Entretien à la presse régionale : opération « reconquête » des élus locaux pour Emmanuel Macron à l’approche de 2022
En s’adressant exclusivement aux titres de la presse régionale pour annoncer le calendrier du déconfinement, Emmanuel Macron amorce la dernière étape de sa « reconquête » des élus locaux dans la perspective de 2022, analyse le communicant Philippe Moreau Chevrolet. « Une résurrection », sourit la sénatrice et présidente de la délégation des collectivités territoriales, Françoise Gatel.
Par Pierre Maurer
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Emmanuel Macron est un charmeur. D’aucuns, parmi ses alliés comme ses adversaires, aiment à rappeler sa capacité à « vendre une chaise » à n’importe qui. Et voilà qu’à l’approche de 2022, il ressort son grand numéro. Sa cible : les élus locaux. En s’adressant exclusivement aux titres de la presse régionale pour annoncer le calendrier du déconfinement, Emmanuel Macron se lance dans une opération « reconquête » des élus locaux dans la perspective de 2022, analyse Philippe Moreau Chevrolet, communicant et professeur à Sciences Po. Beaucoup d’élus locaux sont séduits, mais pas dupes des intentions présidentielles.
« Emmanuel Macron veut toucher les seniors »
La stratégie élyséenne était claire : une interview courte et ciselée du président de la République accordée aux journaux régionaux devait révéler vendredi matin le calendrier du déconfinement en quatre étapes qui débutera le 3 mai. Avant qu’Europe 1 ne vienne griller la politesse à ses confrères ce jeudi après-midi. Reste que ce choix de communication présidentiel apparaît comme une étape supplémentaire de la volonté de conforter un lien fragile avec les élus locaux. « La relation entre les élus locaux et Emmanuel Macron a très mal démarré car il leur a annoncé la suppression des emplois aidés qui faisaient tourner les associations. Ça a créé un blocage qui s’est traduit aux élections sénatoriales où les maires votent. Il a ensuite réparé la relation pendant le ‘Grand débat’, où il a parlé exclusivement aux élus locaux. Là, c’est la troisième étape, celle de la reconquête. Il ne va rien négliger pour faire du terrain, même en visio », analyse Philippe Moreau Chevrolet.
Les œillades du chef de l’Etat en direction des maires se sont accentuées ces dernières semaines, via l’organisation de réunions en petit comité avec certains d’entre eux, souvent de petites communes, pour échanger sur leur situation et faire remonter à un Président souvent qualifié de « hors-sol », les petits tracas du quotidien. Maire de Marboué en Eure-et-Loir, modeste commune de 1158 âmes, Gaëlle Chasseloup (sans étiquette) a eu « l’honneur » de participer à la dernière réunion en date et se dit conquise. « On était dix maires choisis au niveau national. Emmanuel Macron nous a proposés 5 minutes pour intervenir sur la crise sanitaire, notre ressenti de terrain, toutes les infos que nous avions à lui remonter pour la vaccination ou notre point de vue sur le pass sanitaire. Et ensuite, il a repris toutes les informations pour répondre à nos questions. Il était vraiment à l’écoute, a tout noté et est revenu sur tous les points. Il a donné l’image de quelqu’un à l’écoute des maires ruraux et de grandes villes. Au niveau de la population, il a essayé de trouver le juste milieu entre l’humain et l’économie pour le prochain déconfinement », rapporte-t-elle.
Rien de nouveau sous le soleil diront certains, tant depuis la nomination de Jean Castex à Matignon, ancien maire de Prades et volontiers chantre des « territoires », la « PQR » (Presse quotidienne et régionale) est privilégiée par le gouvernement pour faire passer ses messages. Parfois aux dépens des rédactions qui s’en plaignent régulièrement, contraintes sur le terrain par des cadres communicationnels stricts. Peu importe, le chef de l’Etat, lecteur attentif et parfois impliqué, veut voir ses ministres dans les pages d’Ouest France, de la Provence, de Sud-Ouest et des autres… « La presse régionale va devenir un axe de communication gouvernementale. C’est ce qu’a demandé le président à ses ministres. Il leur a précisé qu’un ministre ça doit servir à ça, à parler au terrain, pour ne pas laisser ce monopole à Xavier Bertrand, qui a parlé de ‘République des territoires’. La principale faiblesse de LREM c’est son implantation locale », rappelle Philippe Moreau Chevrolet.
