Matière fourre-tout, parfois mal maîtrisée par les enseignants, variable d’ajustement pour rattraper le retard pris dans les autres programmes… Les sénateurs dressent un état des lieux sévère de l’enseignement moral et civique (EMC), mis en place en 2015 dans le primaire et le secondaire, en lieu et place des cours d’éducation civique. Dans un rapport publié ce mardi 8 juin, et consacré à la formation du citoyen, sa connaissance des institutions et sa sensibilisation à l’engagement, les élus de la Haute Assemblée pointent la rupture entre un enseignement qu’ils considèrent comme primordial - « dont l’un des enjeux est de préparer les futurs électeurs à exercer leurs droits et devoirs de citoyens » -, mais souvent dispensé par des enseignants qui n’ont reçu aucune formation spécifique.
Les nombreuses réformes qu’a connues l’enseignement civique au cours des dernières décennies ont abouti à la mise en place « de programmes pléthoriques aux ambitions démesurées », notent les élus. Ce programme doit pourtant se couler dans un volume horaire bien maigre : une demi-heure par semaine dans le secondaire, « et qui sert souvent à ‘boucler’le programme d’histoire-géographie », l’EMC étant généralement dispensé par les professeurs attachés à cette matière.
Prioriser l’enseignement du fonctionnement des institutions
Les élus, qui formulent dans ce rapport une vingtaine de recommandations pour développer la « culture citoyenne », appellent à fixer dans la loi une définition claire de l’EMC, qui mettrait notamment l’accent sur « la connaissance des institutions démocratiques et des principes de la République », et lui associer un socle horaire stable. « De jeunes majeurs nous ont fait part de leur sentiment d’illégitimité à aller voter, parce qu’ils ne connaissent pas le fonctionnement des institutions », indique Stéphane Piednoir (LR), le vice-président de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication.
Les sénateurs réclament également un travail de clarification des outils pédagogiques mis à disposition des enseignants, qu’ils jugent trop fournis et pas toujours suffisamment didactiques. « On est tombé de notre chaise en découvrant des manuels où le mot ministre n’était cité qu’une seule fois… pour évoquer l’affaire Cahuzac », rapporte encore Stéphane Piednoir. « Les manuels ont un rôle à jouer, un travail de conscience à faire pour ne pas verser dans le pessimisme ou la critique systématique des institutions ». Les sénateurs invitent aussi à développer les rencontres entre élèves et élus mais également les visites d’institutions (Sénat, Assemblée nationale, Conseil régional, etc.).
La mise en place d’une évaluation des acquis, inexistante pour l’heure dans cette matière, permettrait de déterminer le niveau de connaissance des élèves à leur entrée au collège (6e) puis au lycée (2nde). Enfin, pour garantir la sensibilisation des enseignants à l’EMC, le rapport sénatorial propose d’introduire cette thématique dans les concours de recrutements des professeurs d’histoire et de géographie.
» Lire notre article - Laïcité : comment les enseignants sont accompagnés depuis l’assassinat de Samuel Paty
Recentrer la JDC sur les questions de défense et de sécurité
Ce document de 363 pages, qui conclut les travaux de la mission commune d’information sur le thème « comment redynamiser la culture citoyenne ? », lancée en décembre 2021 à l’initiative du groupe Rassemblement Démocratique et Social Européen (les radicaux de gauche), consacre également un important volet à la Journée défense et citoyenneté (JDC), qui a succédé à la Journée d’appel à la Défense, mise en place en 1997 lors de la fin de la conscription militaire. En 25 ans, l’élargissement des différentes informations dispensées au cours de cette journée, incluant notamment la sécurité routière, le don du sang, la prévention contre les addictions, les gestes de premiers secours, a abouti à une réduction du temps consacré à la sécurité et à la défense. Le Sénat recommande désormais de remettre ces deux enjeux au cœur de la journée d’appel.
Un flou sur le caractère obligatoire du SNU
Dans la prolongation de la JDC, les élus se sont également penchés sur le devenir du Service national universel (SNU), promesse de campagne d’Emmanuel Macron en 2017, dont le chantier a été lancé en 2018. Après une expérimentation dans 13 départements, le SNU a été élargi en 2021 à l’ensemble du territoire, mais sur la base du volontariat. Le nombre de participants devrait s’élever à 30 000-35 000 jeunes entre février et juillet 2022, loin de l’objectif de 50 000 volontaires affiché par le gouvernement. La pandémie de covid-19 a toutefois porté un coup d’arrêt au déploiement du dispositif.
Les sénateurs réclament une clarification autour du cadre juridique et des missions attribuées au SNU, mis en place par une ordonnance du gouvernement, sans débat parlementaire. Selon eux, le dispositif est « marqué par de profondes incertitudes et ambiguïtés. » En tête des griefs : le caractère obligatoire de ce service national. L’engagement électoral d’Emmanuel Macron allait en ce sens, ce qui implique toutefois une réforme constitutionnelle. Devant un tel chantier, le dispositif a-t-il vocation à rester en l’état ou va-t-il continuer à évoluer ?
« Si l’on considère, en bonne logique, que pour être universel, le SNU doit être obligatoire, il est possible qu’une révision constitutionnelle soit nécessaire car l’article 34 semble ne permettre actuellement au législateur de fixer de sujétions que pour la défense nationale. Rendre obligatoire le SNU, qui n’est pas un service militaire, pourrait donc justifier une révision constitutionnelle », lit-on dans le rapport. « La portée des choix concernant l’avenir du SNU, qu’il s’agisse de son statut – volontaire ou obligatoire – ou de son périmètre – citoyens français seulement ou faculté ouverte aux ressortissants étrangers volontaires - nécessite de soumettre ces questions au législateur », soulignent encore les sénateurs.
Le vote électronique, une piste contre l’abstention
« Ce rapport a eu pour point de départ un sujet de préoccupation : l’abstention constatée lors des élections départementales et régionales de 2021 », rappelle le rapporteur Henri Cabanel (divers gauche), qui s’inquiète tout particulièrement du désintérêt des jeunes électeurs. Raison pour laquelle il invite à « dépoussiérer le processus électoral », en l’adaptant en partie aux nouvelles pratiques de communication. Les électeurs qui en font le choix, pourraient ainsi recevoir par voie électronique la propagande électorale, qui arrive traditionnellement dans les boîtes aux lettres à quelques jours du scrutin.
Le rapport se penche également sur un serpent de mer : le vote électronique, pour lequel les élus préconisent une série d’expérimentations à l’échelon local. « On ne passera pas au vote électronique demain », avertit Henri Cabanel. « Mais nous ne pouvons pas nier le fait que la technologie avance et qu’il faut s’y préparer. »