Enseignement supérieur et recherche : les efforts budgétaires du gouvernement « absorbés » par l’inflation

Enseignement supérieur et recherche : les efforts budgétaires du gouvernement « absorbés » par l’inflation

Lors de l’examen des crédits du budget 2023 consacrés à l’Enseignement supérieur et à la recherche, les sénateurs ont salué la tenue des engagements budgétaires pris par l’exécutif dans la Loi de programmation de la Recherche (LPR). Toutefois, ces hausses budgétaires vont être « absorbées » par l’inflation en 2023, et le Sénat a donc enjoint Sylvie Retailleau de revoir la trajectoire budgétaire l’année prochaine.
Louis Mollier-Sabet

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LPM, LOPMI, LPR… Les acronymes se suivent, mais les augmentations budgétaires ne se ressemblent pas. Si les sénateurs avaient salué des engagements budgétaires pérennes pour la défense avec la loi de programmation militaire (LPM) et pour la sécurité avec la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur (LOPMI), c’est un peu plus compliqué pour le budget de la Recherche. Certes, formellement, le gouvernement a tenu ses engagements tel que codifiés par la loi de programmation de la Recherche (LPR). Mais en juillet déjà, un rapport sénatorial alertait sur les dangers que faisait peser l’inflation sur la montée en charge budgétaire prévue par le gouvernement. Quatre mois plus tard, force est de constater qu’avec 30,8 milliards d’euros dans ce budget 2023, soit une hausse de 5 % par rapport à 2022, la trajectoire « établie en 2020 sans tenir compte de l’inflation », « aura surtout protégé la mission d’une érosion de ses moyens liée à l’inflation », rappelle le rapporteur du budget Jean-François Rapin (LR).

« La loi de programmation de la Recherche ne doit pas être détournée pour compenser les surcoûts de l’inflation »

Les sénatrices et sénateurs présents ont tous alerté sur des efforts budgétaires « absorbés » par l’inflation, voire un objectif de la LPR « détourné pour compenser les surcoûts de l’inflation », pour Jean-Pierre Moga, sénateur centriste rapporteur pour avis de la commission des Affaires économiques. Il rappelle que la loi de programmation de la recherche avait pour objectif de « permettre de soutenir nos activités de recherche et porter notre effort national de recherche à 3 % du PIB alors que nous sommes à 2 % depuis des années. » Yan Chantrel, orateur du groupe socialiste sur ce sujet, déplore une « trajectoire de la LPR en apparence respectée », mais des moyens « en baisse dans les faits, dès qu’on intègre l’inflation. »

Sur la revalorisation des doctorants, Laure Darcos salue tout de même les efforts de la ministre Sylvie Retailleau, d’être allée « plus loin que la PLR quand la situation le nécessitait », en étendant notamment les revalorisations aux contrats en cours. « Il serait faux de dire que vous n’agissez pas », estime quant à lui son collègue du groupe LR Jacques Grosperrin. Sylvie Retailleau a ainsi estimé porter un « budget conséquent », et des efforts budgétaires d’autant plus « notables » qu’ils s’inscrivent « dans un contexte économique compliqué. »

La gauche dénonce une « réponse pas à la hauteur » sur la précarité étudiante

La ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche a défendu les 400 millions d’augmentation du budget au titre de la LPR, qui se concentrent notamment sur les mesures « de ressources humaines » d’amélioration des rémunérations et des carrières. Avec 160 millions d’euros supplémentaires, le budget de l’Agence nationale de la Recherche (ANR) atteint plus d’1,2 milliard pour financer des appels à projet. De 16 à 17 % de projets soumis effectivement financés en 2020, au lancement du dispositif, les efforts budgétaires consentis permettront de faire passer ce « taux de réussite » à 23,7 % en 2023, s’est par exemple félicité Jean-François Rapin. À gauche, Monique de Marco s’est opposée à cette « philosophie » de l’Agence nationale de la Recherche, dont l’augmentation des moyens « sera une bonne nouvelle pour les prochains lauréats des appels à projet », mais dont la généralisation ne serait « ni gage d’excellence, ni d’efficacité », et attiserait « la concurrence et les inégalités entre laboratoires. »

Enfin, Sylvie Retailleau a défendu un budget qui « traduit les mesures majeures annoncées avant l’été » pour lutter contre la précarité étudiante, avec 85 millions consacrés à l’augmentation des bourses sur critères sociaux, et 50 millions destinés à compenser le coût pour les Crous des repas à 1 euro pour les boursiers. Des efforts insuffisants pour la gauche, qui a dénoncé par la voix du sénateur communiste Pierre Ouzoulias une « contrainte budgétaire qui méconnaît la situation dramatique des étudiants, avec 40 % des étudiants vivants seuls qui sont en situation de pauvreté. » Le sénateur socialiste Yan Chantrel a aussi dénoncé une « réponse pas à la hauteur » et « une rustine temporaire » du gouvernement, avec une hausse des bourses « insuffisante » par rapport, par exemple, à un coût de la rentrée scolaire qui a augmenté de 7 %, et une inflation sur les produits alimentaires bien plus importante que l’inflation globale de 6 % constatée sur l’année 2022.

Le Sénat appelle la ministre à se saisir de la « clause de revoyure » de la LPR en 2023

L’inflation sur les denrées alimentaires fait d’ailleurs craindre largement au-delà de la gauche, puisque même la majorité sénatoriale a alerté le gouvernement sur les risques que faisait courir l’inflation sur la situation financière du Centre national des œuvres universitaires et scolaires (Cnous) et les Crous. « La hausse du coût des denrées alimentaires pourrait engendrer un effet ciseaux, avec le nombre de repas à servir qui augmente et un renchérissement des matières premières », explique Vanina Paoli-Gagin, rapporteure Les Indépendants du budget de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, en évoquant une « possible » hausse supplémentaire de 50 millions d’euros pour le Cnous au titre des repas à 1 euro.

Et le pire reste à venir, pour un parc universitaire français composé d’un tiers de passoires thermiques. L’explosion des prix de l’énergie a généré un surcoût de 100 millions d’euros pour les établissements du supérieur en 2022, et la facture devrait quintupler en 2023, avec encore 400 millions d’euros supplémentaires dus à la crise énergétique. Un fonds de compensation de 275 millions a été mis en place par le projet de loi de finances rectificatif, adopté définitivement il y a quelques jours, dont 125 millions seraient dégagés par la baisse du nombre d’étudiants boursiers, d’après Vanina Paoli-Gagin. Le reste devra être financé par le « dégel » des crédits de réserve et des fonds de roulement des universités, alors même que l’évolution des prix de l’énergie sur l’année 2023 reste par nature incertaine.

« Avec la mise en place de la LPR, depuis 2 ans j’ai pris l’habitude de dire que je n’auditionne que des gens heureux. Cette année je les trouve heureux, mais soucieux », résume ainsi Jean-Pierre Moga. Pour répondre aux inquiétudes que fait peser l’inflation sur la trajectoire financière définie par la LPR, celle-ci prévoit une « clause de revoyure » en 2023, qui permettrait de la redéfinir en prenant en compte l’évolution des prix et la crise énergétique. Les sénateurs ont ainsi enjoint l’ancienne présidente de l’université Paris-Saclay, Sylvie Retailleau, à en profiter pour saisir le kairos.

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