Selon lui, le choix présidentiel acte qu’Emmanuel Macron « est en campagne pour 2022 ». « Quand on utilise la presse régionale, c’est qu’on veut toucher en particulier les seniors qui sont ceux qui votent le plus pour LREM. Le but d’Emmanuel Macron, c’est de taper tous azimuts les jeunes, les vieux, les élus locaux, pour faire le maximum de voix au premier tour. Pour Emmanuel Macron, il n’y a rien de plus important en ce moment que sa réélection. Ce qu’il n’avait pas anticipé et pour cause, c’est le covid-19 qui l’oblige à revoir complètement ses plans, et un chaos avec 1 million de chômeurs en plus et une détresse qui s’installe dans une partie de la population. Tout cela va beaucoup compliquer l’équation », décrypte-t-il.
« Il ne faut pas que ça devienne une habitude »
Peu parmi les élus locaux critiquent ces consultations. Au Sénat, la présidente centriste de la délégation aux collectivités territoriales se réjouit du réchauffement des relations. « Cela montre une résurrection de la conscience des territoires chez le chef de l’Etat. On a très souvent dit que le pouvoir était très éloigné du terrain. Après les Gilets Jaunes, c’est pour moi un second épisode. La crise sanitaire a montré une centralisation excessive et révélé un Etat impotent. On voit que la volonté du président de la République s’exerce par les acteurs du terrain. Quand en juin dernier, il dit ‘tous les enfants de France doivent retourner à l’école dans dix jours’, mais qui a permis que ça se fasse ? Ce sont les élus locaux ! », s’exclame-t-elle. Elle poursuit : « La PQR c’est quoi ? C’est la vie dans les territoires, c’est la parole avec le terrain, les élus, les acteurs économiques. La crise frappe le Président en lucidité et en conscience. Ces rencontres qu’il a avec des maires de petites communes, c’est très bien. Il entend, il écoute, il ajuste. Par la PQR, il va s’adresser aux gens dans leur réalité et leur quotidien », estime la sénatrice qui lit Ouest France.
« C’est sans doute un acte de foi vers les territoires », observe, lui, Christophe Bouillon, président socialiste de l’association des Petites Villes de France (APVF). Et de contrebalancer immédiatement : « Mais en tant qu’association, je pense qu’il ne faut pas que ça devienne une habitude. Les associations d’élus sont transpartisanes et représentent toutes les sensibilités, même si on les accuse parfois d’arrière-pensées. La vieille tactique c’est diviser pour mieux régner ». Certains grands maires ont d’ailleurs regretté de ne pas avoir été des consultations. « J’ai vu qu’il y avait des maires consultés. En l’occurrence la capitale de la France ne doit pas être assez importante [aux] yeux [du président] car je ne suis pas consultée », s’est agacée sur France info, mercredi, la maire socialiste de Paris, Anne Hidalgo. Christophe Bouillon, en ancien député et fin connaisseur des arcanes du pouvoir, perçoit lui aussi la mise en place d’une stratégie pour l’élection présidentielle. « Les partis restent importants en termes d’élus locaux, comme LR et le PS. C’est un point de faiblesse de LREM. Donc la tentative est grande. Et le président de la République dispose d’une forme d’agilité : il est tout à fait capable de remplacer LREM par Renaissance. Ce n’est pas la première tentative. Quand Stéphane Travert (ancien ministre de l’Agriculture) a quitté le gouvernement, c’était avec la mission de fédérer les élus locaux. Il y a aussi Territoires de Progrès pour les élus macronistes de gauche. On voit bien que le parti des maires est un parti puissant car les maires ont une cote d’amour très élevé par rapport aux parlementaires… » À l’approche de 2022, Emmanuel Macron veut séduire ces « grands électeurs ».
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