Un contrat de gouvernement. Le mot revenait beaucoup ce soir dans les réactions à chaud des membres de la droite sénatoriale. Si le profil du ministre des Armées, appelé rapidement par Emmanuel Macron pour prendre la succession de François Bayrou à Matignon, satisfait de nombreux parlementaires LR ce soir, une grande partie d’entre eux demandent que les termes d’un accord soient fixés noir sur blanc.
C’est ce que le bureau politique de leur parti a décidé ce 9 septembre, dans la soirée. Envoyé quelques petites minutes avant le communiqué de l’Élysée, le parti réclame un « gouvernement capable de voter un budget qui priorise la baisse de la dépense publique, valorise le travail plutôt que l’assistanat, assure la sécurité et lutte contre l’immigration ». Le président de LR, et ministre de l’Intérieur sortant, Bruno Retailleau, s’est dit prêt à « trouver des accords » pour bâtir ce qu’elle a appelé une « majorité nationale ».
« Le contrat doit être millimétré »
Précision inhabituelle dans le communiqué de la présidence de la République, le nouvel hôte de Matignon est chargé au préalable, bien avant de proposer une nouvelle équipe gouvernementale, de consulter tous les groupes parlementaires « en vue d’adopter un budget pour la Nation ». « Ce sera l’occasion pour nous de lui rappeler nos priorités. Nous attendons qu’il puisse porter une grande attention à nos propositions, et qu’elles figurent dans un contrat de gouvernement », prévient le président du groupe LR au Sénat, Mathieu Darnaud.
En demandant à « graver dans le marbre » certains axes programmatiques, les élus LR entendent disposer d’une feuille de route clairement définie. « Nous avons connu, à l’occasion des derniers mois, des difficultés, car il n’y avait pas réellement de méthode affichée », se remémore le sénateur de l’Ardèche. « Il faut éviter de légiférer à tous crins, et sanctuariser cinq ou six priorités, avec une déclinaison très claire en termes de mesures et textes législatifs », ajoute-t-il. « Le contrat doit être millimétré, avec un calendrier, où il n’y a plus d’incertitude. Je veux bien que mon parti entre, en responsabilité, au gouvernement, mais dans un cadre bien fixe », insiste le sénateur LR Max Brisson.
Reste que le sort de Sébastien Lecornu au moment des discussions budgétaires dépendra avant tout du bon vouloir des oppositions, de gauche d’une part, et du Rassemblement national et de ses alliés de l’UDR, d’autre part. Pourra-t-il réussir là où ses deux prédécesseurs, François Bayrou et Michel Barnier ont échoué ? « Il a une méthode que d’autres n’ont pas. Et il a tendance à être à l’écoute. C’est important, cela n’a pas été fait par François Bayrou », considère le sénateur LR Laurent Burgoa. Pour le moment, beaucoup de LR savourent la fin d’une courte période d’incertitude, marquée par des rumeurs d’une ouverture à gauche. « C’était rapide, et c’était souhaitable. On ne pouvait pas revivre le même scénario que l’année dernière. Il y a un budget devant nous », rappelle Max Brisson.
« Un habile politique, un habile manœuvrier »
Le nom retenu par l’Élysée, et qui faisait déjà partie des spéculations en décembre 2024 pour prendre la suite de Michel Barnier, n’étonne en tout cas pas certains cadres du groupe au LR au Sénat. « Il ne reste que 18 mois au président de la République. Il a besoin de quelqu’un de proche, qui ne pose pas de difficultés dans la relation avec l’Elysée, et qui puisse disposer à l’Assemblée nationale du bloc le plus important. La logique du système, c’est lui », observe le sénateur Roger Karoutchi.
Son passé flatteur d’élu local — élu maire de Vernon et président du Conseil général de l’Eure à 29 ans — pourrait aussi lui assurer des sympathies naturelles au Sénat, assemblée dans laquelle il a d’ailleurs été élu, sans jamais y siéger, en raison de ses postes au gouvernement. Mais au vu de la gravité de la situation, le nouveau Premier ministre devra faire à nouveau faire ses preuves. « Il ne faut pas nécessairement regarder les lignes du CV mais plutôt regarder ce qui est devant nous. Il faut un cap clair », martèle Mathieu Darnaud.
Pour certains au sein du premier groupe sénatorial, le communiqué de l’Élysée a en tout cas sonné comme une délivrance. « C’est une personne pour qui j’ai beaucoup d’estime et de respect. Il a incontestablement des atouts et le bon profil. C’est un homme qui, sur le plan des dossiers, est remarquable », le félicite Marc-Philippe Daubresse, qui l’a connu à l’UMP dans « l’aile humaniste ».
« Sur toutes les compétences régaliennes, on va compter sur lui »
« C’est le premier sentiment enthousiaste vis-à-vis de la situation politique que j’ai depuis des jours », souffle le sénateur Christian Cambon. Le sénateur du Val-de-Marne a eu l’occasion de travailler à ses côtés au moment de l’examen de la loi de programmation militaire. « C’est un bon choix. La tâche est évidemment immense, mais c’est un homme d’écoute et de dialogue, il a beaucoup de qualités personnelles, et d’expérience, qui vont lui permettre de sortir de cette crise », espère l’ancien président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. « Sur toutes les compétences régaliennes, on va compter sur lui », ajoute-t-il.
Pour autant, certains doutent que son passé remarqué à l’Hôtel de Brienne, au ministère des Armées, pendant plus de trois années, lui soit d’une réelle utilité. « Il a eu un ministère consensuel. Il a pu développer des efforts dans un domaine, qui par nature, à cause de la situation internationale, était consensuel. A présent, le sujet majeur c’est la situation financière. Le garçon est intelligent et posé, mais le budget ce sera extrêmement difficile », redoute le sénateur LR Etienne Blanc. « Peut-il, sur un texte budgétaire, obtenir une neutralité du Rassemblement national, je n’en suis pas persuadé. »
La configuration difficile au palais Bourbon reste en effet la même pour Sébastien Lecornu, pris en étau entre le Nouveau Front populaire et le Rassemblement national. « On peut penser ce que l’on veut de lui, mais c’est un habile politique, un habile manœuvrier. Je ne dis pas qu’il va réussir à élargir la majorité, mais il peut obtenir, projet à projet, des voies de passage », estime Roger Karoutchi. « Je ne vais pas dire mission impossible, mais ce sera excessivement difficile d’obtenir un vote qui évite la censure budgétaire », craint Marc-Philippe Daubresse. « S’il est capable d’aller plus loin dans la baisse des dépenses publiques, en restreignant le train de vie de l’Etat, sans toucher aux impôts des Français ni aux charges des entreprises, il a une chance », estime toutefois l’ancien ministre.