’Europe sociale doit devenir concrète. On a découvert pendant cette crise que l’Europe pouvait faire du social. Il faut rapidement concrétiser cet élan, dans les domaines de la santé, de l’emploi et de la jeunesse. Il s’agit d’une dimension essentielle de notre action.
La deuxième action essentielle est selon moi liée aux systèmes de santé. On a remarqué que nos sociétés connaissent une grande difficulté sur ce point, et il y a de grandes attentes. Les inégalités géographiques, entre les grandes villes dans lesquelles se trouvent les hôpitaux, et les villes périphériques, ne sont plus tenables. Il faut un grand investissement en matière de télémédecine.
Enfin, je pense qu’il faut mettre en commun nos instruments et nos lieux de recherche à l’échelle européenne. Il est clair qu’on a besoin d’investir dans la recherche. C’est ce qui fera la différence dans les années à venir. C’est la recherche qui donnera la possibilité d’une avancée technologique dont nous avons, nous Européens, tant besoin pour battre la concurrence chinoise et américaine.