Entre « contribution exceptionnelle » et distribution « aux salariés », Macron entretient le flou sur les entreprises
Emmanuel Macron va « demander au gouvernement de pouvoir travailler à une contribution exceptionnelle, pour que quand il y a des profits exceptionnels d’entreprises […], que leurs travailleurs puissent en profiter ». Le chef de l’Etat veut remettre « autour de la table » les syndicats « sur des sujets très concrets, l’usure professionnelle et les fins de carrières ».
[Edit à 16h30 avec les précisions apportées par Bruno Le Maire, lors des questions d’actualité au gouvernement au Sénat.]
Comme on s’y attendait, l’interview d’Emmanuel Macron ce mercredi, lors des 13 heures de TF1 et de France 2, n’a pas fait l’objet de grandes annonces. Sur les entreprises, il a évoqué l’idée de « travailler à une contribution exceptionnelle », qu’il a pourtant jusqu’ici refusée, qu’elle vienne de la gauche mais aussi de son propre camp, avec le Modem. Une concession ? Pas sûr. Car le chef de l’Etat s’est montré flou, semblant mélanger les sujets et expliquant dans la foulée que son objectif est que « leurs travailleurs puissent en profiter ».
« Il y a quand même un peu de cynisme à l’œuvre, quand on a des grandes entreprises qui ont des revenus tellement exceptionnels »
« Quand on voit des entreprises qu’on a aidées – et on continuera cette politique pour l’entreprenariat, l’attractivité […] – mais il y a quand même un peu de cynisme à l’œuvre, quand on a des grandes entreprises qui ont des revenus tellement exceptionnels, qui en arrivent à utiliser cet argent pour racheter leurs propres actions. Là, je vais demander au gouvernement de pouvoir travailler à une contribution exceptionnelle, pour quand il y a des profits exceptionnels d’entreprises qui sont prêtes à racheter leurs propres actions, que leurs travailleurs puissent en profiter », a affirmé précisément Emmanuel Macron. Une taxation des superprofits ? « Non, car cette taxation des superprofits, nous l’avons déjà faite sur les énergéticiens, nous l’avons fait au niveau européen », répond le chef de l’Etat, qui ajoute :
Là, on a des grandes entreprises qui sont en train de racheter leurs actions, ont des contributions exceptionnelles. Il faut qu’ils distribuent davantage aux salariés et qu’il y ait une contribution à cet effort du moment.
Le chef de l’Etat évoque-t-il donc plutôt la participation et l’intéressement ? L’exécutif, qui entend travailler sur le partage de la valeur, est attaché à cette question. Le 10 février dernier, les partenaires sociaux sont d’ailleurs parvenus à un accord interprofessionnel pour renforcer l’attractivité des dispositifs d’intéressement, de participation et d’actionnariat salarié. La première ministre Elisabeth Borne s’est engagée à le retranscrire dans la loi. Le parti Renaissance a aussi planché sur le sujet.
Bruno Le Maire veut « obliger » « les entreprises qui font du rachat d’actions » à « distribuer plus d’intéressement, plus de participation »
Plus tard, dans l’après-midi, le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, a apporté des précisions, lors des questions d’actualité au gouvernement au Sénat. Il s’agit bien de participation et d’intéressement. « La proposition du Président, c’est la troisième étape de cette meilleure répartition de la valeur entre le salarié et l’entreprise. Nous voulons que les entreprises qui font du rachat d’actions […] contribuent davantage à la meilleure rémunération des salariés. Nous voulons donc les obliger à distribuer plus d’intéressement, plus de participation, plus de primes défiscalisées, lorsqu’elles font du rachat d’actions. Nous voulons que ce soit substantiel. Nous pourrions envisager un doublement des sommes versées au titre de la participation, de l’intéressement ou des primes défiscalisées, pour toutes les grandes entreprises qui font du rachat d’actions […] et celles qui ont plus de 5.000 salariés », a précisé le ministre de l’Economie.
Bruno Le Maire « privilégie » une méthode : « Celle d’une proposition faite aux partenaires sociaux pour qu’ils négocient sur cette meilleure participation, ce meilleur intéressement, cette distribution plus large d’actions, pour les grandes entreprises qui ont recours à ces rachats d’actions ». Regardez :
Selon France Info, plusieurs grandes entreprises françaises ont recours au rachat d’actions, comme LVMH, BNP Paribas, le constructeur automobile Stellantis ou Total Energies, à hauteur de 7 milliards d’euros l’an dernier.
« Pas de grande discussion et de grand-messe » mais « des discussions concrètes »
S’il s’est montré inflexible sur la réforme des retraites qui vient d’être adoptée, Emmanuel Macron a ouvert la voie, lors de son entretien, à une reprise des discussions avec les partenaires sociaux « sur des sujets très concrets, l’usure professionnelle et les fins de carrières » et « les reconversions ». « Il faut y répondre par la loi travail », qui pourrait arriver au printemps, « et le système de droits et devoirs et de formation et d’accompagnement des bénéficiaires du RSA », avance le chef de l’Etat. Il s’agit pour ces derniers de « mieux les former et les accompagner, régler parfois les problèmes de logement, de garde d’enfant, de transports, mais faire revenir à l’emploi des gens qui n’y sont pas depuis parfois des années, ou des dizaines d’années, au moment même où on a des besoins. C’est la justice en haut et en bas ».
Insistant sur les discussions avec les syndicats, avec qui le désaccord est total sur les retraites, Emmanuel Macron « souhaite qu’on s’engage avec les partenaires sociaux, pour avoir dans toutes les branches en dessous du minimum légal » des discussions. « La main est tendue avec celles et ceux prêts à avancer », insiste le Président. Alors que certains demandent une grande conférence sociale, il prévient en revanche qu’« il ne faut pas de grande discussion et de grand-messe », mais plutôt « des discussions concrètes autour de la table ».
« Il se fout de notre gueule »
La reprise du dialogue risque de s’avérer néanmoins difficile, alors que les syndicats appellent ce jeudi à une nouvelle journée d’action contre la réforme des retraites. Pire pour le chef de l’Etat : Laurent Berger, numéro 1 de la CFDT, n’a pas apprécié ses propos et l’a fait savoir. « Déni et mensonge ! La CFDT a un projet de réforme des retraites. Macron 2019 l’avait compris il avait repris notre ambition d’un système universelle. Macron 2023 refait l’histoire et ment sur la CFDT pour masquer son incapacité à trouver une majorité pour voter sa réforme injuste », a tweeté le secrétaire général du syndicat.
« Il considère qu’il n’y a pas eu de propositions alternatives alors que la CGT, comme les autres, en ont fait », s’est étonné aussi Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT, qui a « noté des aberrations totales. […] Soit il a une méconnaissance totale de notre système, et là, c’est très grave. Soit il se fout de notre gueule », tonne le responsable de la CGT. Les premières réactions des leaders syndicaux montrent que cette main tendue est pour l’heure un échec.
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